Depuis le lendemain de la création du PCF en décembre 1920, le parti détient les clefs de cette ville d’Indre-et-Loire. En presqu’un siècle, dont plus de 40 ans en cogestion avec le PS, il a remporté toutes les élections municipales. Quelle est la recette de cet étonnant succès ?
Un nom sur un billet de train. Une ville dans laquelle on ne s’arrête qu’en correspondance. C’est l’image qu’ont la plupart des voyageurs qui transitent par le nœud ferroviaire de Saint-Pierre-des-Corps, petite banlieue populaire de l’est de Tours, peuplée de 15 000 âmes. Mais qui sait que derrière la façade de l’Hôtel de Ville, seuls des maires communistes se sont succédés depuis presque 100 ans ? Une longévité rare en France.
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Communiste de la première heure
Dès le lendemain de la création du parti à Tours en 1920, la mairie de Saint-Pierre hisse le drapeau rouge. Depuis le XIXe siècle, la ville a une forte tradition ouvrière avec ses 5 000 cheminots. Santé, éducation, culture : des politiques sociales audacieuses rangent la population derrière ce premier maire rouge, qui restera 20 ans. « Pendant la Seconde Guerre Mondiale, la ville a été fortement bombardée car c’était un nœud ferroviaire. La municipalité a donc eu un rôle important dans la reconstruction et la modernisation de la ville », rappelle Frédéric Genevée, historien et membre du comité exécutif du PCF.
Un électorat resté populaire
Les maires successifs construisent massivement des logements sociaux. Une cité cheminote sort de terre. « On a beaucoup gagné en confort, se souvient Raymonde Adam qui vit dans la cité, avenue Lénine, depuis 1971, avec son mari, ancien cheminot. Il y avait des toilettes, l’eau chaude et la douche à la maison, alors qu’avant on se lavait avec un gant et une bassine. »
45 ans plus tard, les classes populaires sont toujours majoritaires à Saint-Pierre, avec un revenu annuel médian plus d’une fois et demi inférieur à la moyenne nationale. Les services publics ont été pensés pour cette population. La ville abrite le seul centre municipal de santé du département, où le tiers payant est appliqué pour tous. L’offre importante de logements sociaux, 42% du parc, a toujours attiré de nombreux ménages modestes d’origine étrangère. Un ensemble de populations qui se retrouvent dans les convictions portées par la municipalité, qui choisit de s’allier avec le PS dès 1971, pour se maintenir au pouvoir.
Les maires au cœur des luttes sociales
De Mai 68 à la réforme des régimes spéciaux de 2007, sans oublier les fermetures d’entreprises de ces dernières années, la municipalité est en première ligne aux côtés des salariés. « En 68, la mairie nous mettait à disposition un camion et un chauffeur devant les portes de l’atelier, pour le ravitaillement. On allait chercher des volailles, des patates et des œufs à la campagne », se souvient Pierre Bottreau, 81 ans et ancien cheminot militant CGT. Le maire de l’époque était là, aussi, lors du combat local emblématique de ces 30 dernières années. Celui des Cadoux : plus de 600 ouvriers d’un atelier de maintenance privé qui ont obtenu leur intégration à la SNCF en 1983, après des années de lutte.
Le TGV vers la modernité
Le 30 septembre 1990, le TGV ouvre un nouveau chapitre. Le résultat d’années de lobbying de la mairie et du soutien du ministre communiste des transports, Charles Fiterman. La municipalité tirera un bénéfice politique de ce grand projet, comme sa cousine Saint-Denis, communiste depuis la Libération. « Quand il y a eu le projet du grand stade de France, la municipalité s’est inscrite dans la modernité et y a contribué jusqu’à maintenant. Saint-Pierre-des-Corps a fait de même en saisissant l’opportunité de la gare TGV », compare Roger Martelli, historien du parti. Un coup de fouet pour les commerces autour de la gare, par laquelle transitent chaque jour quelque 7 000 voyageurs.
Une maire charismatique
Depuis 32 ans, ce communisme municipal est incarné par une femme : Marie-France Beaufils. La sénatrice en est à son 6e mandat de maire. Preuve de sa popularité : elle est réélue dès le 1er tour aux dernières élections. Au même moment, d’autres bastions communistes tels Bobigny ou Saint-Ouen basculaient à droite. « Saint-Pierre n’est pas un ‘bastion’. Il faut constamment être sur le terrain pour garder une présence, ce n’est pas quelque chose de naturel », souligne Marie-France Beaufils. Dans les rues de la ville, le charisme de la première magistrate est reconnu de tous. Avec son sens du contact et sa mémoire d’éléphant, sa personnalité est une arme de séduction des masses. “Elle se rappelle des gens, du déroulement de leur vie de famille”, raconte Evelyne, 74 ans, qui a voté pour elle en 2014.
Mais un avenir incertain
Pourtant, la maire ne se représentera pas en 2020. « Il faut savoir passer la main », glisse-t-elle. Mais à qui ? La poussée du FN se fait sentir à Saint-Pierre comme ailleurs. Aux européennes de 2014, il talonnait le Front de Gauche à 1 point d’écart. Au deuxième tour des régionales, il a fait 22% et fini 2e, après la liste d’Union de la gauche. Vote sanction au niveau national ou écart grandissant entre la maire et ses administrés ? Le sentiment d’insécurité d’une partie de la population est, en tout cas, relayé par l’opposition. “Il y a du trafic de stups à ciel ouvert dans le quartier de la Rabâterie”, classée en Zone urbaine sensible (ZUS). “On a laissé faire pour acheter la paix sociale”, martèle Alain Garcia, élu Les Républicains. “Marie-France Beaufils n’a pas vraiment préparé sa succession, observe Frédéric Potet, journaliste du Monde et auteur d’un blog sur Saint-Pierre-des-Corps en 2012. Je pense que si elle ne se représente pas, le PS passera aux commandes.”
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