Emblème du multiculturalisme de Londres, modèle de réussite sociale, Sadiq Khan est devenu le nouveau maire de Londres malgré une campagne amère marquée par des accusations d’extrémisme.
L’ancien stade olympique de Londres a vu défiler de nombreux athlètes pendant l’été 2012. Mais le soir du jeudi 28 avril, c’est le peloton de tête de la course à la mairie de Londres qui a recueilli les applaudissements du public. Surtout Sadiq Khan. Malgré la fatigue de fin de campagne, le candidat du Parti travailliste, du haut de son 1,65 m à tout casser, a la voix qui porte. A défaut de devenir le maire le plus grand, Sadiq Khan pourrait devenir le premier maire musulman de la capitale britannique jeudi prochain.
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Ces derniers mois, le candidat travailliste a distancé son (principal) rival, le conservateur Zac Goldsmith : selon un sondage YouGov, 16 points les séparaient à deux semaines de l’élection. Un écart difficile si ce n’est impossible à rattraper. Mais dans une ville “de plus en plus à gauche” estime Tony Travers, prof de politique à la LSE (London School of Economics), seul un conservateur excentrique comme Boris Johnson, le maire sortant, aurait pu séduire les Londoniens. Et Sadiq Khan a un autre atout : son histoire.
Histoire d’une réussite
Sadiq Khan naît le 8 octobre 1970 à Tooting, au sud de Londres. Ce fils d’immigrés pakistanais grandit dans un milieu très modeste : son père est chauffeur de bus, sa mère couturière, et ils élèvent leurs nombreux enfants dans un HLM. Après une scolarité dans des établissements publics, Sadiq Khan intègre la University of North London où il étudie le droit. « C’est l’histoire d’une réussite », analyse Andrew Harrop, secrétaire général de la Fabian Society, prestigieux club politique de gauche qui existe depuis depuis 1884 et dont Sadiq Khan a été le président.
« Quand ses parents sont arrivés, ils n’avaient presque rien, mais ils ont travaillé dur, et lui aussi a travaillé dur pour devenir avocat ».
Sadiq Khan commence son ascension vers la mairie de Londres dès 1996, quand il devient conseiller du quartier de Wandsworth, en parallèle de ses activités juridiques. En 2005, il raccroche sa robe d’avocat et est élu député pour la circonscription de Tooting, un poste auquel il sera reconduit en 2010 et 2015. Sous le Premier ministre travailliste Gordon Brown, il devient secrétaire d’État aux Communautés en 2008, puis aux Transports en 2009. « Il ne fait pas partie de l’establishment. Quand il est devenu conseiller, aucun membre de sa famille ne faisait de la politique », commente Jasvir Singh, un militant du parti travailliste qui connaît le candidat depuis plusieurs années.
« Il incarne tout ce que Londres a de bon : la diversité et l’idée que n’importe qui peut réussir. »
Lutte des classes
Sur les prospectus glissés dans les boîtes aux lettres, Sadiq Khan se présente donc comme « le garçon du HLM qui va régler la crise du logement », « le britannique musulman qui va s’attaquer aux extrémistes », « le fils du chauffeur de bus qui va mettre un terme à l’augmentation du prix des titres de transport ». Son histoire est devenue le leitmotiv de sa campagne.
« Dans une ville multiculturelle comme Londres, son origine, mais aussi son milieu social, ça parle aux gens. Surtout qu’en face de lui, il a un conservateur plein aux as », fait remarquer Patricia Thane, prof d’histoire contemporaine à King’s College.
De fait, Zac Goldsmith est le fils du milliardaire Jimmy Goldsmith, homme d’affaires et homme politique franco-britannique, qui l’a envoyé à Eton, école élitiste et coûteuse, et son premier job, il l’a décroché dans le journal de son oncle. Agacé de voir son adversaire « jouer la carte des origines », le candidat conservateur tente de séduire certaines communautés de Londres avec des tracts spécifiquement adressés aux hindous originaires du Gujarat ou aux sikhs venus du Pendjab, qui accusent notamment Sadiq Khan de vouloir imposer une « taxe sur les bijoux de famille ».
« Pour commencer, c’est très réducteur de déterminer la religion d’une personne à partir de son nom. Et puis ces documents jouent sur les pires stéréotypes, comme si tous les ménages indiens possédaient plein de bijoux en or« , critique Shazia Awan qui s’était présentée pour devenir députée sous les couleurs du Parti conservateur en 2001. Et elle ajoute : « En répandant des fausses histoires à propos d’une taxe qui n’existe pas, Zac Goldsmith ne mérite pas le soutien de conservateurs comme moi ».
Tribunal conservateur
Shazia Awan n’est pas la seule sympathisante des Tories qui s’avoue déçue. Dans une tribune publiée sur le Middle East Eye, Peter Oborne, un ancien rédacteur en chef du Daily Mail, tabloïd de droite, compare la campagne politique de Zac Goldsmith à celle de Donald Trump et… appelle à voter pour son adversaire.
« Sadiq Khan a mené une campagne positive et optimiste. Son équipe est restée forte face aux histoires alarmistes que le parti conservateur a essayé de faire circuler sur Sadiq Khan » analyse Shazia Awan.
Ces dernières semaines, plusieurs membres du parti conservateur ont accusé Sadiq Khan de flirter avec les extrémistes musulmans : la ministre de l’Intérieur Theresa May, Boris Johnson, le ministre de la défense Michael Fallon, et même David Cameron. Questionné sur ses liens avec Babar Ahmad – un Britannique extradé aux Etats-Unis et condamné pour propagande djihadiste –, Sadiq Khan a admis qu’en tant qu’avocat des droits de l’homme, il a représenté des « individus peu recommandables ». Interrogé sur sa rencontre avec Suliman Gani – l’ancien imam du centre islamique de Tooting, accusé à tort de soutenir l’État Islamique –, il a répliqué qu’en tant que député, il devait dialoguer avec tous les représentants religieux de sa circonscription.
Musulman modéré, homme politique libéral
Toutes ces accusations pourraient-elles inquiéter les électeurs ? « Sur le terrain, ce serait mentir de dire qu’il n’y a aucun impact : certains ont reconsidéré leur vote, mais c’est une minorité« , se rassure Jasvir Singh. Il faut dire que Sadiq Khan ne renvoie pas du tout l’image d’un musulman radical. “Il a voté en faveur du mariage pour tous et s’est opposé au boycott d’Israël. Ce ne sont pas les actions d’un extrémiste” note Shazia Azam. « Il n’a pas peur des défis. Il a été visé par une fatwa car il soutient les droits des LGBT » rappelle Jasvir Singh. « Il croit en une société libérale, où tout le monde a sa place », ajoute Andrew Harrop.
Sadiq Khan « fait partie de ce qu’on appelle la ‘soft left’, entre Jeremy Corbyn [à gauche de la gauche] et Tony Blair [à droite de la gauche] », explique le secrétaire général de la Fabian Society.
Plus proche d’Ed Miliband, l’ancien chef de l’opposition, Sadiq Khan était son directeur de campagne pour les élections générales de mai 2015 qui ont vu David Cameron triompher. « Il était sûrement déçu mais il avait déjà une autre élection en tête », glisse Andrew Harrop. Quelques jours après la défaite cuisante d’Ed Miliband, Sadiq Khan officialise son ambition, avant d’être choisi pour représenter le parti en septembre. « Il veut être maire depuis quelques années déjà », raconte Andrew Harrop.
« En 2013, il a demandé à Ed Miliband de le nommer secrétaire d’État pour Londres du ‘shadow cabinet’*. La même année, il a publié un ouvrage avec ses recommandations pour la ville de Londres. »
Sadiq Khan n’a donc pas fini d’écrire son « histoire de la réussite », qui le conduira du HLM au City Hall. Si les londoniens lui donnent sa chance.
*Au Royaume-Uni, le “cabinet fantôme” est formé par l’opposition. En 2013, le parti conservateur mené par David Cameron est au pouvoir et le parti travailliste mené par Ed Miliband constitue l’opposition.
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