Deux semaines après l’incendie qui a tué 237 étudiants dans le sud du Brésil, les autorités du Pays ont entrepris un vaste chantier pour tenter de réguler le monde de la fête. En quelques jours, des centaines de bars et de lieux culturels ont été fermés par les autorités pour manquement aux règles de sécurité. A Rio, qui accueille un million de visiteurs pour le carnaval, la situation est particulièrement tendue.
Au Brésil, la “ressaca do carnaval” (littéralement, la gueule de bois du carnaval) correspond à la période qui suit les quatre jours de festivité exubérantes de cette fête nationale. Tout le pays se remet progressivement de ses excès. Mais cette année, alors que la fête bat son plein, le pays semble être deja un peu groggy. Depuis l’incendie qui a tué 237 étudiants fin janvier dans une boîte du sud du Brésil, la nuit brésilienne, réputée pour son extravagance, semble brusquement bien plus sérieuse.
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Samedi soir à Lapa, un quartier central de Rio, une semaine avant le carnaval. Toute la ville se prépare déjà à la fête. Comme chaque week-end, des barrières bouclent la circulation dans le quartier. Les vendeurs ambulants prennent place sur les trottoirs, la police quadrille les rues et des centaines de fêtards, pour la moitié déjà déguisés, convergent dans ce quartier centenaire, réputé dans le monde entier pour être le cœur de la vie nocturne des cariocas, avec ses dizaines de clubs de samba, ses concerts en plein air et sa caïpirinha qui coule à flots. Mais dans l’avenue Mem de Sá, principale artère du quartier, le bruit des percussions résonne moins fort. Sur la devanture du “Carioca da Gema” et du “Sacrilegio”, deux institutions qui accueillent d’habitude des centaines de personnes, une simple affiche annonce : “Chers clients, pour mieux vous accueillir, nous n’ouvrirons pas nos portes ce week-end, le temps de nous conformer aux nouvelles règles de sécurité”.
Les deux clubs ont vu, du jour au lendemain, leur licence retirée provisoirement par les autorités. A Lapa, comme dans le reste de Rio et dans tout le Brésil, des centaines de bars ont dû fermer leurs portes. L’enquête sur la tragédie de la discothèque Kiss a en effet montré qu’une série de défaillances étaient à l’origine de l’incendie, comme l’absence d’alarmes incendies, le dysfonctionnement des extincteurs ou le nombre excessif de spectateurs dans la salle. Depuis, un mouvement de panique s’est emparé des autorités du pays, qui n’ont qu’une seule crainte : qu’un tel drame se reproduise.
A Rio, qui accueillait ce week-end près d’un million de visiteurs pour le carnaval, la situation est encore plus tendue. Et plutôt que d’attendre une mise aux normes qui prendrait plusieurs semaines – voire plusieurs mois – les autorités ont opté pour la solution la plus radicale : la fermeture immédiate de tous les lieux “à risques”, et ce, jusqu’à nouvel ordre. Et peu importe si la réputation de Rio en prend un coup.
La semaine suivant la catastrophe, les pompiers ont procédé en urgence a l’inspection de 209 bars de nuit de la ville. La conclusion a été sans appel : seuls dix d’entre eux ont été déclarés conformes. 127 ont reçu l’ordre de fermer immédiatement, parfois en pleine nuit, alors même qu’ils étaient encore bondés.
“Ces sites présentent un risque imminent de sécurité pour le public, tels que l’absence d’extincteurs ou l’obstruction de la sortie de secours, a expliqué le chef des pompiers de la ville, le colonel Sergio Simoes. Je ne vais pas courir le risque d’une nouvelle tragédie (…). Pour Rio, le critère est simple. Si les bars ont une autorisation, ils ouvrent. Sinon, ils restent fermés. »
Une “chasse aux sorcières” ?
Les bars de nuit ne sont pas les seuls visés : théâtres, salles de concerts, centres culturels ou cinémas font eux aussi l’objet d’une surveillance accrue. La semaine dernière, le Globo, quotidien le plus important du pays, révélait que 90% des lieux culturels administrés par l’Etat ou la ville n’étaient pas non plus aux normes. 49 d’entre eux ont dû annuler leur programmation sur au moins 20 jours. Parmi eux, le théâtre Carlos Gomes, l’un des plus réputés de la ville.
Une décision drastique, assumée par les autorités, mais qui fait grincer des dents les professionnels du secteur. L’expression “chasse aux sorcières” est sur toutes les lèvres.
“Nous sommes d’accord avec le principe de surveillance, mais pas avec ces actions radicales, qui sont menées pendant la nuit, quand les bars sont bondés. D’autant plus à quelques jours du Carnaval. C’est un manque de respect pour le public et les employés”, s’emporte Isnard Manso, président du Polo Novo Rio Antigo, une association qui réunit les professionnels du secteur.
Pour Leonardo Simmer, patron d’un autre établissement du quartier, « c’est une hypocrisie totale. On cherche à trouver un coupable alors on pointe du doigt le milieu de la nuit. On m’a fait signer un papier disant que j’assumais toutes les responsabilités en cas de problème. »
Bob Nadkarni, le patron du Maze, qui accueille une fois par mois, au sommet d’une favela, une soirée de jazz réputée dans le monde entier, a lui renoncé a ouvrir au dernier moment. “Trop de risques, soupire-t-il, au milieu des travaux qu’il a entrepris pour aménager une sortie de secours. J’espère qu’on va avoir terminé pour le mois de mars, sinon je ne sais pas comment on va s’en sortir financièrement. Il a suffi qu’un idiot allume un feu de Bengale pour nous mettre tous dans la merde.”
La psychose n’a pas touché que les autorités. Les journaux relatent les attitudes changeantes des noctambules, qui, avant de se mettre à danser, vérifient maintenant soigneusement les sorties de secours ou le nombre d’extincteurs. Quitte à ce que la fête cède le pas à la parano. En une semaine, la mairie a expliqué avoir reçu 111 appels de dénonciation de clients, inquiets pour leur sécurité.
Il y a neuf ans, un incendie similaire avait tué 193 jeunes lors d’un concert de rock en Argentine. Le drame avait donné un coup d’arrêt au phénomène rock, alors en pleine extension dans le pays. A Rio, qui se prépare à accueillir la coupe du monde et les jeux olympiques, les conséquences pourraient être plus simples. Pour Bob Nadkarni, le patron du Maze, “on va peut-êre juste finir par faire de Rio une ville ennuyeuse”. Leonardo Simmer, dont le bar est bondé pendant les cinq jours de fête, préfère sourire. « Ennuyeuse ? Non, pas tout de suite, tempère-t-il au milieu des serpentins. De toute façons, ici, c’est dans la culture de ne pas obéir. »
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