Rédac chef adjoint à La Tribune, Romaric Godin démystifie le rêve européen et met en évidence l’inefficacité des politiques d’austérité.
Ce 24 juin 2016, l’Europe se réveille avec la gueule de bois. Déjouant les pronostics des instituts de sondage, les citoyens britanniques ont voté à près de 52 % pour que leur pays quitte l’Union européenne. Ce matin-là, dans le IXe arrondissement de Paris, le bruit d’un clavier maltraité inonde l’open space de La Tribune.
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Romaric Godin, le rédacteur en chef adjoint du site internet et de l’hebdomadaire économique, couche sur le papier une analyse sans concessions du Brexit. “Il faut voir la vitesse à laquelle il écrit, s’émerveille son jeune collègue Mathias Thépot. Ce jour-là, il a produit cinq ou six articles, soit environ 50 000 signes, en commençant un peu avant 8 heures. Le premier a été publié à 9 heures : il n’y avait rien à corriger, c’était une pépite.”
Des articles sur la crise grecque lus dans le monde entier
Comme à l’accoutumée, celui-ci s’inscrit à contre-courant des poncifs disséminés dans les médias. “L’UE doit à présent se faire aimer de ses peuples. (…) On peut se lamenter sur la défaite du ‘rêve européen’, mais la réalité, c’est que le Brexit prouve que l’UE dans sa forme actuelle n’a plus rien d’un ‘rêve’”, y lit-on.
Les mots sont tranchants, le constat irréfragable. C’est ce qui fait la force de Romaric Godin. “C’est un journaliste de 1960 garé dans le monde de 2010, estime le politiste Christophe Bouillaud, spécialiste de la vie politique européenne. Son travail repose sur sa spécialisation extrême sur l’Europe, si bien qu’il est difficile de le prendre en défaut.”
Par un petit miracle d’internet, ses articles sur la crise grecque du premier trimestre 2015 ont largement dépassé le cercle des lecteurs de La Tribune. Ils lui ont valu une grande reconnaissance, notamment chez des internautes las des sermons libéraux volontiers moralisateurs sur l’exercice du pouvoir de Syriza. C’est depuis “un coin paumé au fin fond de la Grèce” que ce jeune quadra né en 1973 nous répond par téléphone.
Une lecture dissidente de l’économie
Affable, curieux et volubile, il relate son parcours d’anti-petit soldat du journalisme, passé par une courte expérience de prof de français. Paradoxalement, alors qu’il reconnaît aujourd’hui défendre “des thèses plutôt keynésiennes”, il fait ses armes dans le journalisme en suivant la Bourse pour l’éphémère site Initiés.com, puis pour La Tribune, où il est embauché en 2002.
Lorsqu’intervient la crise de 2008, l’échec de la théorie économique classique lui saute aux yeux : “A l’été 2007, tous les grands économistes disaient que les subprimes étaient un phénomène limité aux Etats-Unis, que ça ne demanderait qu’une petite correction sur les marchés. Je les ai crus. Pourtant deux semaines plus tard, Lehman Brothers se déclarait en faillite. A partir de là, je ne pouvais plus les prendre au sérieux.”
Equilibriste talentueux entre éthique de la conviction et éthique de la responsabilité, ce lecteur avisé de Balzac assume un côté “poil à gratter”. A tel point que le rédacteur en chef du journal Fakir, François Ruffin, est devenu un de ses lecteurs réguliers : “Romaric Godin a une lecture dissidente, tout en travaillant dans un média supposé être capitaliste. Pouvoir s’appuyer sur une source piochée chez l’adversaire, c’est idéal !”
Lecture dissidente ? Le terme ne choque pas l’intéressé : “Le journalisme est une activité humaine, qui comprend une part de subjectivité. L’objectivité pure en journalisme, ça n’existe pas.” Creuser plutôt que faire creux : voilà le mantra de ce journaliste qui, comme l’enfant dans le conte d’Andersen, ose dire que “le roi est nu” en Europe.
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