Dans son livre « Richie », la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué revient sur la trajectoire de l’ancien directeur de Sciences Po Richard Descoings, décédé en 2012, et livre les secrets de l’idole de la rue Saint-Guillaume.
“T’es qui, toi ?” Ces mots lancés à Richard Descoings par un camarade de l’ENA, étonné par ses très bons résultats au concours de fin d’étude alors qu’il n’avait brillé jusqu’alors que par sa discrétion, résonnent tout le long de Richie, ouvrage de Raphaëlle Bacqué retraçant l’ascension de l’ancien directeur de Sciences Po dans les sphères du pouvoir.
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Véritable visionnaire au charisme de rock-star pour certains, bipolaire, pervers narcissique ou “roi de l’esbroufe politico-médiatique” pour d’autres, la personnalité ambivalente de Richard Descoings n’aura laissé personne indifférent, voilà l’angle du livre qui conclut son quatrième de couverture par un définitif « Personne n’a résisté à la folie de Richie. Surtout pas lui« .
Enarque le jour, fêtard la nuit
Que ce soit lors de son passage a l’ENA ou à ses débuts au Conseil d’Etat, le jeune Descoings se fait très discret. C’est lorsqu’il enlève son masque de fonctionnaire qu’il respire. L’homme cache parfaitement son homosexualité le jour pour mieux l’assumer « de minuit à l’aurore« .
“Le soir lorsque le sage énarque enlève son costume et sa cravate pour enfiler pantalon de cuir et tee-shirt moulant et plonger dans la nuit, il ne sait plus très bien laquelle des deux tenues est un déguisement”
Ecumant les boîtes de nuit homosexuelles dans les années 80, Descoings goûte à tous les plaisirs: alcool, drogues et orgies. Un penchant pour la fête qui ne le quittera jamais. Si bien que, par moment, ses deux vies se rencontrent. « La vérité est que ses nuits sont mieux remplies que ses jours » raconte la journaliste. « Il abuse de tout, d’alcool et de cocaïne, avec l’illusion que la poudre blanche lui permettra de tenir jusqu’au petit matin avant d’enchaîner sur ses dossiers ». Mais la réalité s’avère plus compliquée. En quelques mois les traits se creusent et la maigreur se fait de plus en plus apparente. Un matin, il arrive au conseil d’Etat complètement débraillé et encore arrosé de la veille, provoquant la fureur d’un de ses supérieurs.
« Quelques mois auparavant, le vieux conseiller d’Etat a perdu son jeune fils, mort du sida. En découvrant Richard, il devient apoplectique. ‘Ils savent ce qui m’est arrivé et ils me donnent ça !’ hurle-t-il hors de lui. Richard se dresse aussitôt : ‘Ca, c’est moi?’ Les deux hommes s’attrapent par le col, commencent à se battre devant une assemblée tétanisée »
Jamais plus, les deux hommes ne se reparleront. “Mais c’est un sérieux avertissement”, écrit la journaliste, qui ralentira le rythme effréné des sorties du noctambule Descoings.
Les cercles gays du pouvoir
C’est au conseil d’Etat que celui qu’on ne surnomme pas encore « Richie » fait la rencontre de Guillaume Pepy, actuel dirigeant de la SNCF, qui partagera la vie de Descoings jusqu’à son décès. Très vite, les deux hommes emménagent ensemble :
“Chez eux, presque chaque soir,se retrouve toute une génération de hauts fonctionnaires homosexuels venus de la Cour des comptes, du quai d’Orsay ou du Conseil d’Etat. C’est un univers presque exclusivement masculin, soudé par son appartenance à l’énarchie autant que par son sentiment d’être minoritaire.”
A cette époque où beaucoup n’osent pas avouer au grand jour leur orientation sexuelle, ce petit groupe d’amis ambitieux se serre donc les coudes quand il s’agit d’obtenir les meilleurs places dans les arcanes du pouvoir. A l’instar de Guillaume Pepy, proche des socialistes, qui place son entourage dans les cabinets ministériels.
« L’intelligent Pepy, avec son charme et sa personnalité rayonnante, a eu tôt fait de conquérir toute l’équipe. Et, lorsque Michel Durafour puis Martine Aubry l’ont appelé dans leurs cabinets respectifs, il n’a eu aucun mal à proposer lui-même ses successeurs : Christophe Chantepy d’abord, puis en 1991, Richard. Les trois garçons se font naturellement la courte échelle pour grimper les échelons du pouvoir. »
L’idole des jeunes
Rapidement après avoir pris possession de Sciences Po, le nouveau directeur se lance dans une série de changements. Il veut moderniser cette « vieille maison bourgeoise » pour en faire un « Harvard à la française« , tout en ouvrant l’accès à l’établissement à des élèves issus de familles modestes. S’il se fait des ennemis dans le corps enseignant, Descoings acquiert très vite un statut de demi-dieu auprès des élèves, donnant parfois lieu à des scènes surréalistes.
“De l’entrée de la rue Saint-Guillaume, on n’entendait tout à l’heure qu’un brouhaha joyeux. A mesure qu’on traverse la hall, on distingue mieux le nom répété au rythme des mains qui tapent sur le bois des pupitres : ‘Ri-chie! Ri-chie! Ri-chie!’ […] Dans l’amphi, l’atmosphère a viré au délire lorsqu’un garçon est arrivé en hurlant ‘Il arrive ! Le voilà!’ Ca hurle, ça siffle, on a même allumé des briquets comme à un concert de rock.”
Le fait est que “Richie” plaît aux élèves autant qu’il aime plaire. Ainsi en soirée le directeur peut tout aussi bien “dîner au Siècle” que passer des heures sur Facebook pour chatter avec ses étudiants. « Il est le prince des confusions« , souligne la journaliste, qui raconte que le directeur n’hésite jamais à discuter, voire flirter, avec les élèves jetant le doute dans la tête de certains jeunes hommes.
“Du haut de leurs vingt ans, les garçons les plus hardis s’émerveillent de l’empire qu’ils croient avoir sur cet homme. Ils suivent sur Facebook les effets de leur charme. ‘Un ange est entré dans mon bureau ce matin’, écrit Richie sur son mur Facebook après avoir croisé un étudiant au regard de biche […] Mi-ange, mi-diable, il aime qu’on le flatte, il aime qu’on l’aime. Jamais rassasié de l’amour que la jeunesse lui voue.”
La nuit qui a succédé sa mort, ils étaient des centaines, bougies à la main, au 27 de la rue Saint-Guillaume à venir rendre hommage à celui qu’ils avaient eux-mêmes surnommé affectueusement « Richie ».
Richie de Raphaëlle Bacqué, 288 pages (Grasset)
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