A l’instar des personnages des Lettres persanes auxquels elle emprunte son titre, l’éclectique et prolifique Usbek et Rica pose un regard décalé sur nos sociétés.
Et si Bobby Kennedy n’avait pas été assassiné ? Et si le PIB du Nigéria dépassait celui de la France en 2050 ? Et si on se remettait sérieusement à rêver aux Etats-Unis d’Europe ? Et si on faisait une super grande enquête sur le PQ dans le monde, ou le point sur Google ?
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Avoir de la curiosité demande parfois un peu d’imagination. La revue Usbek et Rica en a suffisamment pour penser que le monde dans lequel nous vivons n’est qu’une version hasardeuse – et assez bordélique – d’un champ de possible beaucoup plus large. Alors que les personnages originaux d’Usbek et Rica, imaginés en 1721 par Montesquieu dans les Lettres persanes, faisaient l’expérience de la distance grâce à la géographie (venus d’Ispahan, ils arrivaient tout étonnés à Paris), dans la version 2010, mondialisée, c’est le voyage dans le temps qui crée cet écart et qui offre une vision d’étranger.
Littéralement dans un premier temps, puisque les deux amis sont les héros de la bande dessinée centrale de la revue, contraints de venir visiter notre monde contemporain depuis un futur lointain ayant tout oublié de son passé. Mais aussi parce qu’à leur image, les fondateurs de la revue taquinent le passé, et comme l’annonce la baseline “racontent le présent, explorent le futur”.
“La crise de la presse est à la fois éditoriale et liée à la distribution en kiosque, analyse Jérôme Ruskin, l’initiateur du projet, d’où l’envie de faire une revue vendue en librairie et qui aurait un coup d’avance en matière de proposition éditoriale, notamment en travaillant sur le futur, sans s’interdire ni uchronie ni prospective.”
Un futur qui éclaire évidemment notre société, ainsi que ses obsessions et ses angoisses, à travers par exemple un dossier sur l’immortalité ou sur l’utérus artificiel.
Assez dense et souvent pertinente, Usbek et Rica mélange les genres et les thèmes avec un appétit insatiable. Une nouvelle de Salman Rushdie, un entretien avec Michel Serres ou Oxmo Puccino, un panorama des dictateurs du monde entier, un papier sur “la grande arnaque du talent” (vous savez, la France a un incroyable talent, comme ses régions et ses poubelles) : tout ça sous la forme hybride de ce qui pourrait être le mélange réussi de la revue XXI et de Technikart.
“D’un côté, j’appartiens à une génération qui ne lit pas forcément de magazines, explique Jérôme Ruskin, et de l’autre, je pense que les gens ne sont pas prêts à acheter six revues d’archi pour se tenir au courant.”
Pour résoudre ce dilemme, Ruskin, sorti de l’EHESS avec un diplôme de socio, propose ce “couteau suisse de la pensée” trimestriel pour diffuser une production intellectuelle souvent inaccessible.
Il se dégage de cette revue, exigeante et souvent drôle, une certaine décontraction intellectuelle pour amateurs de pop culture. Ce que le rédacteur en chef Thierry Keller (un pur produit Julien Dray, passé par la Fidl et SOS Racisme, avant d’être son attaché parlementaire) résume par la formule
“Etre sérieux sans se prendre au sérieux.”
En librairie, 15 €
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