Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, avait invité jeudi soir les militants socialistes à venir assister à la retransmission du premier débat des primaires citoyennes au siège du parti, à Paris. Récit d’une soirée pas franchement déjantée.
Au 10, rue de Solférino, hier soir, une centaine de militants étaient attendus. Mais seule une petite cinquantaine sont venus. Il faut dire que le début de tempête, qui s’est manifesté sur Paris une heure avant le débat, n’aidait pas à se motiver… Du coup, il y avait suffisamment de parts de pizza pour tout le monde, et pour tous les goûts. Sauf celui de Lucienne, militante parisienne de 60 ans, qui s’est plainte qu’il n’y ait aucune pizza végétarienne sur le buffet. « Ce parti n’est décidément pas écolo !« , s’indigne-t- elle dans un sourire.
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Les militants arrivent au compte-gouttes – c’est le cas de le dire vu la météo du soir – et s’assoient autour de grandes tables. Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du parti, fait son entrée cinq minutes avant le coup d’envoi du débat. Une chaise l’attend au premier rang devant l’écran géant.
L’émission débute. Chacun des candidats est invité à définir d’un mot le bilan du quinquennat. Valls est le seul à mettre en avant « sa fierté« , tandis que Benoît Hamon qualifie le mandat « d’inachevé« , Arnaud Montebourg de « difficile à défendre » et Vincent Peillon parle « d’incompréhension« . N’en jetez plus ! Les militants écoutent attentivement, sans broncher.
Très vite, le débat tourne autour du revenu universel, la proposition phare de Benoît Hamon. Soucieux de « tourner la page avec la vieille politique« , l’élu de Trappes veut se poser en homme disposant d’une vision « de long terme » :
« La révolution numérique change d’ores et déjà notre rapport au travail. Elle peut avoir des conséquences sur l’emploi. Le revenu universel est ce que la Sécurité sociale était pour notre génération ».
La mesure est sévèrement taclée par ses adversaires, notamment par Manuel Valls, désireux de promouvoir « une société du travail« , et Vincent Peillon, qui s’inquiète de son coût et de son esprit même : « Le revenu universel coûte 400 milliards, qui les payera ? Philosophiquement c’est une idée qui pose un grand problème : on a construit la solidarité sur l’idée que ceux qui ont le plus donnent à ceux qui ont le moins« .
Un débat (trop) sage
Sur la question de la loi Travail, c’est cette fois Manuel Valls qui se retrouve cerné. Si l’ancien Premier ministre salue une « avancée » malgré des « explications ratées« , Arnaud Montebourg et Benoît Hamon promettent tous deux d’abroger ce texte s’ils étaient élus présidents. Pour le premier, le « péché capital » du texte est de considérer « que la responsabilité du chômage est en rapport avec le droit du travail« . Des convergences certaines se dessinent entre les candidats sur plusieurs thèmes aussi divers que la mixité scolaire à l’école, le renforcement des moyens des forces de l’ordre, ou encore les exécutions ciblées des terroristes.
Le débat est (trop) sage, lisse, sans envolées lyriques ni morceaux de bravoure. Chacun joue sa partition sans trop de fausses notes: Valls se pose en homme d’expérience et d’autorité ; Peillon en centre de gravité de la gauche et en républicain farouche ; Montebourg en défenseur des travailleurs et du pouvoir d’achat ; Hamon en promoteur d’un nouveau paradigme à la fois social et écologique.
Du côté des « petits » candidats, de Rugy fait montre de clarté dans ses interventions tandis que la seule femme sur le plateau, la radicale Sylvia Pinel, apparaît assez effacée. Les sorties loufoques de Jean-Luc Bennahmias déclenchent les rires du public, surtout lorsqu’il dément avoir inscrit dans son programme une proposition pourtant visible sur son site de campagne: “J’apprends que je veux constituer un corps de vigiles privés, je ne sais pas où vous avez vu ça !”
« Nous verrons bien ce qu’il adviendra du Parti socialiste en mai prochain »
Les minutes passent et un certain sentiment d’ennui transparaît dans la salle : les militants pianotent sur leur téléphone ; les bâillements ne sont pas rares. Un jeune homme s’assoupit carrément durant la séquence sur le pouvoir d’achat, avant que son camarade lui donne un coup de coude : « Réveille-toi, Valls se fait tacler sur le 49.3 ! »
Une fois l’émission terminée, de timides applaudissements retentissent dans l’assistance. Les militants ne s’éternisent pas pour refaire le match, qu’ils semblent avoir trouvé suffisamment long ainsi. Mais ils ne peuvent s’empêcher d’échanger autour du nom du vainqueur du débat. S’il semble y avoir autant d’avis différents que de militants présents, une impression générale se dégage toutefois : aucun candidat n’a crevé l’écran.
« Cela ressemblait à un round d’observation, analyse Jean, 29 ans. Personne ne s’est vraiment lâché. Ce n’est pas plus mal pour l’unité du parti, mais il faudra que les candidats mettent davantage leurs tripes sur la table la prochaine fois pour que l’on parvienne à se faire une idée ».
Hervé, 43 ans, est lui déçu du niveau des échanges: « Un candidat sur deux n’avait pas sa place sur le plateau ce soir. Ne me demandez pas de citer de nom, je veux rester poli. Mais vous les aurez devinés… » Sa femme, Elise, 42 ans, essaye de positiver: « Tous les candidats ont leurs points forts, mais aussi leurs limites. Au fond, il nous faudrait quelqu’un qui incarne la synthèse du meilleur de chacun ». Et son mari de répliquer, effaré: « Ne me dis pas que tu veux le retour de Hollande ? »
« Le côté un peu frustrant »…
Jean-Christophe Cambadélis affiche pour sa part une mine satisfaite: « Ce fut un débat de bonne facture. Ce que je retiens, c’est qu’il n’y a pas d’insurmontable fracture entre les candidats, et même un très grand consensus en matière de politique étrangère. Tout cela est prometteur et me rend optimiste sur la capacité de rassemblement du futur candidat« . Tout va bien, monsieur le marquis…
Benjamin Lucas, 26 ans, le président du Mouvement des Jeunes socialistes (MJS), se félicite également de la courtoisie entre candidats:
« Ils ont montré qu’on pouvait s’exprimer sans s’invectiver : c’est une bonne chose. Après, le format de l’émission était tel que cela ressemblait davantage à une conférence de presse qu’à un véritable débat. D’où le côté un peu frustrant ».
Alors que la salle s’était quasi vidée en une poignée de minutes, Maryse, 78 ans, adhérente du PS depuis 1981, conclut au milieu des pizzas froides demeurées sur le buffet : « Nous verrons bien ce qu’il adviendra du Parti socialiste en mai prochain. En attendant, la bonne nouvelle, c’est qu’il ne pleut plus« .
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