Enclavé dans le luxe du XVIe arrondissement, un ensemble de ruelles discrètes déculotte le quartier d’Auteuil au profit d’un Paris libertin et nocturne. Entre couples altruistes et plaisirs égoïstes, bienvenue dans la rue des branleurs.
Il est bientôt 3h30 et dans la nuit noire, le grand blond commence à agiter sa langue comme une limace qu’on électrocute. La pluie crépite sur sa doudoune, il a à peine 20 ans. Penché sur la portière d’une voiture garée, son regard s’évertue à percer la buée qui s’agrippe à la vitre avant gauche.
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A l’intérieur du véhicule, les amoureux d’un soir s’embrassent, malgré la portée presque surréaliste de la scène. Voilà déjà quelques heures que lui et les autres attendaient dans le froid hivernal la venue d’un couple en voiture. Derrière cette patience tout terrain, l’espoir d’apercevoir un baiser, une caresse, et bien évidemment plus. Eux, ce sont les branleurs. Ou du moins c’est ainsi qu’il convient de les appeler au regard du surnom que brandit joliment leur périmètre d’action : la rue des branleurs.
Car c’est ici, coincé entre le bois de Boulogne et le boulevard Suchet, que se joue un curieux ballet entre exhibitionnistes et voyeurs. Les règles sont simples : les couples en voiture viennent s’y exposer dans toutes les positions, tandis que les branleurs profitent du spectacle pour se masturber en pleine rue. Souvent relayé au statut de simple mythe pour forums coquins, la rue des branleurs s’affirme pourtant comme une réalité toujours vivace, pour peu que l’on prenne le temps d’aller s’y garer lors d’une escapade nocturne.
On y découvre alors une foule de silhouettes errant sur les trottoirs des rues pavées, à seulement quelques mètres des lotissements voisins. On y voit aussi quelques voyeurs en voiture, tournant inlassablement dans les mêmes rues avec pour but de guider et de repérer les amoureux perdus et les exhibitionnistes trop timides. De quoi former un manège singulier, à mille lieues du calme familial qui berce le quartier une fois le jour venu.
Le parking dérange
Malgré son nom, la rue des branleurs ne se limite pas sur une seule et unique rue. Au contraire, c’est même un ensemble d’allées, d’avenues et de ruelles qui forme ce lieu de rendez-vous aux frontières floues et mouvantes. Pour certains, le spot remonte tout le XVIe arrondissement de Paris jusqu’aux abords de l’ambassade de Russie, où se concentrent plus particulièrement les amours gays. Pour d’autres, c’est avant tout au niveau de l’avenue du Maréchal-Lyautey, de l’avenue du Maréchal-Franchet-d’Esperey et du square Tolstoï que se trouve le cœur de la rue des branleurs.
Toujours est-il que tous les soirs, de 23 h à 4h du matin, le Sud-Ouest parisien devient l’un des lieux de pèlerinage exhibitionniste et voyeur les plus courus de France, au grand dam des habitants du quartier. Excédés par ces adeptes de la masturbation de rue, les riverains s’agacent donc rapidement à l’évocation de ce sujet sensible. Beaucoup d’entre eux préfèrent alerter la police qui depuis quelques années tente avec plus ou moins de succès de nettoyer l’endroit.
Un sas de décompression sexuelle
Sur un forum de voyeurs, un Parisien de 43 ans postait donc récemment un message d’avertissement :
“Les flics passent souvent et font petit à petit le ménage. Beaucoup de voyeurs sont surpris la bite à la main et emmenés au poste puis au tribunal. Certains policiers viennent même en couple avec des voitures banalisées.”
Pour éviter ça, chaque véhicule qui s’attarde rue des branleurs est donc d’abord méticuleusement examiné, afin de s’éviter les passages au commissariat. Dans le même temps, les branleurs n’hésitent pas à s’informer entre eux des éventuelles rondes policières ou même à chasser les voyeurs un peu trop irrespectueux.
Au final, cette entraide témoigne avant tout d’un lieu désormais classique dont l’adresse est maintenant inscrite au patrimoine secret du Paris libertin. Car si la rue des branleurs est devenue le lieu exhibitionniste le plus célèbre de la capitale, son histoire tient quasiment de la tradition. Sur les sites spécialisés et dans la bouche de quelques connaisseurs, il se dit en effet que dès le XIXe siècle, certaines dames y venaient en calèche afin de s’y montrer et parfois d’y choisir un partenaire d’un soir.
A la manière du bois de Boulogne, la rue des branleurs semble donc jouer depuis toujours le rôle d’un sas de décompression sexuelle où se réunissent en secret les uns et les autres, sans souci de classe, d’âge ou de bienséance. Mais surtout, la rue des branleurs doit sa réputation à sa spécialité du sexe en voiture : le dogging.
Pimenter sa vie sexuelle
“Mon mari et moi avons commencé le dogging il y a déjà presque dix ans, dans la rue des branleurs”, explique celle que nous appellerons Laura, 42 ans, adepte de ce passe-temps dont le nom se réfère à l’excuse fréquente de la promenade canine pour justifier une absence. “Comme baiser dans une voiture est illégal, nos sorties dogging ont quelque chose d’interdit qui a pas mal pimenté notre vie sexuelle.”
Mais derrière l’apparente spontanéité de cette pratique, le sexe en voiture répond lui aussi à certains codes prédéfinis : fenêtre ouverte si vous acceptez d’être observés, porte entrouverte si vous acceptez que quelqu’un vous rejoigne. Le jeu vire donc souvent à l’échangisme, comme l’explique Laura dont les premiers émois en “2+2” ont finalement eu lieu sur la banquette arrière d’une voiture garée près du boulevard Suchet. Pourtant, depuis quelques années, le couple a peu à peu délaissé les lieux au profit de nouveau spot de dogging comme la forêt de Meudon :
“On a bougé parce qu’avec les descentes de police et certains fouteurs de merde, la rue des branleurs est devenue un peu moins accueillante qu’à nos débuts. Mais je sais que des gens continuent à y aller encore régulièrement pour mater. Parfois même par nostalgie”.
Preuve que malgré les véhicules banalisées et les phénomènes de mode, les branleurs continueront à faire vaciller le quartier en quête d’étreintes moites et anonymes. Au premier rôle d’un drive-in aussi sexuel qu’il semble éternel.
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