Cette jeune revue veut réactiver la puissance transgressive de l’homosexualité. Une approche plus underground que gay friendly.
Animal fantastique aux formes effrayantes et au comportement déviant, le monstre est d’abord une distance. Un phénomène abominable qui questionne et conforte la norme par son éloignement des standards. La revue Monstre ne rassure pas. Narcissique, elle invite au contraire à palper ses formes décadentes.
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La revue Monstre est pédé, mais s’amuse à se définir comme gay pour mieux dynamiter le contenu de ce qualificatif mainstream. “Le gay est au pédé ce que le McDo est à la gastronomie”, théorise Gauthier Boche, l’un de ses quatre fondateurs, “Monstre est une boîte à outils pour se construire en tant que pédé libre, se créer son propre mélange identitaire.” Mais que les hétéros se rassurent, ils trouveront bien dans cette boîte en papier quelques instruments propres à les libérer eux aussi.
Pour son premier numéro, la semestrielle “revue d’exploration pédé pour la décennie 2010-2020” propose un programme joliment analytique : “Back to the closet”. Pas un retour définitif pour se lover dans la volupté poussiéreuse du temps des pissotières, où les amours et la sexualité se vivaient cachées, mais un “va-et-vient dans le placard” pour se réapproprier un peu de cette intimité créative sacrifiée sur l’autel de la transparence.
Une transparence vendue comme horizon démocratique que fustige l’économiste Olivier Lacoste, qui voit dans l’injonction actuelle à se dévoiler (pour la démocratie, sur les réseaux sociaux…) une menace pour la liberté et l’égalité. Et invite à préserver “un voile d’ignorance”, comme garant d’une certaine solidarité sociale.
Dans sa version jardin secret ou dans sa variante prison, le placard, espace clos où se tapit la sexualité, n’est pas l’apanage des garçons sensibles. Le voile portée par certaines femmes musulmanes est aussi un placard, comme le suggère Ibrahim Abraham, chercheur en cultural studies. Quand il est érigé en régime, comme en Iran, il est fondé sur le déni de la présence de ses victimes dans la vie sociale. Tout comme une certaine France placardise les musulmans dont elle veut effacer toute trace publique (voile, mosquée…).
Mais comme Monstre n’est pas une revue universitaire et qu’elle trouve que “les images ont autant de valeur que les mots”, elle explore la question du cliché gay et de son placard fantasmatique en photos, en dessins et en littérature. Que ce soit avec une série sur des back-rooms vides – “à plusieurs, un placard est un monde en perpétuelle expansion” –, avec les espaces clos anxiogènes du collectif d’architectes de La Ville Rayée, une bande dessinée à l’usage des familles modernes, ou des textes assez jouissifs comme “Nippon ni soumise” (“tout hétéro est un pédé à retardement”) qui ouvre la perspective d’un placard hétéro violemment normé.
L’ensemble forme une mosaïque bien plus impertinente que les avatars de la culture gay de masse ordinairement vendus en kiosque (qui a dit Têtu ?) et caresse les contours d’une mouvance underground sans verser dans une semoule branchouille parisienne.
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