[Série de portraits consacrée aux grands flics] Connu principalement pour être le tombeur de Mesrine, Robert Broussard reste, à la veille de ses 80 ans, l’incarnation d’un mythe. Celui d’un policier, comme on n’en fait plus.
Il a beau avoir pris sa retraite il y a plus de vingt ans, son collier de barbe et sa renommée le trahissent toujours. Salué dans la rue, invité à sourire sur des selfies au restaurant, Robert Broussard rit de bon cœur quand un inconnu lui dit qu’il est « un grand homme« , et se renfrogne à la vue d’un smartphone. Cette admiration, il l’a méritée. Ses états de service sont impressionnants. Grand négociateur de prises d’otages, il a résolu les assassinats qui faisaient la une des journaux, lutté contre le FNLC, la French Connection, et tout ce que la France avait de crapules. Mais ce qui a fait de lui un ‘Superflic‘ aux yeux de tous, c’est le face à face musclé qui l’a opposé des années durant à l’ennemi public numéro 1.
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Le bon, la brute et l’affrontement
1973, rue Vergniaud dans le 13ème arrondissement, Paris. Mesrine, autoproclamé « le grand », gangster aussi dangereux que fascinant, est encerclé par la police dans sa planque. Il défie le commissaire de l’autre côté de la porte d’entrée de l’arrêter sans arme ni gilet pare-balles. Broussard accepte sans sourciller. Le criminel l’accueille avec un cigare et une bouteille de champagne pour fêter une arrestation « qui a de la gueule« . Diffusée dans les médias et montrée au cinéma, cette scène « un peu romancée » selon lui, mais bien réelle, est devenue culte.
L’un avait grandi dans la bourgeoisie parisienne, élevé par des parents commerçants de lingerie de luxe, l’autre est un fils de cheminot charentais. Le hasard en a fait les deux héros d’une saga trépidante pour la France entière. Broussard serait il devenu une légende sans Mesrine ? Il avoue que ce duel lui a « beaucoup servi par la suite, car l’opinion publique, hors contingences politiques, avait aimé ce côté chevaleresque ». Lui aussi d’ailleurs. A 80 ans bientôt, il a toujours le port de tête de ceux qui sont « droits dans leurs bottes ». Une expression qu’il utilise souvent. Tel un leitmotiv, cette idée que la droiture, à défaut de la morale, devrait être obligatoire. Un point sur lequel lui et Mesrine se retrouvaient.
Nous avions un respect réciproque. Il a demandé à me voir après cette arrestation. Seul à seul. Il m’a dit : « Broussard, j’ai demandé à te voir, parce qu’avant de partir pour un long voyage, c’est normal de saluer ses amis ». Je lui ai dit que j’étais flatté. Nous avons discuté plus d’une demi-heure. Nous avions presque le même âge à deux mois près, et, même si ce n’était pas de la même façon, nous avions tous les deux fait la guerre d’Algérie. Bien sûr, c’était un malade. Il était très agressif et fou d’orgueil, il le disait lui-même. Mais ce jour-là, il s’agissait d’une discussion entre deux types qui ont eu une vie en parallèle. On a connu les mêmes policiers, les mêmes truands. On avait des choses à se dire. Je n’avais pas d’admiration pour lui, c’était un voyou, un criminel… mais il avait un certain nombre de qualités que je respectais.
Certains l’ont pourtant accusé d’avoir montré trop de satisfaction quand, six ans plus tard, Mesrine est tué par l’équipe de la BRI dirigée par Broussard, porte de Clignancourt. S’en sont suivi une polémique sur la légalité de cette exécution ainsi qu’un procès, qui a donné raison à la police. C’est là toute l’ambivalence du duel entre deux hommes d’honneur. Il doit malgré tout prendre fin. C’est plus ou moins ce qu’a suggéré au commissaire la mère du gangster elle-même. Les parents de Maria de la Soledad, la mère des trois enfants du bandit, étaient désespérés d’avoir perdu tout contact avec leur fille et leurs petits-enfants. Ils lui ont téléphoné car ils cherchaient à joindre la mère de Mesrine, pour lui demander de l’aide.
Je sentais que c’était des braves gens. J’ai accepté de l’appeler pour eux quelques jours seulement après le décès de son fils. Dans un premier temps, elle a eu un choc quand je me suis présenté. J’ai dû raccrocher et rappeler quelques minutes plus tard. Au deuxième appel, elle m’a dit : Ecoutez monsieur Broussard, je sais que certains vont prononcer des mots très durs à votre encontre. Comme d’autres l’ont fait avec mon fils, qui était resté mon fils quoi qu’il en soit. Je ne vais pas vous dire bravo. Mais je savais que ça se terminerait comme çà, que ce serait vous. Les truands étaient des adversaires pour moi. Pas des ennemis.
Flic un jour, flic toujours
Sa carrière après çà, n’a jamais décliné. Rien n’est venu en travers de l’ascension de ce fan de rugby qui se destinait pourtant à devenir charpentier. Nommé successivement Officier de la légion d’honneur et Commandeur de l’ordre national du mérite, il est passé de commissaire, à préfet, puis fondateur du RAID, directeur général pour la lutte antiterroriste, avant de diriger la police aux frontières. Il hausse les épaules :
Tout çà m’est tombé dessus. Je ne suis pas meilleur qu’un autre. J’ai eu la chance d’être là au bon moment et de savoir m’entourer de gens qui avaient confiance en moi et réciproquement confie-t-il. Mais s’il admet qu’il n’imaginait pas avoir cette carrière en grandissant, il se targue d’avoir toujours accepté de prendre des risques. Et de citer sa mutation en Corse, alors pétrie de tensions face aux attentats réguliers du FNLC. Je devais y rester huit mois maximum. J’y suis resté deux ans. J’étais très exposé à tous points de vue. Des collègues m’ont traité de fou. Je suis parti seul. Il était hors de question que ma femme et mes fils viennent avec moi. Sa femme dont le rôle a aussi été primordial dans sa carrière. Des collègues à moi ont peut-être manqué d’avoir une grande carrière parce que leurs épouses n’ont pas supporté. Les horaires qui n’en sont pas, les vacances constamment annulées, reportées, les sorties impossibles quand la notoriété est arrivée… La mienne se payait tous les conseils de classe et gérait entièrement le foyer. J’ai toujours eu confiance en elle. J’ai eu beaucoup de chance.
De la chance, il en a aussi quand, quelques années auparavant, il se retrouve nez à nez avec tous les résidents du quartier de haute sécurité de la prison de Fresne. Simple erreur des gardiens qui ignoraient qu’il se trouvait avec un prisonnier dans une pièce jamais verrouillée. « J’ai entendu que des gens s’agglutinaient à la fenêtre et la porte s’ouvrir. J’ai craint une prise d’otage. Dans l’embrasure, un grand black de deux mètres pour 140 kilos m’a demandé : ‘t’es bien Broussard ?’ Je lui ai répondu ‘Oui. Pourquoi ?’ Avec un sourire que je voulais détendu mais sans condescendance. Il voulait me féliciter pour l’arrestation de Willoquet, un des complices d’évasion de Mesrine. Lui et les autres détenus m’ont serré la main. J’étais stupéfait. »
Depuis qu’il a rendu les armes, il n’a jamais vraiment décroché. Il se charge d’ailleurs aujourd’hui de la sécurité pour certains matchs de la Fédération Française de rugby. Mais il a conscience que les règles du jeu ont beaucoup changé depuis son départ.
Des coups j’en ai donné, j’en ai pris. J’ai fini à l’hôpital. Je me suis fais tiré dessus plus d’une vingtaine de fois. J’ai entendu sifflé pas mal de balles. Cela dit, il ne me serait jamais venu à l’esprit à l’époque de porter plainte contre des suspects pour m’être pris des coups pendant une arrestation. Çà faisait partie des règles du jeu. Cela peut paraitre fou aujourd’hui de le dire. Ce système ne fonctionnerait plus aujourd’hui. Tout a changé. Les voyous, les policiers, les médias, l’opinion publique. La controverse du traitement médiatique du 9 juillet à Vincennes n’aurait pas eu lieu à mon époque. Tout va trop vite. Il y a un tel décalage par rapport à ce que j’ai connu. Je reste prudent dans ce que je dis. Un de mes vieux copains a fait des déclarations à la con dans les médias au moment de l’affaire Merah. « Moi j’aurais fait ci, il ne fallait pas faire çà, etc. » Et quoi ? Il faut être au pied du mur pour savoir comment çà se passe. Je veux bien donner mon avis, avec prudence, mais pas des leçons.
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