Suprémaciste blanc, racialiste revendiqué, Richard Spencer est l’icône de l’alt right, l’extrême droite américaine. Porté par l’élection de Donald Trump, ce mouvement puise son idéologie dans le racisme et flirte avec le nazisme.
Novembre 2016. Donald Trump vient à peine d’être élu. Richard Spencer prononce un discours qui va faire connaître son visage à toute l’Amérique. Devant une foule réunie à Washington dans le National Institute Policy, le think tank qu’il a co-fondé, il proclame : « être blanc, c’est être un guerrier, un croisé, un explorateur et un conquérant. Nous construisons, nous produisons, nous progressons… Pour nous, c’est conquérir ou mourir. Tel est le fardeau de l’homme blanc« . Puis vient sa conclusion : « Hail Trump, hail our people, hail victory ! » Des saluts nazis sont exécutés parmi ses auditeurs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Richard Spencer est le visage du suprémacisme blanc aux États-Unis. Ouvertement antisémite, il se revendique « racialiste« , comparant les différences entre les Blancs et les personnes de couleur à celles entre les golden retrievers et les bassets, dans le portrait que lui a consacré Mother Jones. « A côté de lui, Éric Zemmour a l’air d’un délicieux progressiste« , avance Vincent Michelot, professeur d’histoire politique à Sciences Po Lyon.
Un combat identitaire
Texan ayant grandi dans un environnement conservateur traditionnel, Richard Spencer a étudié à l’université de Virginie, puis à Chicago, « deux bastions de la pensée conservatrice« , pointe Romain Huret, directeur d’étude à l’EHESS et auteur du livre American Tax Resisters (éd. Harvard Press University). Pour Spencer, l’homme blanc est aliéné par la société devenue multiculturelle et où « le shopping est devenu l’équivalent du patriotisme« . Inspiré par la pensée critique de Nietzsche, détracteur de la démocratie, il se reconnaît dans la description désillusionnée de son époque dressée par Chuck Palahniuk dans son roman Fight Club. Dans « Generation Alt Right », un manifeste publié sur son site Radix, il reprend la tirade de Tyler Durden, incarné par Brad Pitt au cinéma.
« Nous sommes des enfants au milieu de l’histoire. Sans but ni place. Nous n’avons pas de grande guerre. Pas de grande dépression. Notre guerre est une guerre spirituelle… notre grande dépression, c’est nos vies. »
La « guerre » de Spencer est identitaire. L’homme dont les cheveux sont rasés sur les côtés, une coupe à l’esthétique fascisante, est persuadé du danger que court l’homme blanc, menacé par le multiculturalisme et l’immigration. « Le multiculturalisme, loin d’être un plan qui nous serait imposé de loin, est notre réalité« , écrit-il. Il est devenu l’icône de la droite alternative, l’ « alt-right », la toute dernière expression du conservatisme américain, selon Romain Huret.
« Dans les années 80 et 90, il s’exprimait par sa haine viscérale de l’Etat fédéral, puis il a mis en avant la morale, avec notamment la lutte contre l’avortement, durant la présidence de George Bush fils. Maintenant, le mouvement revient aux fondamentaux identitaires. »
L’alt-right est un concept aux contours flous mais les différentes mouvances qui s’y rattachent, du Ku Klux Klan aux néo-nazis, partagent le même sentiment d’une menace planant sur l’homme blanc et une vision ethniciste du monde, divisé en « races ». Une conception loin d’être nouvelle mais à laquelle Spencer a insufflé une nouvelle dynamique. « Il a reformulé les questions identitaires, analyse Romain Huret. Il les aborde non plus sous l’angle racial habituel, tel que le faisait le KKK avec l’idée de séparation entre les ‘races’, mais par rapport à l’angoisse démographique. »
Renouveler le conservatisme
L’existence d’une « identité européenne » est au cœur de la vision suprémaciste de Richard Spencer. L’alt-right cultive ses liens avec l’extrême-droite européenne d’où la dénomination d’extrême droite « euro-américaine » par la fondation Jean Jaurès. Son concepteur– et mentor de Richard Spencer, l’universitaire Paul Gottfried, n’est autre que le correspondant américain de Nouvelle Ecole, la revue du mouvement de la “nouvelle droite” du Français Alain de Benoist.
Les passerelles entre les idéologies sont multiples. Le fondement du renouveau de l’extrême-droite américaine rejoint la théorie complotiste du “grand remplacement” du Français Renaud Camus. Selon ce dernier, les Français « de souche” seraient menacés démographiquement par des populations d’origines autres qu’européenne. « Richard Spencer a le souhait de créer un état ethniquement pur pour protéger les Blancs, un ‘ethno-state’« , souligne Vincent Michelot. Le rêve de Spencer, tel qu’il l’exprime, est de « faire revivre l’Empire romain afin d’avoir un espace sécuritaire pour les gens d’origine européenne du monde entier« .
L’extrême droite américaine a vu sa force de frappe décuplée grâce à Internet. Ses activistes sont omniprésents sur les forums de discussions 4chan et reddit et disposent de leur propre espace virtuel, Iron March. Cette « fraternité fasciste » appelle à faire du XXIe siècle, « le siècle du fascisme« .
Si l’alt-right reste minoritaire et se construit dans les marges, son but affiché est de renouveler le conservatisme, au cœur du pouvoir, à Washington. Avec l’installation de Trump à la Maison Blanche, une étape décisive a été franchie. « Avant l’élection de Trump, l’alt-right existait mais c’était de la masturbation intellectuelle« , admet Spencer.
Forget the polls. We have a candidate for President who’s demystifying « racism » and the financial power structure. pic.twitter.com/8Nt7jU3tmp
— Richard ☝????Spencer (@RichardBSpencer) 14 octobre 2016
(« Oubliez les sondages. Nous avons un candidat à la présidentielle qui démystifie le racisme et la structure du pouvoir financier« )
« Une réaction tripale aux mouvements comme Black Lives Matter »
L’extrême droite a adoubé Trump. Durant sa campagne électorale, ce dernier a repris son thème de prédilection, observe Romain Huret.
« La question identitaire a été au cœur de la campagne de Trump. Il a tendance à renvoyer les gens à leur identité, comme avec le juge qu’il a accusé de partialité, en pointant son origine mexicaine. L’ethnicisation du discours n’avait jamais pris une telle ampleur dans la bouche d’un président américain. »
Une affinité qui s’est déployée lorsque Trump a pris la tête du mouvement “birtherism” selon lequel Barack Obama ne serait pas né aux Etats-Unis et serait de confession musulmane. L’extrême droite s’est considérablement renforcée en réaction à l’élection du premier président afro-américain, qui lui est apparue comme un engrenage de la mécanique du “grand remplacement”. « L’extrême droite considère aussi les lois de discriminations positives en faveur des minorités comme liberticides. Elle est une forme de réaction tripale aux mouvements comme Black Lives Matter« , dissèque Vincent Michelot.
Accusé de racisme pour ses propos très violents envers les Mexicains, l’ambiguïté de Trump sur la condamnation des violences de suprémacistes de Charlottesville a scandalisé une grande partie de l’Amérique. Mais pour d’autres, ses propos ont renforcé sa popularité, notamment chez les militants d’extrême droite, en croisade contre ce qu’ils considèrent comme le politiquement correct. « L’alt-right n’est pas dans un processus de dédiabolisation, au contraire. Elle considère que cette stratégie a conduit à l’affaiblissement des politiques conservatrices. Elle apprécie que Trump ne rentre pas dans le moule« , pointe Romain Huret.
« Des trotskistes de droite »
Les apôtres du suprémacisme blanc se préparent au choc des civilisations. « White lives matter« , « You will not replace us« , ont crié les manifestants du rassemblement de Charlottesville. « Ils se considèrent comme des trotskistes de droite, explique Romain Huret. Ils s’attendent au combat et veulent une vraie révolution conservatrice. »
Dans le New Yorker, l’écrivaine Toni Morrison se désespère : « Ces sacrifices, faits par des hommes blancs prétendument forts, qui se préparent à abandonner leur humanité par peur des hommes et femmes noirs, montrent la véritable horreur de leur statut perdu.«
{"type":"Banniere-Basse"}