A l’occasion du centenaire de la révolution russe, un documentaire ausculte son histoire, loin du culte de Lénine et du catéchisme insurrectionnel d’Eisenstein.
“Nous les vieux, nous ne verrons sans doute jamais une révolution de notre vivant.” Le 1er janvier 1917, Lénine (un des cent soixante pseudonymes utilisés dans sa vie par Vladimir Ilitch Oulianov), 47 ans, n’est guère optimiste sur la perspective d’un grand soir.
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https://www.youtube.com/watch?v=4P_s5UhdKw4
Exilé à Zurich, à la tête du Parti bolchevique, il ne voit pas venir les “dix jours qui ébranlèrent le monde”, selon l’expression restée fameuse du journaliste socialiste américain John Reed. La prise du palais d’Hiver à Petrograd en octobre 1917, il y a cent ans presque jour pour jour, lui offre un démenti inespéré.
L’événement a été reconstitué par Eisenstein dans le film de propagande soviétique Octobre, sous la forme d’une insurrection populaire massive. “Depuis, ce sont toujours ces images qui font perdurer le mythe de la révolution d’Octobre”, explique le documentaire Lénine, une autre histoire de la révolution russe. En réalité, la prise du palais d’Hiver a davantage ressemblé à une “opération de police”.
C’est tout l’intérêt du travail de Cédric Tourbe, avec l’historien Marc Ferro et le politologue Michel Dobry : à partir d’archives exceptionnelles, et en s’appuyant sur les récits de témoins privilégiés – comme le socialiste révolutionnaire Nicolas Soukhanov –, ils donnent à voir l’envers d’une histoire “réécrite, censurée, maquillée” par Staline au lendemain de la mort de Lénine, en 1924.
Le triomphe des bolchéviques opportunistes
Ainsi, celui qui fut souvent dépeint comme l’âme politique de l’insurrection apparaît à l’occasion ballotté par le cours imprévisible de l’histoire. Quand il harangue la foule, lors de son arrivée à Petrograd le 3 avril 1917, en expliquant qu’il faut transformer la “guerre de rapine impérialiste” en guerre civile contre les capitalistes dans chaque pays, celle-ci lui répond par un silence gêné. Même sa femme, Nadejda Kroupskaïa, confie alors s’être inquiétée pour sa santé mentale.
Il faudra que les soldats, les marins et les paysans se jettent avec toute l’énergie du désespoir dans le soulèvement armé pour que le “monde change brutalement d’horaire” (Stefan Zweig) et que les bolcheviques, par opportunisme historique, en sortent triomphants.
Le documentaire se termine par une pancarte brandie dans une manifestation en 1918, après que l’assemblée constituante a été fermée de force, et alors que la démocratie soviétique a été confisquée par un seul parti : “Les Russes ne sont pas des rats de laboratoire pour les expériences de Lénine.” On connaît la suite.
Lénine, une autre histoire de la révolution russe documentaire de Cédric Tourbe, mardi 28, 20 h 50, Arte
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