« La Rue des allocs » sur M6, mélange raté de « Strip-tease » et de « Tellement vrai » à la sauce « Les Misérables », stigmatise sans recul ni pudeur des habitants d’Amiens victimes de la pauvreté. Les réseaux sociaux fulminent et le CSA est saisi.
« Ils vivent avec moins de 1 000 euros par mois », « comment vont-ils s’en sortir ? » demande en substance la voix-off au début de la nouvelle télé-réalité de M6. Cela aurait pu être très divertissant, à ceci près que ce n’est pas la dernière version de Pékin Express, mais la vraie vie.
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Le principe ? Filmer des pauvres ayant pour points communs de résider dans le même quartier et de dépendre des allocations pour vivre. Alcooliques, handicapés, dépressifs… Inspirée du programme anglais Benefits Street, l’émission n’a reculé devant rien, surtout pas devant le manque de pudeur et le voyeurisme racoleur.
@M6 je ne savais pas que mon quartier c'était le tiers monde… #RueDesAllocs
— Pasca (@pasca_w) August 17, 2016
Le Disneyland de la pauvreté
Les participants vivent dans le quartier de Saint-Leu au centre d’Amiens. Un quartier typique du Nord, traversé de canaux et de petites maisons de ville ouvrières. La toile de fond parfaite d’un Germinal esthétisé: moins au nord que dans l’œuvre d’Émile Zola et dans des corons moins effrayants. Le décor montre la jolie pauvreté, pas celle des cités, beaucoup moins télégénique.
L’émission décrit le quartier comme un endroit ou le taux de chômage frôle les 40 %. Une par une, la dizaine de personnes scrutées par les caméras de M6 pendant 6 mois sont présentées comme des candidats de télé-réalité, avec une fiche qui résume leur âge, le type d’allocation reçue et leur situation familiale. Après ces brèves présentations la voix-off prévient que « les habitants du quartier ne sont pas tous au chômage« , nous voilà rassurés.
Peut-être pour prouver grâce à des données solides qu’une telle misère existe vraiment,une carte en 3D du quartier montre, à chaque fois qu’elle se rend chez un nouveau « personnage », l’emplacement de sa maison de façon très précise. Une idée douteuse à l’heure ou le gouvernement diffuse des campagnes de prévention contre le harcèlement.
Un cadre qui donne l’impression que M6 découvre la pauvreté et la misère sociale qui touche une partie des Français, expliquant ce que sont les allocations sur un fond de musique triste. Avec plus de 2,5 millions de foyers bénéficiaires du RSA, les images auraient pu se passer de certains commentaires.
Clichés et accent picard
Le programme entre dans le vif du sujet avec Gitan et Kevin, qui essaient de vendre un camion sans clefs ni volant à un homme noir. Un plan séquence très long se terminant par une scène de racisme ordinaire ou Gitan se moque de l’accent du potentiel acheteur, tentant péniblement de l’imiter malgré son propre accent picard. Un choix à la limite du mauvais goût qui dessert tous les protagonistes.
L’émission, qui dure une heure et demie, enchaîne les clichés. Les hommes sont souvent alcooliques, « ils se retrouvent près de l’église, au coin » explique la voix-off, qui ajoute qu’ils y trompent « la faim et l’ennui » en buvant des bières. Le mari de Marie-Jo, lui, a été assassiné il y a plusieurs années devant chez elle. De ce fait, les femmes élèvent souvent seules leurs enfants, ou refont leur vie un autre compagnon, comme Jessica.
A 23 ans, et après avoir quitté le père de sa fille, un homme violent, la jeune femme retrouve l’amour dans les bras de « Beubeu ». Cumulant deux emplois pour faire vivre sa famille, pendant que celui-ci claque son RSA dans sa passion, le tuning.
Alcoolisme, violence, prison, décès, Johnny Halliday… tout y est, et l’impression qu’ils sont filmés comme des bêtes de foire afin de divertir les téléspectateur l’emporte sur celle que laisse un reportage constructif. Les téléspectateurs peuvent contempler et s’amuser du spectacle qu’offre la pauvreté: du drame, des larmes et des joies simples, ou comment rendre la misère sociale grand public.
À quand "Rue des rentiers" pour dénoncer les combines fiscales des riches, bien plus coûteuses que la fraude aux Apl dans #LaRueDesAllocs ?
— Nicolas Framont (@NicolasFramont) August 18, 2016
Le CSA saisi
Malgré le malaise et l’impudeur provoqués par le choix de certaines scènes et de certains commentaires, quelques passages sortent du lot. La plupart des personnes filmées sont très touchantes mais elles sont parfois décrédibilisées par des commentaires abjects et des scènes non nécessaires qui versent dans la stigmatisation.
« La fête commence tôt car c’est le jour des allocations et ça tombe bien, dans l’appartement, il n’y a plus rien à boire.” Il est 9h30 et la voix-off ajoute que les allocations de Philippe, « disparaissent dans l’alcool » car « quand il a un problème, Philippe boit« . Alors que le vrai problème est que Philippe boit car il est alcoolique, donc malade.
Le CSA a déjà été saisi par la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS), qui estime selon Libération que « ce documentaire multiplie les clichés, préjugés et remarques stigmatisantes à l’égard de personnes en situation de pauvreté rendues systématiquement responsables de leur situation« . Un avenir incertain pour ce « Bienvenue chez les pauvres » qui a fait moins de 10% de parts de marché et dont la date de diffusion des prochains épisodes n’a pas été fixée.
Après ce 1er épisode de #LaRueDesAllocs, je me joins à l'initiative de la @fnars: interdire l'indécence. Ce soir, la misère était morale. PK
— Patrick Kanner (@PatrickKanner) August 17, 2016
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