Il était 007, Ivanhoé, Simon Templar ou Brett Sinclair. Il était sir Roger Moore. R.I.P.
C’était à l’époque du noir et blanc, quand samedi se conjuguait avec série, dans d’interminables après-midis à coincer la bulle devant la télé à deux chaînes. Dans La Une est à vous, le spectateur pouvait choisir par téléphone son héros et l’épisode de sa série préférée. C’était certainement truqué, mais personne ne s’en doutait.
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C’est comme cela qu’on a découvert son regard clair et son grain de beauté au coin du nez. Il était costumé en cotte de maille, une excalibur à la main, et réveillait la justice dans le moyen-âge anglais. Il était Ivanhoé.
Volvo P1800
Et puis un jour, dans la même lucarne, il est arrivé sans cheval et sans épée ; toujours avec son petit poireau au bord de la narine mais gominé, impeccable en costard cintré, pilotant une sportive blanche (une Volvo P1800), une auréole au-dessus de la tête : Le Saint.
Il triomphait encore des félons et des malveillants en 50 minutes, mais dans les années 1960 cette fois-ci, en plein swinging London. Le générique d’Edwin Asley sonnait comme un cri de ralliement au fil de 118 épisodes immanquables. Il annonçait Simon Templar, mais c’est ici que son nom d’acteur a supplanté son patronyme de héros : Roger Moore.
Tandem ubuesque
Il aurait déjà dû être James Bond, fin 1969, quand Sean Connery a remisé son trois-pièces au placard, mais il a dû attendre. Dans l’antichambre du rôle, il allait devenir Brett Sinclair, un rejeton en semi-retraite du Saint, dans une série express de seulement 24 épisodes, en tandem ubuesque avec Tony Curtis : The Persuaders!, traduit en français par Amicalement vôtre.
Les deux lascars justiciers, aux comptes en banque insondables, semaient la zizanie et sauvaient les âmes en peine sur la Côte d’Azur, en Ferrari et en Aston Martin ; l’une rouge, l’autre jaune, pour un duo dingue et drôle entre un golden boy new-yorkais et un Londonien de belle famille, sur fond de générique mythique signé John Barry.
L’Anglais des images d’Epinal
Dans cette haute voltige de théâtre filmé, Roger Moore était drôle, surtout. Avec sa panoplie de lord anglais – jusqu’au lustre posé sous un auvent de camping, toujours digne dans les instants fâcheux, et valeureux dans les états d’urgence. L’Anglais des images d’Epinal en somme.
Quand 007 a retoqué à sa porte, Moore était déjà un quadra bien installé, en surcharge pondérale évidente. “Ils m’ont demandé de perdre du poids, ils m’ont fait maigrir encore et encore pour que j’obtienne le rôle”, répétait-il à l’envi pour raconter son accession à l’élite du rôle d’espion.
Délicatesse romanesque
Il va aller jusqu’au très mince pour enfin incarner James Bond dans Vivre et laisser mourir, en 1973, suivi dans une évidence cinématographique par L’Homme au pistolet d’or, un an après
A la rudesse du 007 de Sean Connery, tout en testostérone et joues taillées à la serpe, Roger Moore a opposé un charme inconnu, plus proche des écrits originaux de Ian Flemming : plus féminin, familier des mondanités, plus raffiné et adepte du trait d’humour qui donnait une délicatesse romanesque au héros, tant dans les phases de combats que dans les moments plus intimes. So english. Always.
Placidité impénétrable
Avec lui, Bond est passé de la force à l’intelligence et de la prééminence masculine à la placidité impénétrable qui nourrira les interprétations futures de Pierce Brosnan et Daniel Craig.
Le problème avec James Bond, c’est que le personnage était addictif et la production tellement exclusive qu’elle interdisait contractuellement toute autre prestation à Hollywood. Durant ces “années bondage”, Moore n’aura eu qu’un seul véritable bon de sortie : pour Les Oies sauvages (1978), dans un thriller en mode sauvetage, au cœur de la Grèce et au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Bond for ever. Indeed.
Ultime galanterie
L’autre danger d’une carrière en 007 a été, pour Roger Moore, le syndrome footballistique du match de trop. A ce titre, il n’aurait jamais dû tourner Dangereusement vôtre. Bond, à 58 ans, sans le scénario adapté, y évoluait diaboliquement à contre-emploi. A sa décharge, on pourra invoquer la clause Grace Jones…
En retrait du cinéma, Roger Moore a eu la courtoisie de continuer sa carrière à côté des projecteurs, dans des seconds rôles ou dans des doublages, fidèle à l’humilité qui aura été la sienne durant ses années de gloire. Comme une ultime galanterie pour ne pas écorner son image, ses lettres de noblesse et le souvenir qu’il laisse à deux ou trois générations. So long.
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