Déjà tombée aux mains du Front national en 1989, la ville de Saint-Gilles, dans le Gard, est devenue le fief de l’avocat converti aux idées d’extrême droite, Gilbert Collard.
A quelques jours du premier tour, rien ne semble troubler la quiétude de Saint-Gilles. Pas même la victoire annoncée de l’avocat Gilbert Collard, député frontiste du Gard. Dans les ruelles étroites de cette ancienne bourgade agricole – coincée entre Nîmes et Arles -, les affiches électorales sont rares. Les maisons austères, de plain-pied, aux volets clos, laissent à peine échapper quelques bruits de télévision. Aux terrasses des cafés, l’élection municipale est loin d’être un sujet de débat. On préfère parler de l’arrivée du printemps, de tauromachie ou bien encore de la future Coupe du monde de football.
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Saint-Gilles a déjà connu l’arrivée aux affaires du Front national. En 1989, et jusqu’en 1992, Charles de Chambrun avait offert au mouvement d’extrême droite sa première écharpe tricolore. Cet ancien secrétaire d’Etat de Pompidou a pourtant laissé peu de souvenirs à la population. Celui qui rêvait de transformer Saint-Gilles en « laboratoire de résolution des problèmes posés par les immigrés qui prennent les Français pour des vaches à lait » a été chassé de la mairie trois ans à peine après son arrivée, lors d’une élection municipale partielle… Mais si le Front national a déserté l’hôtel de ville, Saint-Gilles reste une terre fertile pour ses idées.
« Collard a un boulevard devant lui ! »
Lors de l’élection présidentielle de 2012, Marine Le Pen a tranquillement viré en tête au premier tour avec 35,3 % des voix. Quant à Gilbert Collard, il a obtenu 53 % des voix – dans une triangulaire – au second tour des élections législatives. Un record. « C’est la ville où notre potentiel électoral est le plus fort. Collard a un boulevard devant lui ! », reconnaît sans détours un cadre du FN.
A Saint-Gilles, tous les ingrédients semblent réunis pour que le Front national déploie ses idées : fort taux de chômage (25 % contre 14 % dans le reste de la région), petite délinquance et sentiment unanimement partagé d’être les grands perdants de la mondialisation. Dans les années 70, cette porte de la Camargue a attiré plusieurs vagues d’immigration (portugaise, espagnole, marocaine) pour ses tâches agricoles. Victime de la crise économique et des effets de la mécanisation, Saint-Gilles est devenue une cité-dortoir de Nîmes.
Séparation des communautés
Dans cette ville de 16 000 habitants où près de 40 % de la population est d’origine étrangère, l’absence de perspectives économiques ne fait qu’attiser les tensions communautaires.
« Saint-Gilles est victime du syndrome camarguais du rejet des étrangers, regrette le maire socialiste sortant, Alain Gaido. Il suffit d’aller dans un bistrot pour s’en apercevoir. Dès qu’ils sont un peu ronds, certains habitants font des plaisanteries anti-Arabes. »
Au centre de la ville, la séparation des communautés est patente. Chacune possède son bar et vit en autarcie. Les « Blancs » se retrouvent au café de la Gare ou au café de la Poste, les « Portugais » au Mistral et les « Arabes » au café des Arts. Un établissement délabré que Gilbert Collard ne cesse de qualifier de « verrue de Saint-Gilles ».
Quand on pousse la porte du café des Arts, l’atmosphère est morose malgré la musique d’ambiance. Depuis que la mairie – propriétaire des murs – n’a pas renouvelé son bail, le patron, Rachid, 42 ans, attend de toucher ses indemnités d’éviction. « Si Collard me donne mon chèque, je me casse. Il peut même transformer le bar en église, je m’en fous », explique-t-il. Avant d’ajouter, plein de colère : « Qui a construit cette putain de France ? Ce sont nos parents. Ça fait quarante ans que je vis ici et je suis toujours l’Arabe de service. Moi, j’ai fini par m’habituer, mais le jour où ma fille me racontera qu’elle a subi ça, je craquerai. A mon âge, je n’ai plus rien à perdre. »
Près d’une table de poker, Hocine, 30 ans, est tout aussi résigné :
« Il y a tellement de racisme que j’ai décidé de partir. Tu ne peux pas avancer ici, tu ne peux que reculer. Si tu t’imprègnes de la mentalité de Saint-Gilles, tu deviens mauvais. Tu commences à regarder de travers les Portugais ou les Espagnols parce qu’ils sont différents. »
« Dans la rue, j’ai peur. J’ose plus afficher mes bijoux »
Depuis septembre 2012 et le passage de la ville en zone de sécurité prioritaire (ZSP), les chiffres de la délinquance se sont améliorés. En seize mois, la ville a connu une diminution de 28 % des cambriolages et de 32 % des agressions à la personne. Mais le sentiment d’insécurité reste fort. Sur un banc en face de la mairie, Gisèle, 66 ans, qui vit ici depuis 1969, parle d’une recrudescence des violences en tirant sur sa e-cigarette : « Dans la rue, j’ai peur. J’ose plus afficher mes bijoux, je mets tout dans mes poches. » Avant d’ajouter en soupirant : « Il y a beaucoup de Roms et de Maghrébins, on est envahis, la ville a changé. »
Son amie, Marie, assise à ses côtés, lui coupe la parole pour pointer du doigt une voiture décapotable conduite par un jeune d’origine maghrébine : « Ils sont au chômage, mais ils paradent dans de belles bagnoles comme ça. Vous trouvez ça normal ? » Avant que l’on se quitte, les deux mamies nous encouragent à ne pas nous aventurer dans la cité sociale de Sabatot, au nord, qu’elles décrivent comme un véritable « coupe-gorge ».
« Ils nous font des sourires, mais on sait que derrière ils votent FN »
Sabatot est un ensemble d’immeubles de trois étages rutilant. Non loin de là, une mosquée a été construite mais elle est dépourvue de minaret et s’inscrit pleinement dans le paysage provençal. « Ce n’est pas Chicago ici, se marre sur son vélo Zouhair, 27 ans. Le vrai problème c’est l’islam, ça leur fait peur. Les vieux nous font des sourires, mais on sait que derrière ils votent FN. » Son pote Mohamed, en survêt de l’AC Milan, ajoute en pointant du doigt plusieurs jeunes :
« Il y a de tout ici : lui, il est bac + 4 ; lui, il est chef d’entreprise ; lui, il est flic ; moi j’ai un bac + 5 en finance. Il y a des bons mecs ici. Faut que Collard arrête de dire que l’on ne vit que grâce au RSA. Le Front national utilise la peur pour se faire élire mais on a bien vu ce qu’il se passe quand ils sont aux affaires. Il suffit de repenser à Vitrolles et Marignane. »
Sur la carte de Saint-Gilles épinglée sur un mur de la permanence FN et représentant les différentes zones de tractage, la cité Sabatot a été barrée en rouge, comme un territoire perdu d’avance. Il semble loin le temps où Jean-Pierre Stirbois labourait les cités HLM de Dreux, lors de la percée électorale du FN, en 1983. L’avocat marseillais assure le service minimum et se contente de faire campagne sur son nom et celui de quelques stars frontistes.
Le 8 mars, il a d’ailleurs fait appel à sa collègue de l’Assemblée nationale, Marion Maréchal-Le Pen, pour annoncer son programme. Devant un public de trois cents personnes, la plupart au crâne dégarni, l’avocat marseillais déroule la vulgate frontiste habituelle : « délinquance zéro », « lutte contre les gaspillages », « défense de la laïcité », « consultation de la population via des référendums locaux ».
Pour faire couleur locale, Gilbert Collard délivre tout de même une anecdote : « L’autre jour, je me promenais dans les environs de l’abbatiale et j’ai vu un sexe taggué. Ça veut dire : ‘Pissez ici.’ C’est inacceptable. Regardez le Puy du Fou, avant qu’on s’en occupe, c’était un trou. Nous, nous avons cette abbatiale que le monde entier nous envie et un port qui a été créé par Saint Louis. Qu’avons-nous fait de ces trésors ? Il faut redynamiser la ville ! » Le public applaudit à tout rompre.
Collard s’isole, ses ennemis font « front »
Après le meeting, le DJ local balance Get Lucky – ignorant sans doute que Marion Maréchal-Le Pen avait bugué dessus un mois plus tôt lors d’un quiz musical sur RMC. Le public frontiste dodeline de la tête puis s’agglutine rapidement autour de « Gilbert et Marion ». Les personnes âgées s’amusent au jeu des sept différences entre Marion et sa tante Marine, les plus jeunes tentent d’obtenir une photo-souvenir à poster sur Facebook. Quinze minutes plus tard, le « Frontiste Land » prend fin. Gilbert Collard s’engouffre dans une Mercedes. « J’y vais pour éviter les incidents avec les jeunes des quartiers », confie-t-il à une militante au moment de lui dire au revoir.
Le lendemain, toute la ville se rassemble pour le grand marché dominical. Gilbert Collard se contente d’observer le spectacle de la terrasse d’un café, lunettes de soleil sur le nez. Malgré les sollicitations de son équipe, il refuse de se rendre sur place. « On ne va pas au conflit », répète-t-il inlassablement à ses proches. Des « proches » que les méthodes « collardiennes » exaspèrent de plus en plus. Trois directeurs de campagne se sont succédé depuis le début de la campagne électorale.
Et pendant que Gilbert Collard s’isole, ses ennemis font « front ». Après le dernier conseil municipal, le 13 mars, le maire socialiste et les deux candidats de droite ont poussé les tables pour prendre un verre ensemble autour de quelques tapas. « On a bu des canons et nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il est hors de question que la ville renoue avec son passé frontiste. Ça n’arrivera pas, faites-moi confiance », assure le maire Alain Gaido. Verdict le 30 mars. Si Collard n’est pas élu dès le premier tour…
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