Le magnat planétaire laisse de plus en plus transparaître sa peur d’Internet et sa crispation sur le modèle de la presse traditionnelle. Autopsie d’un has been.
Des décennies qu’il apparaît comme un visionnaire. La légende du maître du monde médiatique, à l’origine héritier d’un petit journal australien, touche à sa fin. Aujourd’hui, le « mythe » Rupert Murdoch, propriétaire de la 20th Century Fox, MySpace, Fox News, d’innombrables titres de presse et chaînes de télé, est largué. Il panique devant le modèle du journalisme web, qu’il ne comprend pas. Tente de s’agripper aux recettes rassurantes qui ont fait sa fortune, inapplicables aux nouveaux défis. A 78 ans, le patron à succès – multiples et durables – n’a plus qu’à prendre sa retraite.
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Le cheval de bataille de Murdoch depuis quelques années, c’est la lutte contre l’information gratuite. Echaudé par les difficultés de MySpace, en l’occurrence gratuit, et confronté à un bilan financier plombé par les pertes de recettes du papier, Murdoch a annoncé cet été que les éditions en ligne de ses journaux deviendraient payantes d’ici la mi-2010.
Le patron a cependant dû réviser son calendrier, et annoncer la semaine dernière que les délais ne seraient pas tenus. « Nous y travaillons très très dur, mais je ne promets pas que nous allons respecter cette date », a-t-il déclaré. Pour l’instant, seul le site du Wall Street Journal est en partie payant. En vue : The New York Post, The Sun, The Times et leurs editions dominicales.
Dans le numéro de novembre de Vanity Fair, le journaliste Michael Wolff publiait un portrait du milliardaire. Titré « Rupert Murdoch déclare la guerre à Internet », l’article révélait le décalage qui saisit le patron de presse dès qu’il s’agit du web, repaire de « pornographie, de voleurs, de pirates ».
Le 6 novembre, dans une interview à la chaîne Sky News Australia [voir la vidéo], Rupert Murdoch trahit sa conception dépassée d’Internet et des modèles économiques envisageables pour sauver les meubles.
Invité à préciser l’identité des « plagiaires » qu’il a si souvent dénoncés, Rupert Murdoch pointe du doigt « ceux qui piochent le contenu un peu partout, et volent nos sujets… ils les prennent… sans payer. C’est Google, Microsoft, Ask.com, beaucoup de monde. » Le patron de NewsCorp n’a jamais compris que Google Actualités indexe des articles issus de ses journaux. Pour lui, cette pratique s’apparente à du vol, puisque Google ne reverse pas un centime à Newscorp en échange de l’indexation. Murdoch s’attaque ainsi à la doctrine du « fair use » (que l’on peut traduire par « usage raisonné »), mise en avant par les moteurs de recherche pour justifier la mise à disposition des contenus issus de sites d’information. « Nous pensons que cette notion « d’usage raisonné » pourrait être contestée devant les tribunaux », affirme même Murdoch.
Evidemment, la visibilité des titres du groupe Newscorp dans des moteurs de recherche d’actualité rapporte du trafic. Mais Murdoch ne s’intéresse pas à ces visiteurs atterris « par hasard » sur ses précieux sites. Il considère que ces internautes errants ne rapportent rien. « Nous préférerions avoir moins de visiteurs, mais des visiteurs payants », a-t-il déclaré. Au risque de faire hurler tous ceux qui, au sein de son groupe, ont la lourde tâche de développer le référencement et le trafic, Rupert Murdoch a annoncé son intention de faire retirer ses titres des résultats de recherche. Ira-t-il jusqu’au bout, supprimant une vitrine pour ses journaux ? Probablement pas.
Selon le site Boing Boing (en anglais), le patron de Newscorp essaie juste de faire monter la sauce. Son coup de gueule prendrait racine dans l’expérience MySpace. En 2005, le magnat des médias rachète le réseau social pour 580 millions de dollars, une fortune pour une plate-forme ensuite écrasée par Facebook. A l’époque, Murdoch amortit la somme en concluant un partenariat exclusif avec Google, qui lui reverse des recettes publicitaires en échange d’une forte présence sur MySpace. Marqué par cette innovation, Murdoch n’arrive pas à tourner la page. Et espère, toujours selon Boing Boing, qu’un agrégateur d’actu lui propose un arrangement financier pour l’exclusivité de ses contenus. La carte « si vous voulez lire du Newscorp, c’est chez nous » serait-elle si alléchante ? Pas sûr…
Au-delà de son propre groupe, Murdoch devient prosélyte et espère entraîner derrière lui les patrons des principaux groupes de presse américains. Conscient de son influence et de sa réputation, il pense les emporter dans son sillage pour affaiblir l’information gratuite. « Je suis convaincu que si nous réussissons notre pari, les autres médias suivront notre exemple », affirme-t-il.
On peut légitimement douter de l’opération. Si le modèle payant peut s’avérer… payant pour des contenus exclusifs ou spécialisés (information financière, sportive, etc.), sa viabilité économique n’est pas assurée en ce qui concerne l’actualité générale. La formule administrée avec succès au Wall Street Journal pourrait se transformer en échec si elle était généralisée aux autres titres de Newscorp.
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