À bientôt 72 ans, Robert Durst est un croque-mitaine qui hante la conscience états-unienne. Soupçonné d’avoir commis plusieurs meurtres, milliardaire aux pulsions transformistes, il a été arrêté après avoir avoué ses crimes par mégarde lors de l’enregistrement d’un documentaire d’HBO.
Un corps démembré, enfermé dans des sacs-poubelles flottant sur l’eau. Découverte d’un pêcheur dans la baie de Galveston, au Texas, au petit matin du 30 septembre 2001. La voisine de palier de la victime, une femme muette, locataire depuis quelques mois, a disparu. Dans son appartement vide, une perruque : la vieille femme était en fait un homme.
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Et pas n’importe lequel. La police texane réalise qu’il est non seulement membre d’une des familles les plus riches de New York, mais que sa femme a disparu dans des circonstances inexpliquées en 1982, entraînant un tourbillon médiatique dont il est sorti indemne. Robert Durst. Héritier d’une fortune immobilière pesant 4 milliards de dollars.
La chasse à l’homme prend fin quand Durst se fait bêtement arrêter sur le parking d’une station-service de Pennsylvanie pour vol de sandwich, alors qu’il dispose de 27 000 dollars en cash dans le coffre de sa voiture. Dans la boîte à gants se cache le permis de conduire de la victime démembrée et l’arme à feu avec laquelle elle a été exécutée.
Soupçonné depuis 33 ans dans plusieurs meurtres
Des faits qui ne représentent qu’une infime partie des frasques de Robert Durst, abonné aux gros titres de la presse américaine : 33 ans que des faisceaux de soupçons l’entourent dans plusieurs affaires de meurtres dont il s’est toujours tiré. Des crimes passés au crible d’une enquête de télévision, The Jinx, diffusée sur HBO en début d’année.
The Jinx est une sorte de Faites entrer l’accusé en six épisodes (sans Christophe Hondelatte). Les nombreuses scènes de reconstitution sont filmées dans l’esprit poisseux de True Detective, la fiction policière également signée HBO. The Jinx réalise un travail d’enquête poussé, entrecoupé de nombreux entretiens avec Robert Durst. Voix rauque, yeux noirs, tics à la chaîne : le spectateur découvre un vieux monsieur calculateur, droit dans ses bottes, au culot monstre.
La vie de Durst était déjà sensationnelle : The Jinx la propulse dans le jamais vu. Le matin de la diffusion du sixième et dernier épisode, le 14 mars, Durst est arrêté par le FBI.
Jusqu’à présent, Durst a toujours échappé aux griffes de la justice. Il a certes été jugé pour le meurtre de Galveston, en 2001, mais il dispose alors des meilleurs avocats texans pour défendre l’indéfendable. A la barre, il explique calmement pourquoi il s’est transformé en femme, comment il s’est peu à peu lié d’amitié avec son voisin de palier, puis comment il l’a tué « en état de légitime défense » lors d’une dispute, avant de le démembrer à la hache et à la scie. Les jurés, après cinq jours de délibéré, décident de l’acquitter à la surprise générale. Depuis ce procès, Durst est officiellement un tueur. Mais un tueur libre de ses mouvements.
Un psychopathe qui change d’identité tous les mois
Le détective Bobbi Bacha, un enquêteur de Galveston, remâche cette décision de justice depuis quatorze ans. Lors d’une conversation avec les internautes du site Reddit en mars, il décrit Durst comme un “Hannibal Lecter des temps modernes”, renforcé dans ses pulsions par des rentrées d’argent illimitées. Un psychopathe qui change d’identité tous les mois, voire chaque semaine.
Robert Durst, tueur en série ? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est qu’à bientôt 72 ans, Durst est un croque-mitaine qui hante la conscience états-unienne. Une figure morbide que chaque génération d’Américains identifie pour des affaires différentes. Son frère cadet Douglas dirige l’empire familial – qui comprend l’exploitation de la Freedom Tower de New York. Fait troublant, la famille Durst n’a jamais bougé le petit doigt pour retrouver la femme de Robert, comme si elle connaissait déjà l’issue du mystère. Douglas Durst semble aussi terrifié par son propre frère ; il a embauché des gardes du corps pour se protéger de lui.
La somme des articles sur lui est aussi épaisse que trois annuaires de la ville de New York, mais Durst n’a jamais accordé d’interviews. Jusqu’à The Jinx. L’auteur, Andrew Jarecki, est réalisateur. Sa chance, c’est d’avoir signé en 2010 un film médiocre inspiré de la vie de Durst. Interprété par Ryan Gosling, All Good Things (Love & Secrets en VF) évoque tendances transformistes et difficultés conjugales, mais ne se prononce pas sur les causes de la disparition de sa femme. Durst apprécie le film, et pour des motifs connus de lui seul, prend contact avec Jarecki pour une interview. Le scoop d’une vie pour Jarecki : un tueur milliardaire en liberté réclame son interview confession. Ainsi commence le projet The Jinx, sous-titré “Les vies et les morts de Robert Durst”.
« Qu’est-ce que j’ai fait ? Bien sûr que je les ai tous tués »
Lors du cinquième épisode de l’enquête, l’équipe de tournage déniche une preuve matérielle liant Durst au meurtre de Susan Berman, son amie et confidente, tuée d’une balle dans la tête juste avant qu’elle ne témoigne dans l’affaire de la disparition de son ex-femme. Lors d’une ultime interview, Jarecki lui flanque la preuve sous le nez (une note, vraisemblablement écrite de sa main, envoyée à la police de Los Angeles le jour du meurtre). Gêné – le milliardaire est notamment pris de rots intempestifs – il demande l’arrêt de l’entretien et part aux toilettes, le micro-cravate toujours accroché. Hors champ, le spectateur entend de curieux bruits gutturaux. Durst dialogue avec lui-même. Et le documentaire se termine par cette phrase, prononcée dans l’intimité des toilettes de Jarecki :
« Qu’est ce j’ai fait ?… Bien sûr que je les ai tous tués. »
Le dimanche de la diffusion de l’épisode, des agents fédéraux cueillent Durst à l’hôtel Marriott de La Nouvelle-Orléans. Déguisé en femme, il erre en marmonnant seul dans le lobby. Dans sa chambre sont retrouvés 146 grammes d’herbe, un masque en latex couleur chair, 140 000 dollars en liquide, un revolver et une carte géographique de Cuba. Emprisonné en Louisiane, Durst attend son extradition pour l’Etat de Californie, qui l’accuse désormais du meurtre de Susan Berman quinze ans après les faits.
Un commentaire relevé à l’insu de l’interviewé est-il juridiquement exploitable ?
The Jinx est un documentaire hors norme, sensationnel. Un crossover inédit entre art visuel et enquête judiciaire. Mais dans quel mesure pourra-t-il servir dans un tribunal ? Un commentaire relevé à l’insu de l’interviewé est-il juridiquement exploitable ? Combien de temps l’équipe de tournage a-t-elle retenu des éléments pouvant servir à son arrestation, survenue quelques heures avant le climax de la série ? Y a-t-il eu une quelconque coordination entre les autorités et HBO ? Autant d’énigmes que les avocats de Durst exploiteront à l’envi, en arguant que The Jinx n’est qu’un show à charge et manipulateur. Les reconstitutions sont lugubres et dans le magnifique générique, on entend le chanteur des Eels susurrer :
« Sweet baby, I need fresh blood… »
La date du procès n’est pas encore connue mais le suspense de The Jinx survit déjà à son épisode final. Il est probable que, comme le sparadrap du capitaine Haddock, The Jinx ne se détache pas de son créateur Andrew Jarecki, qui sait qu’il sera appelé comme témoin par les avocats du milliardaire. Il les a assez étudiés pour connaître leur redoutable virtuosité. Jarecki a coupé tout contact avec la presse la semaine suivant l’arrestation. Son documentaire a peut-être permis de confondre un tueur en série : le comble, c’est qu’il lui permettra peut-être aussi d’éviter la prison.
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