Rui Wang, même pas 30 ans, gère sa propre entreprise et préside l’Association des jeunes Chinois de France. Modèle d’intégration, il incarne aujourd’hui la colère de sa communauté contre le racisme et l’insécurité, cristallisée depuis l’agression mortelle d’un Chinois à Aubervilliers le 7 août.
Il a 29 ans, est habillé d’une chemise en jean dans un pantalon de costume marine et porte de larges lunettes noires sur le nez, qu’il pose et remet sans arrêt. Coupe de cheveux tendance, chaussures élégantes, Rui Wang a tout de l’apparence d’un jeune entrepreneur, assis derrière son bureau de la rue Réaumur (Paris IIIe). A la différence près que ces dernières semaines, en plus de gérer son entreprise dans l’immobilier, il organisait les rassemblements de la communauté asiatique à Paris, survenus après la mort de Chaolin Zhang à Aubervilliers.
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Ce couturier chinois de 49 ans et père de deux enfants, a été violemment agressé le 7 août dernier en plein centre d’Aubervillers alors qu’il marchait dans la rue avec l’un de ses amis, également chinois. Il n’a pas survécu à ses blessures et est mort à l’hôpital 5 jours plus tard, le 12 août. Une marche blanche, première mobilisation de la communauté chinoise suite au drame, a été organisée le dimanche 14 août à l’initiative de l’association de Rui Wang.
La communauté chinoise est descendue dans la rue dimanche 4 septembre 2016 à Paris pour manifester contre le racisme et l’insécurité AFP PHOTO / FRANCOIS GUILLOT
Ses revendications, portées par son association l’AJCF (Association des jeunes Chinois de France), sont simples : renforcer la sécurité dans cette banlieue de Seine-Saint-Denis où vit une partie de la communauté chinoise, en proie à des agressions en recrudescence.
“Plus de présence policière et des caméras de surveillance en nombre suffisant. La ville d’Aubervilliers, pas seulement l’Etat, doit prendre ses responsabilités. Elle peut envoyer des médiateurs, employer des policiers municipaux. J’ai l’impression que la ville et l’Etat se renvoient la balle devant le constat de l’insuffisance des moyens déployés”.
Rui Wang est clair, précis. Il ponctue son discours rodé d’apartés visant à rappeler qu’il n’est pas seul à agir. Il ne cherche pas (trop) la lumière. Il a refusé de faire la nouvelle émission de Yann Barthès sur TMC, mais a animé la grande manifestation du dimanche 4 septembre à Paris, en invectivant les politiques au micro dans la rue.
“J’ai l’impression que les citoyens ne se rendent pas assez compte de leur pouvoir”, déclare-t-il avec la conviction d’un idéaliste. “J’aimerais que cette manifestation soit un signal envoyé à la population : on peut s’organiser, on peut se faire entendre, on peut mettre la pression et obtenir des choses”.
Et lorsqu’on lui demande ce qu’il a obtenu, Rui Wang explique : “Nous n’avons pas préparé de plan d’étapes concret et négocié avec les collectivités locales, nous n’avons pas l’habitude du militantisme et de la politique, mais nous avons fixé cet impératif : que nos demandes soient réalisées avant la fin de l’année. Ce n’est pas la mer à boire”.
Du racisme latent au racisme violent
L’agression mortelle dont a été victime Chaolin Zhang est la partie visible de l’iceberg. Car avant cette violence flagrante et terrifiante, il y a ce que Rui Wang appelle le racisme « latent ». Ils se remémore les surnoms dont on a pu l’affubler dans sa jeunesse, du « chinetoque » aux expressions encore plus stigmatisantes, et raconte combien le mal commence ici.
« On nous colle une image, on nous fait rentrer dans une case et il devient impossible d’en sortir tellement les préjugés sont fortement ancrés dans l’inconscient. Cette marginalisation excluante, je pense que toutes les personnes de couleur la subissent. Et c’est d’abord contre cela que je me révolte.”
Il admet avoir été abstentionniste lors des dernières présidentielles. Séduit par aucun programme, trouvant que “rien n’était à la hauteur de ce qu’on attendait pour le pays”. Conscient de ce qu’il a initié, conscient d’avoir participé à faire exister médiatiquement sa communauté et engendré une mobilisation générale, peut-être pense-t-il incarner une sorte de renouveau. Il se positionne en rupture avec les générations de ses parents et grands-parents.
« Nos vieux sont habitués à faire des courbettes, et il faut dire que dans leur pays d’origine, qui ne sont pas les plus démocratiques, on ne les invitait pas trop à exprimer leur désaccord, argue-t-il. Nous, on en a marre et on refuse cet asservissement. On n’est pas obligé de tout accepter. Alors on a pris la parole et on a entraîné nos vieux avec nous. Aujourd’hui, nous sommes tous réunis pour la même cause ».
Régularisé grâce à Saint-Bernard
1997, en France. Jean-Pierre Chevènement est nommé ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin. La circulaire du 24 juin 1997, passée un an après l’expulsion de l’église Saint-Bernard, aboutit alors à la régularisation de 100 000 sans-papiers sur 140 000 demandes. Rui Wang s’en souvient, sa famille en faisait partie. “Coup de théâtre, la gauche prend le pouvoir !, raconte-t-il. Je me rappelle que lorsqu’on a obtenu les papiers, notre condition de vie s’est améliorée. On a déménagé à Bagnolet, je dormais dans le salon mais j’avais l’impression d’être un roi. Et la Coupe du monde, je l’ai regardée dans ce nouvel appartement ».
Il est scolarisé en CLIN (classe d’initiation pour les non-francophones) à l’âge de 8 ans et apprend le français à l’école. Il coule ses années lycée dans le XIXe arrondissement, dans l’établissement Henry Bergson classé en 2015 103e sur 109 au niveau départemental, en termes de qualité d’enseignement. Il obtient un bac S, avec un dossier assez solide pour être accepté à Paris-Dauphine où il avait postulé sans trop d’espoir, alors que la conseillère d’orientation lui avait suggéré d’envoyer sa candidature « puisque c’était gratuit« .
Rui Wang voulait réussir. Aujourd’hui il veut accomplir. Alors qu’il poursuit son bac+5, spécialisé dans la gestion immobilière, il fonde l’AJCF en 2009. Et en 2016, il la présente ainsi : « L’Association veut donner une structure pour la jeunesse. Je veux que les jeunes sentent qu’ils font partie de l’aventure et qu’ils peuvent contribuer à changer le monde.” Un beau programme.
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