A L.A., l’E3, salon international du jeu vidéo, a été l’occasion de s’interroger sur la parité dans cette industrie. De sérieux progrès restent à faire.
Serait-ce enfin l’année des femmes ? Comme chaque printemps, du 12 au 14 juin, les fans de jeux vidéo se sont rués à l’E3, leur grand-messe annuelle qui se déroule à Los Angeles, loin de ses plages et ses mythiques palmiers. Dans les travées ultraclimatisées du très médiatique salon mondial, les grandes entreprises de l’industrie ont mis, en cette année post-#MeToo, un point d’honneur à faire un pas vers l’égalité des droits.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Que ce soit dans les jeux de baston, les FPS où il faut fracasser du nazi (coucou Battlefield V), les intrigues médiévales, aérospatiales ou bien même chez les Pokemon (puisqu’on aura droit de contrôler une version femelle de Pikachu dans Super Smash Bros), jamais autant de personnages féminins n’ont semblé mis en avant. Tout ceci alors que les babes en tenue moulante et swimsuit, qui ont longtemps fait le pied de grue dans les stands du salon, ont quasiment disparu.
Améliorer la visibilité des femmes
Mais derrière ces bonnes intentions de façade, il reste du chemin à parcourir pour l’industrie. Si 47 % des joueurs sont des joueuses, seuls 15 % des gens qui travaillent dans des studios sont des femmes. Des chiffres problématiques.
Pour pallier ce déséquilibre, Audrey Leprince, cofondatrice du studio indépendant The Game Bakers, et Julie Chalmette, directrice générale de Bethesda France et présidente du syndicat des éditeurs de jeux vidéo, ont lancé Women in Games, association professionnelle œuvrant pour davantage de mixité dans l’industrie. L’objectif : doubler le nombre de femmes en dix ans. Pour cela, ces deux dirigeantes – qui officient depuis vingt ans dans le secteur – s’attachent à améliorer la visibilité des professionnelles, à communiquer auprès des jeunes sur les métiers existants et à sensibiliser à l’intérêt de la mixité.
Sur un rooftop typique de Los Angeles, Chloé Woitier, journaliste jeu vidéo au Figaro depuis sept ans, estime que les progrès sont timides. “Depuis mon premier E3, en 2013, j’essaie de compter combien il y a de femmes sur scène. Une chose est sûre : ça ne progresse pas des masses.” Le vainqueur de ce concours informel ? : Electronic Arts. Avec quatre femmes présentes sur scène cette année.
Si l’on regarde de plus près, ces disparités varient selon les métiers : si les éditeurs sont relativement paritaires, avec une importante rotation des salariés, seulement 15 % de femmes travaillent dans les studios. Et lorsqu’elles y accèdent, les postes se ressemblent. “Même s’il y a toujours des exceptions, la majorité des femmes en studio bossent dans tout ce qui est graphisme, design, direction artistique. C’est un peu cliché, déplore Chloé Woitier. Et bien sûr, plus on va vers des postes de direction, moins il y en a, comme dans toutes les industries malheureusement…”
Un problème structurel
La question de la visibilité dans un monde qui reste encore très masculin se pose aussi. Quatre ans après, la polémique du Gamergate où une nébuleuse masculiniste avait violemment pris à partie une journaliste sur internet, l’onde de choc se fait encore ressentir et il n’est jamais évident pour une femme d’affronter les regards ou les remarques misogynes d’une partie du public. “On peut avoir des femmes dans les studios mais on ne le sait pas. Elles ne participent pas aux tables rondes, soit elles ne sont pas invitées, soit elles ne se sentent pas légitimes à aller sur scène. Or, la visibilité est primordiale pour susciter des vocations”, précise Chloé Woitier.
Un constat partagé par Mélinda Davan-Soulas, journaliste jeu vidéo depuis dix ans. Attablée dans l’espace média de l’E3, où les femmes ne sont d’ailleurs pas légion, elle explique : “Les femmes ne sont pas assez exposées, c’est certain. L’intérêt de Women in Games est d’être un mouvement de représentation, pas de revendication. Il n’y a pas de volonté féministe. Personne ne se dit ‘je suis une femme, je fais des jeux de femmes pour les femmes’, et d’ailleurs tant mieux, ça saoulerait tout le monde, surtout les femmes.” (rires)
Pour ces deux spécialistes, il convient de traiter le problème à la racine. “Tant qu’il y aura 95 % de mecs dans les écoles, ça ne changera pas dans les studios”, constate Chloé Woitier. Un propos confirmé par sa consœur : “Les femmes n’osent pas se montrer et dire qu’elles veulent être développeuses. Et qui dit déséquilibre dans les écoles dit déséquilibre à la sortie. S’il y avait des modèles, ça pourrait le faire. Mais il n’y en a pas, donc le mouvement n’est pas enclenché.”
Une meilleure représentation dans les jeux
Néanmoins, les deux journalistes observent une évolution positive de la représentation féminine dans le jeu vidéo. Présenté au salon, le prochain Assassin’s Creed qui se déroule dans la Grèce antique offre ainsi la possibilité de contrôler Kassandra, descendante directe de Léonidas Ier de Sparte tandis que dans Battlefield V, qui nous plonge une fois de plus au cœur de la Seconde Guerre mondiale, on pourra incarner une femme soldat. “C’est génial, si on omet que des gars ont crié au scandale en disant que c’était absurde historiquement”, tempère Chloé.
Mélinda partage cet avis : “L’évolution du personnage de Lara Croft de Square Enix ainsi que l’émergence des deux héroïnes de Life Is Strange ont sans doute participé à cette évolution des mentalités. C’est fini l’époque des nanas un peu bimbo dans le jeu”. Pour la journaliste, ce phénomène relève néanmoins davantage du hasard que d’une volonté affirmée : “Je ne pense pas que ça suive un phénomène de société, d’abord parce que les jeux mettent quatre ou cinq ans à être développés, donc tenter un jeu en suivant une tendance, ça arriverait forcément en retard.”
Le chemin pour que l’égalité homme-femmes soit pleinement intégré aux futures productions est donc encore long. Sur la scène de l’E3, l’annonce par Ubisoft de la possibilité de jouer avec deux personnages a d’abord été acclamée par les spectateurs. Mais lorsque le prénom Kassandra a été prononcé, des soupirs et gémissements se sont fait alors entendre. Preuve qu’en la matière, l’industrie n’est pas la seule à devoir faire son examen de conscience…
….
{"type":"Banniere-Basse"}