Sadaf Khadem est l’un des talents montants de la boxe internationale. Mais cette Iranienne a tout sacrifié à sa passion et doit désormais vivre loin de son pays, qui traverse actuellement une crise politique violente. Rencontre
La boxe, c’est la passion pour laquelle Sadaf Khadem a tout sacrifié. Le 13 avril 2019, cette jeune boxeuse iranienne de 24 ans gagne pour la première fois un match international en France. Mais trois jours après sa victoire, au moment de prendre le vol retour, elle apprend que son entraîneur et elle ne peuvent rentrer car un mandat d’arrêt a été délivré contre eux: dans son pays, pratiquer un sport pour une femme est quasiment impossible. En effet, ces dernières se heurtent rapidement aux limites imposées à leur liberté: il leur est interdit de pratiquer un sport dans un lieu public les bras et les cheveux découverts, de participer à des compétitions mixtes nationales ou internationales, de s’entraîner avec des hommes. Ayant désobéi à ces règles, Sadaf Khadem se voit obligée de rester en France, à Royan où elle s’entraîne désormais.
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Son cas n’est pas isolé. En 2015, Niloufar Ardalan, la capitaine de l’équipe iranienne de foot en salle, ne peut pas aller aux qualifications des championnats d’Asie car son mari refuse de lui donner son passeport. Un droit qu’il peut exercer en Iran et qui empêchera Niloufar Ardalan de quitter son pays. En 2018, les trois sœurs Mansourian, multiples championnes du monde de wushu, se voient interdire l’accès à la chaîne nationale de radio iranienne où elles sont invitées “à cause de leurs tenues inadéquates”.
En Iran, le simple fait d’assister à un match masculin est interdit: depuis la révolution islamique de 1979, les femmes sont bannies des stades avec des conséquences parfois tragiques. Le 2 septembre dernier, une jeune femme de 29 ans s’est immolée par le feu après avoir écopé de six mois d’emprisonnement. Elle était entrée dans un stade pour assister à une compétition sportive. Suite à ce drame, exceptionnellement, le 10 octobre, après pression de la FIFA, les femmes iraniennes ont pu assister à un match de qualification pour le mondial de foot qui se déroulait à Téhéran.
À cela s’ajoute la crise que traverse actuellement l’Iran. Depuis le 15 novembre, la hausse du prix de l’essence a engendré des manifestations dans tout le pays. En réaction, l’armée a tiré à balles réelles dans la foule, Amnesty International comptabilisait au moins 106 morts au 20 novembre. De plus, Internet est suspendu au niveau national, coupant encore plus l’Iran du reste du monde. Dans ce contexte particulièrement tendu, pour réussir à parler à Sadaf Khadem, il faut montrer patte blanche. Et c’est Francky Weus, le très protecteur directeur du club de boxe de Royan de Sadaf qui filtre. Très inquiet des possibles répercussions d’une interview sur la vie de sa jeune protégée, sa voix vibre dès qu’il parle de la jeune femme: “C’est une fille vraiment courageuse, elle est incroyable. En Iran, elle venait de la bourgeoisie, elle avait une vie luxueuse, elle faisait même du violon. Ici, elle vit dans une chambre de bonne et elle travaille quand elle peut pour s’en sortir, en plus de ses entraînements. Ce n’est pas tout le monde qui peut faire ça. Sadaf a une force de caractère impressionnante.”
Il prévient d’emblée: il faut faire attention aux questions qu’on lui pose car la famille de Sadaf Khadem est toujours en Iran et elle ne veut pas la mettre en danger. Après discussion, analyse de nos motivations et enfin validation de la part du directeur du club, on peut enfin parler à Sadaf Khadem. Sortant d’un entraînement, la jeune femme est d’une énergie débordante et la discussion alterne entre anglais et quelques mots de français qu’elle “apprend pour mieux s’intégrer”. Interview.
Dans un pays où la boxe est interdite aux femmes, comment as-tu commencé à boxer?
Avant de boxer, je faisais du basket. Il y a plusieurs sports autorisés pour les femmes en Iran, dont celui-ci, parce qu’on peut le pratiquer en hijab et le corps couvert. Je m’entraînais beaucoup. Pour me muscler, je me suis mise à la boxe et rapidement j’ai adoré ça, et j’ai décidé de me consacrer exclusivement à cet “art”. Comme on n’a pas le droit d’avoir un entraîneur masculin et qu’il n’y a pas de fédération de boxe féminine en Iran, j’ai vite rencontré des problèmes. Je me suis entraînée en secret dans des parcs, dans des salles de sport privées, soutenue par des entraîneurs masculins. Contrairement à l’idée reçue, malgré les difficultés, je ne suis pas la seule femme à faire de la boxe en Iran. Il y a plein de filles excellentes, mais à moins de prendre le risque de ne plus pouvoir rentrer dans son pays, elles n’iront jamais boxer à l’étranger.
Pourtant, toi, tu as pris le risque d’aller combattre en France, sachant que tu ne pourrais pas revenir dans ton pays…
J’ai toujours su que je ne pourrais pas faire de matchs internationaux. Aujourd’hui j’ai 24 ans mais si j’attends que l’Iran décide d’ouvrir mon sport aux femmes, j’aurai 40, 50 ou 60 ans, qui sait? En Iran, j’avais tout: un appartement, une salle de gym personnelle, une famille aisée. Je vivais comme une reine. Ici, je viens juste de commencer ma vie, c’est dur, mais je sais pourquoi j’ai tout quitté. Je pense que tout le monde peut faire ce que j’ai fait, il suffit d’avoir du courage, de savoir quelle est sa passion. Cela a été, pour moi, un choix évident.
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Comment a réagi l’Iran à l’annonce de ta victoire?
Ils ont dit que mon combat n’était pas officiel, que ma victoire ne représentait rien. Ils ne m’ont ni félicitée, ni exprimé de reconnaissance. Et puis je n’ai pas pu rentrer. Mais j’ai reçu énormément de messages enthousiastes d’Iraniens et d’Iraniennes via les réseaux sociaux. Si mes actes peuvent inspirer des gens, c’est génial! De plus, j’ai de la chance, les personnes que j’ai rencontrées en France m’ont beaucoup soutenue et aidée, j’ai pu trouver un travail, continuer à m’entraîner et je vais même combattre à nouveau: mon prochain match est dans quelques jours (Ndlr: le 30 novembre).
De violentes manifestations secouent l’Iran depuis plus d’une semaine, est-ce que cela a un impact sur ta vie personnelle et ta vie de boxeuse?
Pour être très sincère, ma famille est toujours en Iran et je ne peux pas m’exprimer sur ce qu’il s’y passe. En ce moment, je ne peux pas parler à mes proches puisqu’il n’y a plus d’Internet là-bas. J’ai l’habitude d’écrire tout le temps à mes parents, mais là ce n’est plus possible et c’est très difficile à vivre. Malgré mes victoires, notamment celle du 16 novembre à Bordeaux et le fait que j’ai un championnat régional très important le 30 novembre, je suis réticente à communiquer mes succès sur Instagram. En Iran, personne n’a Internet en ce moment, tout le monde vit quelque chose de compliqué, ce n’est pas le bon moment pour se réjouir.
Restes-tu quand même optimiste?
J’espère que les choses vont changer à la fois pour le peuple et pour le statut des femmes, qu’elles pourront pratiquer tous les sports. Mais je ne sais pas comment ça va évoluer. Si je dois choisir entre la boxe et mon pays, je choisirai la boxe. Mais je m’inquiète pour ma famille, dont je n’ai pas de nouvelles et je souhaite que tout le monde en Iran, ma famille, les Iranien·ne·s, soient en sécurité et aillent bien. Je veux que les Iranien·ne·s soient heureux.
Propos recueillis par Alice de Brancion
Cet article a été initialement publié sur ChEEk Magazine.
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