Les moines millennials, les hipsters du Shabbat ou les fashionistas en hijab stylisent la spiritualité et le culte religieux. Une quête de sens autant qu’un marché fructueux.
Un loft au cœur de Downtown New York. Devant la porte, une corde en velours rouge, un physio, une liste très privée. A l’intérieur, une grande tente d’inspiration bédouine dressée, un buffet conceptuel, des invités au visage curieusement familier. Mais les apparences sont trompeuses : nous ne sommes pas à une soirée de la fashion week mais sur le point d’entrer dans une des Torah Cocktail Parties de la Soho Synagogue, la plus avant-garde et jet-set de tout Big Apple.
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Quelques minutes plus tard, Matisyahu, un rabbin chantant des prières en version reggae et dubstep coiffé de papillotes revisitées façon dreadlocks, ouvre le bal. Peu de temps après, de la challah (brioche traditionnelle) sans gluten ni lactose et du vin vegan seront servis au parterre d’acteurs, scénaristes, musiciens présents. La soirée sera ensuite documentée par le biais de réseaux sociaux pieux et sa diffusion programmée pour respecter les heures du Shabbat – l’interdiction de l’usage de l’électricité coupant de fait les fidèles de la toile.
Des traditions hipsterisées
Ce service aussi religieux que pointu s’avère loin d’être unique en son genre. Dans le même esprit, de Los Angeles à Manhattan, la Lab/Shul, IKAR ou Town & Village repensent en profondeur le lien au sacré afin de mieux le relier au design et à la technologie.
Cette quête de sens et de communauté s’affiche toutes croyances confondues, avec un remix transversal qui s’inscrit entre l’histoire et l’actuel pour opérer une mutation de l’imaginaire religieux qui se double d’offres lifestyle ultra évoluées.
Par exemple, ces pratiquants juifs de la Soho Synagogue, surnommés les Chabad hipsters (“les branchés du Shabbat”), achètent leur traditionnels chapeaux chez Borsalino et s’habillent chez le tailleur au look de skateur Heimishe Ventures ; les femmes aux règles vestimentaires pudiques, elles, ne jurent que par les labels branchés The Frock et Mimu Maxi, façon Rick Owens ou Christophe Lemaire revus avec les longueurs réglementaires. Et leur perruque portée sur cheveux coupés, la sheitel, peut être personnalisée par nombre de coiffeurs spécialisés.
« Comment picoler dans le respect »
Quant au bouddhisme, il voit émerger un certain nombre de “millenial monks”, qui se décrivent comme “post-boudhistes” et s’inscrivent dans une foi repensée avec les dilemmes et les codes en prise avec le contemporain. Lodro Rinzler en est une des têtes pensantes. Lorsqu’il ne passe pas ses étés en retraite silencieuse au monastère Gampo au Canada, il signe une chronique dans le Huffington Post nommé “What Would Sid Do ?” (“Que ferait Sid, ou Siddharta Gautama, nom historique de Bouddha).
“Marche comme un Bouddha, même si ton patron est nul, ton ex te torture, et que tu as une gueule de bois”
Les thèmes abordés vont de “Comment picoler dans le respect” et “Que dirait Bouddha de Tinder ?” à “Faut-il le larguer ? Bouddha vous dit tout”. Sans oublier ses nombreux ouvrages aux titres évocateurs comme Walk Like a Buddha: Even if Your Boss Sucks, Your Ex Is Torturing You, and You’re Hungover Again (“Marche comme un Bouddha, même si ton patron est nul, ton ex te torture, et que tu as une gueule de bois”).
En Californie, on note aussi la montée en puissance des “hype priests” (prêtres branchés) et des “mega churches” (maxi églises), dont l’ordre religieux est tatoué, hyperactif sur internet, et habillé en Supreme, Louis Vuitton ou Saint Laurent.
Ils créeent des gifs animés-prières, des emojis qui symbolisent “I Love Jesus” et des teufs chrétiennes. Pour Morwenna Ferrier, rédactrice mode du Guardian, si cet engouement émerge tout particulièrement dans les pays occidentaux, c’est en partie dû à une “anxiété palpable et généralisée de l’époque dictée par le Brexit et Trump”.
Des hijabs hi-tech et customisés
Cette tendance est en grande partie connectée à la montée en puissance de la mode dite modeste, visant tout particulièrement les femmes musulmanes – et dont Forbes prédit qu’elle atteindra un chiffre d’affaires de 368 millions de dollars d’ici 2021. Voiles high-tech chez Uniqlo, anti-transpiration chez Nike ou haute couture chez Dolce & Gabbana, une offre complexe est destinée à séduire une clientèle dite “hijabista”(ou fashionista en hijab) ou “mipzter” (musulman hipster).
Des exemples ? Le mannequin Feriel Moulaï, qui a défilé couvert pour Koché, Halima Aden qui est apparue sur la couverture de CR Fashion Book ou de InStyle, ou l’influenceuse Ascia AKF (2,5 millions de followers sur Instagram), qui associe son voile à des piercings, des tatouages et des cheveux peroxydés. L’offre est décuplée : tapis de prières avec boussole intégrée, applis spécial ramadan ou indiquant La Mecque, Barbie à hijab pour les plus jeunes permettent d’allier croyance et grande consommation.
Ces évolutions font déjà l’objet d’études universitaires, comme chez les chercheuses Reina Lewis ou Carol Mann. Pour cette dernière, spécialiste des questions de genre et de religion, ce marketing du spirituel “révèle les besoins d’une nouvelle génération, souvent diasporique, qui passe par la mode pour réconcilier son héritage familial et son environnement occidental”. Comme un troisième espace, cette tendance réconcilie l’intime et l’universel, l’intemporel et l’éphémère. Contradictoire ? Non, 2019.
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