Il est l’un des seuls à avoir vu arriver l’attaque au Bataclan. Depuis cinq ans, David Thomson travaille sur le jihadisme. Il publie un livre important, Les Revenants, composé de témoignages de jeunes Français partis servir Daech et qui reviennent. Rencontre.
“Je me suis fait humilier. Même ma famille m’a trouvé trop sûr de moi.” Le 25 avril 2014, quand il sort de l’émission Ce soir (ou jamais !), David Thomson a le sentiment d’être passé pour un “illuminé” aux yeux de la France entière. Ce jour-là, sur un vieil air de saxo et dans une lumière rose tamisée, Frédéric Taddeï fait débattre un panel de spécialistes du jihadisme. Jeune journaliste à RFI, David Thomson vient évoquer son livre Les Français jihadistes (éditions Les Arènes), dans lequel il fait témoigner, pour la première fois, des adolescents partis combattre en Syrie.
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Avec son look de hipster, ce trentenaire détonne au milieu d’une agora de cheveux blancs. Mais c’est son propos qui va déclencher le scandale : “Lorsque vous posez la question des actes terroristes sur le sol français, tous vont dire que c’est quelque chose de légitime, qu’il faut faire cela…”
“Je savais que ça allait arriver, qu’il y allait avoir du sang dans les rues”
Sur le plateau, on l’accuse tour à tour d’être ignorant, de vouloir faire monter les extrêmes ou bien encore de stigmatiser les musulmans. Le coup de grâce est signé William Bourdon, un avocat se réclamant du juge antiterroriste Marc Trévidic : “Il ne dit pas du tout ce que vous dites. Et je crois qu’il en connaît un peu plus que vous sur la question. Ce n’est pas parce qu’on a fait un reportage et qu’on a rencontré quelques dizaines de jihadistes qu’on est devenu un expert souverain sur la question.”
Deux ans plus tard, et après 240 morts suite à la vague d’attentats perpétrés en France, David Thomson est reconnu comme “l’expert souverain” du sujet. “Je savais que ça allait arriver, qu’il y allait avoir du sang dans les rues de Paris, confie-t-il aujourd’hui avec tristesse. Non seulement je le savais mais, en plus de cela, j’avais mené des entretiens avec ceux-là mêmes qui allaient deux ans plus tard constituer la cellule souche du commando du 13 novembre 2015.”
Une hyper rédaction à lui tout seul
Devenu une source incontournable sur le jihad français, David Thomson est une hyper rédaction à lui tout seul. Après avoir longtemps tweeté dans le désert, son compte alimente aujourd’hui tous les sites d’informations français (du Monde au Figaro…).
Un homme arrêté soupçonné de préparer 1 attentat contre salle de concert. Option présente ds la propagande jihadiste pic.twitter.com/KLPjkFcm72
— David Thomson (@_DavidThomson) September 18, 2015
Grâce à son réseau et à sa connaissance de cette mouvance, il a souvent un temps d’avance sur ses confrères. Ainsi, le 18 septembre 2015, deux mois avant le tragique 13 novembre, il annonce que Daech prépare une attaque contre une salle de concerts. “Quand une cellule de jihadistes est démantelée, une fois sur deux, je les connais et j’ai fait des entretiens avec eux”, explique-t-il.
L’appel du terrain
Ce fils de profs qui a grandi dans les quartiers bourgeois du Val-d’Oise n’avait pas vocation à devenir un spécialiste du jihad. Depuis qu’il est ado, David s’intéresse à la musique jamaïcaine (reggae, dancehall) et à ses influences africaines. L’histoire du continent le travaille.
A Sciences-Po Aix, il écrit son mémoire de recherche sur l’héritage de Jacques Foccart, le père de la “Françafrique”. Reçu à l’Institut de journalisme Bordeaux Aquitaine, il choisit de faire un stage au sein du journal sénégalais Le Quotidien et trouve sa vocation.
“A Dakar, j’ai découvert ce que Radio France Internationale représentait pour eux, raconte-t-il. Les gens vivaient et s’endormaient avec RFI, l’oreille collée sur le transistor. Ils étaient capables de citer des reportages vieux d’il y a dix ans. RFI est un peu devenue un mythe pour moi et je me suis dit que je voulais rejoindre la rédaction.” En 2009, il tape donc à la porte du service Afrique de RFI et devient pigiste. Durant trois ans, il fait du desk entrecoupé de quelques petits reportages. Le terrain lui manque. “Je me faisais chier, j’avais vraiment envie de partir.”
De la guerre en Libye au jihadisme
Avec la chute de Ben Ali s’ouvre l’opportunité de couvrir la révolution tunisienne sur place. David Thomson ne la laisse pas filer. Avant son envol vers Tunis, sa chef prévient par mail la rédaction : “David Thomson sera notre correspondant en Tunisie pour les trois prochains mois (années ?)”
Il y restera effectivement trois ans, couvrant d’un front à l’autre toutes les zones de conflit de la région. Il suit ainsi la guerre en Libye (dans les deux camps), l’arrivée des frères musulmans au pouvoir en Egypte, l’arrivée des jihadistes au Mali en 2012 et puis la transition politique postrévolutionnaire en Tunisie avec la prise du pouvoir par les islamistes d’Ennahda. Son seul regret ? N’avoir pas eu le temps d’aller une seule fois à la plage.
Il entre en contact pour la première fois avec des jihadistes en 2012, lorsqu’il filme une réunion d’un parti salafiste tunisien. A la fin du meeting, deux jeunes hommes à la longue barbe et à la moustache rasée l’abordent en se présentant à lui comme des “salafistes jihadistes”. Ils l’introduisent dans la mouvance.
“J’ai commencé à les suivre et il se trouve qu’ils sont devenus super influents, raconte Thomson. L’un des deux deviendra un cadre important de l’EI.” Pourquoi se sont-ils confiés à lui plutôt qu’à un autre ? “En tant que correspondant indépendant, j’ai eu le temps de les convaincre. Je passais parfois trois mois sans tourner une seule image. Et puis, ils se sont rendu compte que je n’étais pas en contact avec des services de renseignement et que je n’étais pas dans le jugement mais dans l’observation.”
“Quand on travaille sur le jihadisme, on y pense tout le temps”
David Thomson a choisi de faire de la “rigueur universitaire son journalisme”. Son travail se situe à mi-chemin entre l’anthropologie et la sociologie. Il est guidé par l’idée de “comprendre comment un acteur social, qui a grandi dans un milieu populaire – c’est le cas pour la plupart d’entre eux –, issu d’une minorité ou de l’immigration, qui a grandi dans l’école de la République, peut devenir jihadiste”.
Pour cela, Thomson a réalisé plusieurs centaines d’entretiens en Tunisie, puis à Paris. “J’ai été dans une relation de confiance avec eux et la confiance repose sur l’honnêteté. J’ai eu ces règles avec des terroristes, c’est vrai, reconnaît-il. Je comprends que ça puisse choquer mais c’est ce qui m’a permis de faire mon travail. J’aurais appliqué la même méthodologie pour n’importe quel sujet.”
Après cinq années de “boulot acharné”, David Thomson reconnaît que ce “sujet” pas tout à fait comme les autres a dévoré sa vie sociale et personnelle. “Au quotidien, la plupart des gens que je côtoie sont soit des jihadistes, soit des ex-jihadistes, soit des confrères ou des amis chercheurs qui travaillent sur le jihadisme”, confie-t-il.
“C’est parfois lourd à porter, psychologiquement”
“C’est toute la difficulté de ce travail. On ne décroche jamais. D’abord parce que c’est un travail passionnant, qui nécessite un suivi permanent, mais aussi parce que les acteurs me contactent à n’importe quelle heure du soir au matin et parfois même la nuit ; ensuite parce que c’est très difficile, lorsqu’on est immergé dans cet univers de violence et de morbidité, de poser son cerveau sur une table pour boire des coups avec des amis comme si de rien n’était. Quand on travaille sur le jihadisme, on y pense tout le temps. On développe des paranoïas qui en fait n’en sont pas. C’est parfois lourd à porter, psychologiquement. On ne peut pas vivre comme tout le monde.”
Dans son nouveau livre, Les Revenants, David Thomson donne la parole à des Français partis faire le jihad en Syrie et de retour en France. On y apprend que la lecture économique ou sociale ne suffit pas à expliquer le phénomène.
L’un de ces “revenants”, Zoubeir, enfant de “classe moyenne supérieure”, raconte qu’il a basculé parce que la société contemporaine ne répondait pas à sa quête d’absolu spirituel. “On nous pousse à consommer, consommer, consommer plus, déclare ce jeune aujourd’hui repenti . Mais au bout d’un moment, consommer, ça ne donne pas une raison de vivre. Certains ont besoin d’un autre projet.”
En pleine déroute militaire après avoir perdu la ville de Manbij en Syrie, l’Etat islamique déclarait : “Nous avons perdu une bataille mais nous avons gagné une génération qui connaît son ennemi.” Alors qu’il envisage de tourner la page de l’étude du jihad, David Thomson nous aura donné les clés pour comprendre cette “génération” désenchantée.
Les Revenants – Ils étaient partis faire le jihad, ils sont de retour en France, Seuil, 294 pages, 19,50 €
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