Le week-end dernier, la Côte des Basques se mettait aux couleurs du Roxy Pro, grande compète de surf féminin mise en œuvre par Quiksilver et Sosh. On en a profité pour aller s’y balader, s’imprégner de ce spot devenu mythique et interroger quelques surfeuses et locaux sur l’état actuel de la surf culture, plus de […]
Le week-end dernier, la Côte des Basques se mettait aux couleurs du Roxy Pro, grande compète de surf féminin mise en œuvre par Quiksilver et Sosh. On en a profité pour aller s’y balader, s’imprégner de ce spot devenu mythique et interroger quelques surfeuses et locaux sur l’état actuel de la surf culture, plus de cinquante ans après ses débuts.
Hawaii, la Californie, l’Australie dans la tête. L’image romantique du beach bum, mi-surfer mi-clochard, sorte de beatnik des plages incarné par des légendes comme Angie Reno. Et puis les Beach Boys, forcément, les vans Volkswagen, les hippies fumeurs de joints. Sans même remonter jusqu’aux origines sacrées de la pratique – au temps où ce bon vieux Capitaine Cook découvrait, fin XVIIIème dans le Pacifique, ces prières en forme de glissades sur la mer –, les fantasmes autour du surf ne manquent pas de nourrir l’imaginaire collectif, à base de liberté revendiquée, d’amour de la nature et d’une vie axée autour de la culture du plaisir.
Des décennies de clichés accumulés, donc, et une image du surfeur relevant du mythe urbain et, aussi, d’une certaine marginalité idéalisée par la culture Internet, où les vidéos de sports extrêmes pullulent et cartonnent. Le surf, toujours une sous-culture ? A l’heure où l’humanité entière surfe sur la toile, ce genre de catégorisation n’a plus rien de systématique. « Aujourd’hui, il y a de moins en moins de différenciation entre underground et mainstream. » Erwann Lameignère, rédacteur en chef de la belle revue Redux et commissaire des expositions Burning Ink, connaît Biarritz comme sa poche. Le surf ? « Il fait partie de la vie de tout le monde, ici. Ce sont les autres qui te définissent en tant que surfer. »
Une nouvelle vie
La première vague est surfée à Biarritz en 1956. Sous les yeux d’Ernest Hemingway en personne, dont une adaptation de son succès Le soleil se lève aussi est en train d’être tournée, le Californien Peter Viertel se dresse sur la mer de façon inédite, observant la Côte des Basques comme personne avant lui. Sa planche finira brisée sur les rochers, mais encore une fois : une scène originelle surréaliste et bouleversante, toute littéraire, qui marque les débuts d’une nouvelle pratique en France, d’un nouveau sport, d’un nouveau business – d’un nouveau mode de vie. Plus d’un demi-siècle plus tard, c’est dans un léger vertige qu’on débarque à Biarritz pour l’étape locale du Roxy Pro, grosse compète réunissant la crème mondiale du surf féminin.
Sur la Côte des Basques, des dizaines de surfeurs amateurs sont à l’eau, attendant les quelques vagues praticables. La mer est calme. Trop calme : repoussée de jour en jour la semaine dernière, l’épreuve biarrote sera finalement annulée pour cause de manque de vague, puis reprogrammée pour la fin septembre à Hossegor. Les stands sont pourtant là, ouverts et accueillants, les bannières sont dressées, quelques médias présents ; même le commentateur de l’épreuve, imperturbable, continue d’observer la plage, où les grosses vagues s’obstineront à ne pas éclater. Il y a un quelque chose d’un peu absurde dans cette compétition sans épreuve, ce joli paquet sans rien dedans. Mais l’enthousiasme reste intact : les photographes shootent les badauds lookés, quelques concerts ont lieu sur la plage du Port Vieux, les surfeuses se font interviewer.
« Le surf et la musique, ce sont deux formes d’art. »
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« Le surf reste une pratique contre-culturelle, même s’il y a maintenant une grosse professionnalisation. » Installée à Biarritz, Lee-Ann Curren est surfeuse et chanteuse du groupe Betty The Shark. De façon pas vraiment anecdotique, on peut préciser qu’elle est la fille de l’Américain Tom Curren, triple champion du monde de surf WCT. « Dans ma famille, tout le monde fait du surf et de la musique. Il y a plein de liens entre ces deux pratiques. Quand on surfe, il faut être en rythme avec la vague. Et quand on écoute de la musique avant d’aller surfer, on a une petite mélodie dans la tête qui nous guide. » Elle est comme ça, Lee-Ann. Quant à la Réunionnaise Justine Mauvin, surfeuse pro également et chanteuse sous le nom de Lili Fint, elle est un peu comme ça, aussi : « Le surf et la musique, ce sont deux formes d’art. Tu es libre de t’exprimer sur une vague, comme tu es libre de t’exprimer en musique. »
Le surf et la musique, ou l’équation d’une vie passée là où se termine la terre, là où commence la mer. Justine : « On est très proches de la nature. On évolue dans un environnement qui est beaucoup plus puissant que nous. Je pense que ça nous met dans un état d’esprit différent des gens autour. C’est assez unique comme monde. On est un peu perchés. (rire) » Elle ajoute : « Le surf influence ma façon de penser. On a un regard très posé sur les choses. Peu de gens prennent le temps de regarder la mer, par exemple. Nous, on regarde la mer, on l’observe. » Mais le surf n’est pas non plus le monde des Bisounours, ni les surfeurs des irresponsables déconnectés du reste de l’univers : « Le cliché du surfeur-branleur me répugne. A la Réunion, on a des petits soucis avec les requins en ce moment. On passe pour des idiots qui ne foutent rien, qui veulent tuer les requins, alors que pas du tout ! »
Une sous-culture récupérée par la culture de masse
A la fin des années 50 et au début des 60, les premiers clubs de surf et les premières compètes apparaissent très vite à Biarritz. Une presse spécialisée fait également son apparition, tout comme les surfshops et les écoles de glisse. Dans les années 70, ce sont les hippies d’ici qui s’en emparent, trouvant dans cette pratique un peu de ce que leurs idéaux réclament. A partir des années 80, le surf ne fera que grandir, se banaliser, s’institutionnaliser. Une sous-culture a émergé et, comme souvent, a été récupérée par la mode, les médias, la culture de masse. C’est ce que semble dire Lee-Ann : « De plus en plus de gens s’y intéressent. Même les marques de luxe pour leur communication. Mais je ne me sens pas dépossédées. Si le surf devient branché, tant mieux ! »
Et puis le surf, c’est aussi devenu un métier et un business, avec ses règles et ses contraintes. D’où la difficulté, parfois, de marier l’esprit de la pratique et sa professionnalisation. Justine : « J’ai arrêté la compétition il y a deux, trois ans. En France, on veut faire de nous des petits sportifs de haut niveau. Ailleurs, ils sont plus cool avec ça. C’est le plaisir avant tout. Le surf, c’est d’abord un mode de vie. » En fait, c’est peut-être le monde autour du surf qui a changé, et pas le surf en lui-même. « On commence à avoir une certaine reconnaissance dans le surf féminin. Il y a longtemps eu cette image du surfer-branleur, qui persiste mais qui est en train de changer. Ca nous permet de montrer que les femmes peuvent être aussi bonnes que les hommes dans ce genre de sports. Et même meilleures ! »
En 2013, femmes et hommes ont chacun leurs compétitions, mais la passion est effectivement la même, et les vagues ne font pas de différence : quand elles manquent, personne ne peut surfer, tout le monde reste à quai et patiente sous le soleil écrasant. Venir à Biarritz – cette « capitale de l’ennui » (c’est le philosophe Frédéric Schiffter qui parle) – a quelque chose d’assez chic en ce week-end de Roxy Pro. Plaisirs délicats de l’été, la flânerie et la pose prennent tout leur sens ici. On nous l’a assez répété : le surf est d’abord un mode de vie. Erwann Lameignère : « Le matin, quand j’allume mon ordi, je regarde mes mails, puis Le Monde, puis les vagues. » A Biarritz, on peut apprendre à surfer la vie.
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texte et photos Maxime de Abreu
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