Depuis 2015, le Burkina Faso est frappé par des attaques djihadistes régulières et meurtrières, surtout dans le nord et l’est du pays. Entre insécurité et manque de moyens économiques, les journalistes burkinabés tentent, malgré tout, de faire leur métier. À Ouagadougou, une série de formations leur apprend à se protéger sur le terrain.
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Le bâtiment est impressionnant. Niché au cœur de Ouaga 2000, un quartier huppé de la capitale burkinabée, le centre commercial construit en 2017 par la Libyan Arab African Investiment Company ne laisse échapper aucun son à l’heure du déjeuner. Au quatrième étage, la moquette bleue décolorée et les décorations de Noël – nous sommes au mois de juin – dénotent. Derrière des box vitrés, l’ébullition règne. Après une période de fermeture contrainte, les journalistes de la radio Omega reprennent le travail. Le 8 juin, au lendemain de trois jours de deuil national suite à l’attaque terroriste de Solhan, le Conseil supérieur de la communication (CSC) a suspendu la radio et la télévision du groupe privé Omega Médias pendant cinq jours. En cause : « des manquements graves dans le traitement de l’information relative à l’attaque terroriste perpétrée contre les populations de Solhan ». Parmi les points de tension, le CSC cite la diffusion d’un bilan humain supérieur aux chiffres officiels (160 victimes contre 132).
« C’est une sanction disproportionnée, abusive, partiale et précipitée », déplore Ouezzin Louis Oulon, directeur général du groupe Omega Medias. En interne, on pensait que le licenciement du rédacteur en chef serait « suffisant » aux yeux du CSC. Derrière son bureau encombré à la climatisation fuyante, le directeur interpelle : « On m’a demandé de dévoiler mes sources… Quelle image cette affaire renvoie-t-elle du Burkina Faso en termes de liberté de la presse ? » À demi-mot, il confie le manque de transparence des autorités, et l’impossible accès à certaines zones. Dans ce cas précis, Ouezzin Louis Oulon a choisi de publier les informations obtenues par ses correspondants, plutôt que d’attendre une confirmation officielle qui tardait à venir.
Deux journalistes tués en avril
En 2019, afin de lutter activement contre les fake news qui pullulent dans le pays, le gouvernement a modifié le code pénal pour durcir les peines encourues. Mais dans un pays en proie aux attaques djihadistes, la situation est difficile pour les journalistes qui tentent d’informer, parfois au péril de leur vie. Six cas d’agressions ont été recensés en 2020. En avril dernier, deux reporters espagnols ont été tués. Peut-on, alors, éviter le black-out médiatique dans les régions où l’insécurité règne ?
Affable, loquace, mais pas bavard, derrière ses petites lunettes, Ouezzin Louis Oulon garde l’œil amusé en saluant ses journalistes. Fondé en 2011 par Alpha Barry, l’actuel ministre des affaires étrangères, la chaîne de radio et de télévision d’Omega connaît un succès fulgurant, trois ans plus tard, grâce à sa couverture de l’insurrection, puis celle du putsch manqué. Sa marque de fabrique ? Du direct, du direct et encore du direct. « Omega tombait à pic », se remémore, un brin nostalgique, Albert Nagreogo, rédacteur en chef de la radio de 2012 à 2016. « Avec le départ de Blaise Compaoré, nous étions dans un tournant décisif de l’histoire du régime. Surtout, nous étions portés par une société civile très forte en demande d’informations et de débats. » Aujourd’hui, le journaliste met son expérience au service de l’inclusion des jeunes sahéliens dans les médias.
« Ils savent où nous habitons »
A une quinzaine de minutes de circulation de l’aéroport, direction la Ruche, un espace de coworking. Organisée par CFI (l’agence française de développement médias) et financée par l’AFD, le programme Media Sahel tient une formation sur le journalisme sensible au genre et au conflit. Devant six journalistes issus de différentes régions, Albert Nagreogo aborde pêle-mêle : les stéréotypes de genre, le traitement médiatique des violences sexuelles, les enjeux des conflits armés au Sahel, la parole des victimes, ou encore la mise en place d’un système de protection
des journalistes. Soulever ces questions apparaît comme essentiel dans un pays où journalistes et animateurs font parfois l’objet de menaces directes. Cette peur, Soumaila* l’a plusieurs fois ressentie.
Ce participant vient du nord du pays, à 200 kilomètres de Ouagadougou, où il travaille pour Radio LCD, une antenne – autrefois – spécialisée sur les questions de changement climatique. Derrière ses grandes lunettes carrées, le trentenaire explique : « Depuis le début de la crise, la radio ne fonctionne plus normalement. Nous ne faisons plus de journaux, il n’y a plus de rédacteurs en chefs, et plus de rédaction… » Avant, la radio était connue pour ses interactions en direct avec les auditeurs. Tout a basculé le jour où un chef djihadiste a menacé Soumaila en direct alors qu’il animait un débat sur la contraception. Peu à peu, le procédé est devenu quotidien. « Nous n’avons pas d’autres choix que de les laisser parler, martèle-t-il en haussant les épaules. Ils savent où nous habitons, nous appellent sur nos portables, et connaissent les membres de nos familles. »
« Que feriez-vous à ma place ?! »
Profitant de la pause de la formation, Edouard Ouedraogo lance un débat sur le retrait des troupes françaises au Sahel. « Nous devons avoir peur et rester vigilant », lance le journaliste. Plus de 275 000 personnes ont été « contraintes de fuir une nouvelle flambée de violences » depuis avril, rapporte le Conseil norvégien pour les réfugiés. Edouard, 40 ans, est reporter pour la chaîne publique, Radio Television Burkina. « La collecte de l’information, surtout sur les enjeux sécuritaires, est très compliquée. Les autorités font de la rétention d’informations dans certains domaines, et en tant que média national, nous sommes tenus d’attendre, systématiquement, leur confirmation. Ce qui n’est pas toujours évident dans un contexte d’accélération de la diffusion de l’information. » Lui n’a pas été directement menacé, mais a vu des collègues en souffrir terriblement. Il ajoute : « Quoiqu’il en soit, on traite toujours l’information d’une manière ou d’une autre. » Sur Radio LCD, Soumaila s’est résolu à ne plus parler que de la pluie et du beau temps. « Que feriez-vous à ma place ?! », interroge-t-il en levant les mains au ciel.
*Le nom a été modifié pour des raisons de sécurité
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