Moins chère et plus facile d’accès que les médicaments opiacés dont la consommation a explosé aux Etats-Unis, l’héroïne fait un retour fracassant dans l’ensemble du pays.
Partageant une clope sur le parking de la Paramount durant le tournage de La Guerre selon Charlie Wilson, Philip Seymour Hoffman confiait au scénariste Aaron Sorkin, héroïnomane abstinent : « Si l’un de nous deux en crève, ça sauvera peut-être dix personnes sur le point de crever aussi. »
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Hoffman avait déjà le film de sa mort en tête. Il savait aussi que l’Amérique avait de nouveau un gros problème avec l’héroïne, et qu’en cas d’accident, sa notoriété le ferait surgir au grand jour.
Un mouvement sous-jacent et profond
Entre 2007 et 2012, le nombre d’usagers aux Etats-Unis est passé de 373 000 à 669 000, selon un rapport du département de la Santé publié en septembre 2013. Le mouvement est sous-jacent, profond. Il touche avant tout les banlieues blanches appauvries des villes moyennes du Nord-Est et du Midwest. Une Amérique hors des radars. Les médias relatent surtout les coups de filet spectaculaires ou les épidémies d’overdoses liées à un produit coupé.
Loi des séries : la semaine précédant la mort d’Hoffman, la police de Pittsburgh (Pennsylvanie) annonce qu’une variété d’héroïne coupée au fentanyl, un opiacé de synthèse très puissant utilisé pour soulager les cancéreux, a entraîné la mort d’une vingtaine d’usagers en six jours. Ce cocktail serait à l’origine de la mort de treize usagers à Providence, ville côtière située entre New York et Boston, en janvier.
OxyContin, Roxicodon…
Pour expliquer le retour d’une drogue qui a saigné les baby-boomers il y a quarante ans, les experts parlent d' » amnésie générationnelle ». Ils évoquent aussi la formidable augmentation de la consommation de médicaments opiacés dans les foyers américains depuis 2000 – prescrits pour le traitement de douleurs aiguës et détournés de leur usage. Ce sont les fameux painkillers codéinés, comme l’OxyContin et le Roxicodon : plus communément appelés Oxy et Roxy ou, dans le Midwest, « hillbilly heroin » (« l’héroïne du bouseux »).
Hoffman était un gros consommateur d’Oxy en parallèle avec l’héroïne (en 2006, il avouait dans l’émission 60 minutes avoir été accro jusqu’à l’âge de 22 ans), selon des tabloïds qui citent des « sources anonymes proches de l’acteur », et c’est via ces médicaments qu’Hoffman aurait replongé après plus de vingt ans d’abstinence.
Des sachets tamponnés « Gucci », « Twilight » ou « Lady Gaga »
Environ soixante-dix sachets d’héroïne auraient été retrouvés chez lui, tous tamponnés avec les inscriptions « Ace of Spades » (« as de pique »), « Ace of Hearts » (« as de coeur »). A New York, un autocollant ou une inscription accompagnent chaque dose, dans un effort marketing des dealers. D’autres tampons comme « Lady Gaga », « Gucci », « Twilight » ou « MySpace » indiquent l’âge du public visé par les grossistes.
On se tourne vers l’héroïne parce qu’elle est moins chère, plus facile d’accès et pratique à injecter. « Les gens deviennent accros aux médocs, et quand ils ne peuvent plus s’en procurer, ils se tournent vers autre chose, témoigne Brad Lamm, ancien usager et directeur d’un centre de désintoxication à Los Angeles, interrogé par la chaîne Pix 11. L’héroïne est devenue la manière la plus économique de planer. Tellement de jeunes démarrent avec les pilules, celles de leurs parents, ou celles achetées au marché noir. Aux Etats-Unis, en dix ans, la consommation de médicaments à base d’opiacés a augmenté de 430 %. » En 2010, les laboratoires qui fabriquent l’OxyContin ont changé sa composition pour rendre sa pulvérisation et son injection plus difficiles. Résultats collatéraux : plus d’oedèmes et de caillots chez les usagers, qui se tournent d’autant plus vers l’héroïne.
Certains Etats n’ont pas attendu la mort d’Hoffman pour s’alarmer, notamment en Nouvelle-Angleterre. Le cas du Vermont est particulièrement préoccupant. Le 8 janvier, le gouverneur de ce petit Etat forestier, libéral et blanc à 96 %, n’a pas consacré son traditionnel discours de début d’année à l’exportation de sirop d’érable ou à l’Obama Care, mais à la consommation vertigineuse d’héroïne.
« L’addiction aux opiacés nous menace (…). C’est une crise qui bout sous la surface du Vermont. Invisible pour beaucoup, mais très visible pour les forces de l’ordre, le personnel médical, les services sociaux et pour trop de familles. »
Dans cet Etat, a-t-il précisé, les traitements d’addiction aux opiacés ont augmenté de 770 % depuis 2000 et le nombre d’overdoses a doublé depuis l’an dernier.
De 6 jusqu’à 30 dollars le quart de gramme
C’est l’aire géographique New York-New Jersey qui distribue l’héroïne dans le Nord-Est, de la Pennsylvanie à la frontière canadienne, et c’est là que l’héroïne est la moins chère : 6 dollars le quart de gramme. Dans le Vermont, cette dose peut atteindre 30 dollars. Ça reste moins cher que l’Oxy et le Roxy : selon les pharmacies, le type d’assurance et l’isolement géographique, un Oxy 80 mg revendu au marché noir est estimé, sur différents forums virtuels, à 80 dollars.
« Les pilules sont chères et difficiles à obtenir, on assiste donc à un retour au marché noir et à l’héroïne », résume Andrew Kolodny, addictologue interrogé par le New York Times. Les opiacés sont comme le génie du conte perse : une fois sortis, difficile de les faire rentrer dans la lampe.
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