Qui n’a jamais connu les joies et aléas de la vie en chambre étudiante ? Ses toilettes dans la douche, sa cuisine dans le salon, son vestiaire sur le lit ? Lit qui se veut désormais ultra connecté… ou presque. A l’orée de cette nouvelle année scolaire, un article publié mercredi dans le quotidien Ouest-France (titré “Étudiants […]
Un article paru dans la presse régionale bretonne a révélé qu’une résidence universitaire de Rennes avait équipé certains lits de capteurs pour mesurer leur degré d’usure. Tollé général, puisque la présentation des faits a rendu la frontière entre vie privée et sécurité plus trouble que jamais… Face aux craintes des étudiants, et en dépit des explications du concepteur des lits, le Crous a préféré annuler l’expérimentation.
Qui n’a jamais connu les joies et aléas de la vie en chambre étudiante ? Ses toilettes dans la douche, sa cuisine dans le salon, son vestiaire sur le lit ? Lit qui se veut désormais ultra connecté… ou presque. A l’orée de cette nouvelle année scolaire, un article publié mercredi dans le quotidien Ouest-France (titré “Étudiants : dormez, vos lits sont surveillés”) nous révèle que dix des 150 chambres de la résidence universitaire Maine, à Rennes, devaient être le théâtre de l’installation de lits connectés.
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“Devaient”, car le véritable tollé provoqué par l’information a inexorablement conduit à l’annulation du projet. Les couches, choisies de manière aléatoire d’après le quotidien breton, auraient été parées de capteurs électroniques qui permettraient de contrôler l’usure des lits sur le long terme. Ceux-ci devaient transmettre des données en temps réel au Crous de Rennes-Bretagne.
“Lorsqu’un étudiant prend son lit pour une barre de tractions ou quand le matelas se transforme en canapé pour dix personnes, nous sommes au courant”, aurait expliqué Paul Malignac, directeur général d’Espace Loggia, dont la branche Artisans IoT est en charge de cette installation à Ouest-France. “En cas d’urgence, un SMS est envoyé automatiquement à un agent technique qui peut intervenir dans la chambre.” Des propos que le créateur de l’installation affirme pourtant n’avoir jamais tenus, nous expliquant même qu’il a « rencontré une journaliste du quotidien, certes, mais pas l’auteur de cet article« .
Une « maintenance préventive » avant toute chose
Selon Paul Malignac, les captures n’ont pas pour dessein d’enfreindre à la vie privée mais d’assurer une « maintenance préventive du mobilier pour minimiser les coûts ». Le directeur s’explique :
« Certains points majeurs ont été mal compris par le public. Déjà, tout devait se faire par volontariat. Nous devions, à la rentrée, expliquer aux étudiants la teneur du projet et seule une poignée de volontaires aurait participé. Et surtout, les sondes ne captent que des choses anonymes et non personnalisées. Il n’y a pas de données personnelles, je ne peux capter que le numéro de série du lit. Je ne connais pas l’étudiant ou la chambre, et je n’en ai pas besoin… Je peux juste dire si le mécanisme de levage fonctionne ou non. C’est de la maintenance industrielle ça n’a rien d’une télé-réalité glamour. »
Quid du cadre légal ?
Tout serait donc légal ? Arnaud Duranthon, maître de conférences de droit public à l’université de Strasbourg, nuance: « Quoi qu’en dise le responsable de l’entreprise et comme le précise la Cnil (ndlr : la Commission nationale de l’informatique et des libertés), ‘la loi Informatique et Libertés s’applique dès lors que des données à caractère personnel sont collectées, même en l’absence de transmission de ces dernières’. Un tel dispositif de traitement de données à caractère personnel est donc évidemment, sous peine de sanctions pénales, soumis à un régime de formalités préalables (et donc de contrôle). »
Seulement voilà, le dispositif n’a pas fait l’objet de déclaration, dans la mesure où il apparaît qu’il n’a pas été activé : l’expérience n’avait pas encore commencé. « Comme nous n’avions pas terminé l’installation, tout ce que nous avions c’était l’autorisation du Crous en amont » rappelle Paul Malignac. Dès lors, impossible de savoir si le système pensé par Espace Loggia aurait été validé par le Cnil, ou considéré comme une infraction à la vie privée.
Avec ou sans le papier publié dans Ouest-France, le PDG espérait-il échapper aux vérifications de l’organisme de contrôle ? L’homme s’en défend, nous assurant qu’il comptait « bien envoyer un dossier au Cnil, même si nos données sont anonymes, par souci de transparence. Et si la structure les avait jugé personnelles, alors nous aurions discuté avec elle, tout simplement. » Arnaud Duranthon, lui, est catégorique : « On informe la Cnil avant même la mise en œuvre du traitement ! »
Quoi qu’il en soit, pour l’expert en droit, la faute est partagée, ou plutôt un réel manque de communication entre les différents agents est à déplorer : « Sur un sujet aussi délicat que le rapport entre la vie privée et l’utilisation de technologies connectées, on aurait pu s’attendre, à tout le moins, à ce que le dispositif ait été précisément étudié sur le plan des impératifs juridiques, ce qui ne semble pas être le cas dès lors que les étudiants n’étaient, semble-t-il, pas informés. »
Des étudiants du campus rennais qui n’ont pas manqué de panique, à l’idée d’être « surveillés » dans leur intimité. A leur écoute, le Crous de Rennes-Bretagne a tout logiquement annoncé à travers un communiqué la fin de l’expérimentation. Ou, plus exactement, son annulation.
Une décision qui sonne comme un soulagement pour l’Union nationale des étudiants de France (Unef) : « Nous ne sommes bien sûr pas réfractaires à la technologie, mais considérons que de telles innovations doivent se faire avec l’approbation des étudiants concernés, en toute transparence concernant la collecte des données et après une phase de concertation approfondie avec les représentantes des étudiantes. »
Une image écornée
Les Artisans de l’IoT, eux, dénoncent une lecture « sensationnaliste » des faits. « Nous ne sommes pas Big Brother ! L’article de Ouest-France agite injustement la peur d’une surveillance généralisée des étudiants sur un mode sensationnel », rappelle la PME vendéenne, qui encaisse difficilement la mauvaise publicité. « Si l’expérience est totalement abandonnée par le Crous sur le long terme, ça met en danger le projet, confie Paul Malignac. Il y a une perte de confiance, notre image est déjà un peu écornée. »
Depuis le quotidien breton a, entre temps, publié un nouveau papier plus nuancé, davantage axé sur l’aspect préventif du projet. En guise de mea culpa ?
Crous Rennes AUCUN ÉTUDIANT N’EST SURVEILLE ! #FakeNews Démenti de l’article : https://t.co/1pUhcqOAkV @ouestfrance35 pic.twitter.com/1591Nj5sQu
— Artisans IoT (@ARTISANSIoT) 7 septembre 2017
« La peur d’une surveillance généralisée »
Sensationnaliste ou pas, le premier article de Ouest-France a au moins mis en lumière la méconnaissance du grand public en terme de nouvelles technologies mais aussi des lois. Ainsi qu’une peur évidente face à l’avènement des objets connectés, comme si nos quotidiens pouvaient verser dans la dystopie façon Black Mirror à tout moment.
Plus que l’échec de son projet, c’est peut-être ce que Paul Malignac regrette finalement le plus : « Il y a une technologie qui se développe vite et qui alimente les peurs. Il faut apporter une certaine éducation au grand public pour débattre. Comprendre les avantages, les limites du système… J’aurais aimé avoir un débat public ouvert, notamment sur la notion d’hyper connectivité. » Les étudiants, mieux informés, et donc au fait des mesures de sécurité de la manœuvre, auraient-ils joué le jeu ?
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