En Russie, l’art est descendu dans la rue. Un mouvement en pleine expansion dans un pays où les artistes ont appris à défier l’ordre établi.
(de Moscou) Un panneau « Attention, tandem en marche » à deux pas du Kremlin, des affiches de Medvedev en superhéros ou un oeil qui surveille Moscou de la place Rouge… En Russie, on connaissait déjà les tapages du groupe Voïna. Leur pénis géant dessiné face au siège du FSB (Service fédéral de sécurité) ou leur drapeau pirate hissé sur le bâtiment du Parlement. Depuis quelques années, on souriait des « festations », ces marches aux slogans absurdes – « Je suis contre tout », « Je ne te parle pas à toi » -, organisées pour contourner l’interdiction de manifester. Mais ces derniers mois, la contestation a vu de nouvelles performances investir le pavé russe.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Artiste à l’imagination foisonnante, Pavel 183 habille les rues de Moscou depuis plusieurs années. L’été dernier, il déguise les accès du métro moscovite en bataillon de CRS locaux rangés derrière leurs boucliers. Dans un atelier à Winzavod, une de ces friches industrielles reconverties en centre d’art contemporain, il raconte :
« L’art de rue est peu développé en Russie. Le graff, c’est à 85 % du vandalisme et peu de choses créatives. Mais une nouvelle génération prend la relève, plus conceptuelle, plus illustrative. »
« Un instrument pour s’exprimer librement »
[attachment id=298]Selon lui, cette poussée est due à l’attention croissante du public mais aussi au climat politique. « On voit tout un courant émerger, anarchiste, antiglobalisation, et cette forme d’art est bien sûr un instrument pour s’exprimer librement. » Ces derniers mois, le jeune homme a participé aux manifs, même s’il avoue être fatigué, comme l’illustre Election, une de ses dernières oeuvres. Avant la présidentielle, en plein coeur de Moscou, entre un bureau de vote et un commissariat, il peint une grand-mère et une enfant retranchées dans un abri survolé par un avion, prêt à lâcher ses bombes.
« J’ai voulu illustrer le sort des gens ordinaires, qui n’ont pas d’argent, les sans-droits, qui attendent juste que ça passe. C’est l’état de la population aujourd’hui en Russie. »
Faire réagir les gens, c’est l’idée de Monolog, l’auteur des affiches de l’ancien Président en superhéros ou du duo Poutine-Medvedev, en tenue de tennismen, placardées de nuit dans la capitale. « Pourquoi je fais ça ? Contre le culte de la personnalité. (…) Pour remonter le moral des passants, taper sur les nerfs des autorités, casser les stéréotypes. »
Le projet de l’Alternative urbaine de navigation détourne aussi les clichés. Fin 2011, ce groupe d’artistes installe une dizaine de panneaux de signalisation dans Moscou, même format, même typo, mais modifie les images et les messages. « Attention, tandem en marche » sur la place Rouge, « Corruption sur la route » ou « Piétons ivres » à la sortie d’un club branché. « Nous voulions faire un projet qui attire les artistes de rue, les écologistes, les militants et améliore l’environnement urbain », explique son initiateur au centre de design Art Play.
Drôle, poétique, engagée, cette jolie guérilla urbaine n’est pas sans rappeler l’art contestataire qui s’est développé en Russie dans les années 70. Souvent par l’absurde, elle tournait en ridicule la propagande et les normes sociales. Comme Dimitri Prigov, poète, qui sous l’URSS écrit un » Camarades ! » sur les arbres de la place Rouge avant d’être interné en hôpital psychiatrique. Comme les pseudo-manifestations du groupe Radek qui se fondait dans la foule avant de sortir banderoles et slogans absurdes, kidnappant les piétons dans leur rassemblement surprise. Ou encore comme Iron Curtain, du groupe Gnezdo, une plaque de fer installée en travers du chemin et en plein coeur de la guerre froide.
Sophie Dumeurger
{"type":"Banniere-Basse"}