Le dessinateur Laurent Sourisseau, dit « Riss », va remplacer Charb, tué le 7 janvier dans l’attentat contre Charlie Hebdo, à la direction de la publication du journal satirique. Portrait.
Il a des valises sous les yeux, les cheveux en bataille, la mine défaite. Invité du JT de France 2 le 20 janvier au soir, Laurent Sourisseau, plus connu sous le pseudo de « Riss », porte sur son visage le traumatisme de l’attentat perpétré le 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo.
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Blessé par balle à l’épaule, Riss est sorti de l’hôpital hier, après y avoir passé deux semaines. C’est lui qui remplacera Charb, tué dans l’attentat du 7 janvier, à la direction de la publication du journal satirique. Une décision logique puisqu’il occupait depuis 2009 le poste de directeur de la rédaction , et était l’un des principaux actionnaires du journal avec Charb.
De La Grosse Bertha à La Face kärchée de Sarkozy
Chose assez rare pour être relevée : on trouve très peu d’informations sur Riss dans l’immensité de l’Internet. Tout juste apprend-on au détour d’une fiche biographique de l’Encyclopédie Larousse (pour laquelle il a réalisé des illustrations), qu’il est né en 1966 à Melun (Seine-et-Marne) et qu’il a appris le dessin en autodidacte avant de faire ses premières armes dans les colonnes de La Grosse Bertha, hebdo satirique né en 1991.
Un an plus tard, il contribuait à la renaissance de Charlie Hebdo, aux côtés de Philippe Val, Cabu, Wolinski et les autres. En parallèle de son activité de dessinateur à Charlie Hebdo, Riss sort des albums de BD en solo ou en collaboration avec, notamment, le futur ancien-président de Radio France Jean-Luc Hees (Obama, what else?, 2009) ou le collectif « Bonobo VI » composé de Luz, Jul, Catherine Meurisse, Charb et Tignous, auteur de deux albums: Mozart qu’on assassine en 2006 puis Bébés congelés, chiens écrasés en 2007.
Il collabore également à trois reprises avec Richard Malka, avocat historique de Charlie Hebdo qu’il rencontre dès 1992, l’année de la refondation du journal, et Philippe Cohen, grand reporter et ex-rédacteur en chef adjoint de Marianne. Tous trois s’appliquent à croquer les années Sarkozy dans trois albums qui ont la particularité d’allier enquête journalistique et bande dessinée : La Face kärchée de Sarkozy (2003), La Face kärchée de Sarkozy, la suite: Sarko 1er (2007) et Carla et Carlito ou la vie de château (2008). « J’ai pensé que pour ce sujet-là c’était Riss qu’il nous fallait parce que son trait est assez réaliste et correspondait à ce que l’on voulait faire avec Philippe Cohen, raconte Richard Malka, une bd dure, réaliste mais pas caricaturale, une bd-enquête« . Il poursuit:
« Riss a une vraie finesse d’analyse, de raisonnement, une vraie profondeur dans la réflexion. Son trait de crayon est acide, semi-réaliste, c’est-à-dire à la fois dans la réalité et dans l’imaginaire. Il est rude mais poétique ».
Si le courant passe difficilement entre Malka et Cohen – « deux logiques différentes s’affrontaient en permanence« – l’avocat se rappelle avoir travaillé « dans une totale harmonie » avec Riss:
« C’était un bonheur, il n’y a jamais eu la moindre difficulté, ça roulait. Riss est quelqu’un de très exigeant, comme tous les perfectionnistes, et je le suis aussi. A partir du moment où on bosse – c’est un gros bosseur – il est top. Il est rude, mais facile à vivre. »
« Ce n’est pas le genre de type qui raconte sa vie »
Patrick Pelloux, médecin urgentiste au SAMU de Paris et chroniqueur à Charlie Hebdo, ne cache pas non plus le « côté bourru, renfermé » de Riss, mais souligne: « Une fois que vous savez qu’il est comme ça, vous trouvez ça très sympathique« . Il ne se rappelle plus précisément de sa première rencontre avec le dessinateur, suppose que « c’était il y a une douzaine d’années« . « J’ai d’abord rencontré Charb à des concerts de soutien où il faisait des dessins en direct, dans les années 2000. Riss, lui, c’était pas son truc » lâche-t-il ensuite dans un rire.
Pour lui, Riss a la particularité de « montrer la violence avec des traits rigoureux« . « Il a un trait de portraitiste, extrêmement dur, ciselé. Chaque trait est pour lui une espèce de symbole politique en soi » estime-t-il. Mais Patrick Pelloux connaît mal le parcours de Riss. Tout comme Richard Malka. « Ce n’est pas le genre de type qui raconte sa vie. Il est très discret » dit-il avant d’ajouter: « c’est quelqu’un de très travailleur et de très courageux« . C’est sur son lit d’hôpital, le bras droit en écharpe que Riss a dessiné deux caricatures, de sa main gauche, pour le Charlie Hebdo dit « des survivants », paru le 14 janvier et tiré à 7 millions d’exemplaires. L’une d’elles revient explicitement, mais avec une bonne dose d’humour acerbe, sur l’attentat du 7 janvier:
Dessin de Riss dans Charlie (journaliste Carie c’est 25 ans de boulot Terroriste c’est 25 secondes pic.twitter.com/meKxGWsZeV — Gilles Klein (@GillesKLEIN) 14 Janvier 2015
« Il a voulu dessiner et il a réussi à le faire, raconte Patrick Pelloux. Pour les journalistes de Charlie, dessiner, écrire c’est vivre. Ils ont besoin de croire au journal. Leur drogue dure, c’est le journalisme. »
« On n’est pas doués de pouvoirs surnaturels »
Il va désormais falloir dessiner l’avenir de Charlie Hebdo. « Riss est fatigué, traumatisé mais ça va aller, il est en état d’assurer la continuité » nous affirme Richard Malka. L’équipe a annoncé qu’elle allait prendre deux semaines de repos avant de penser à la suite. Pour l’instant, aucune date n’est fixée pour la sortie du prochain numéro. « Il faut que Riss revienne, que les choses s’apaisent, que ça se décide sereinement quand tout le monde sera en état » estime Malka. Mais, pour Patrick Pelloux, « rien ne sera plus comme avant« . « On ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas eu d’attentat » dit-il, saisi par l’émotion, avant d’ajouter dans la continuité de ce que nous disait son collègue Luz dans une autre interview:
« Notre crainte était que l’on perde notre insolence mais sincèrement je trouve qu’on arrive à faire quelque chose de beau. Il faut que l’on reste ce que nous sommes. On n’est pas doués de pouvoirs surnaturels. Nous sommes un petit journal, avec des gens qui dessinent de petits bonshommes. »
L’avenir de Charlie Hebdo devra surement se faire avec de nouveaux caricaturistes, expliquait Riss dans une interview pleine d’espoir au Monde: « Il y a presque une autre génération de dessinateurs à faire venir: peut-être est-ce à nous de former les dessinateurs de demain. Le dessin de presse, c’est un genre un peu marginal. Et un métier pas facile. Transmettre aux plus jeunes, c’était une obsession de Cabu, notamment quand il a vu arriver des gens comme Luz, Charb ou moi. Il a réussi. C’est à notre tour. »
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