La difficile repentance des agresseurs de Clément Méric
D’un soupir énervé, ils se sont levés en silence, et sont partis. Ce mardi 4 septembre, vers 11h, la présidente vient de l’annoncer : cela commencera finalement à 13h45. Le procès autour de l’affaire Clément Méric, cet antifa mort sous les coups de membres ou sympathisants du mouvement nationaliste révolutionnaire Troisième Voie et dissous en 2014 suite à la rixe, devait commencer à 9h30. Finalement, il faudra revenir en début d’après-midi : « Nous commençons cette audience avec une réelle difficulté, la cour est obligée de constater l’absence d’un des accusés, Samuel Dufour. Cette personne est introuvable, injoignable sur son téléphone portable, je n’entends pas commencer l’audience sans lui », expliquait alors la présidente.
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La présidente demande à Samuel Dufour pourquoi il était absent. "Je me suis fait interpeller par la police devant le palais, il y avait une manifestation et apparemment", explique-t-il, il correspondait "aux signalements". #Meric
— Maud Vallereau (@maudvallereau) September 4, 2018
Ironie du sort, ou mauvais génie, l’ancien skinhead a « été interpellé pour un contrôle d’identité » aux abords du… Palais de justice sur l’île de la Cité, où devait se tenir le procès. L’anecdote ne fait pas rire. Ni les quelques dizaines d’antifas attendant devant la salle, ni les badauds ayant essuyé plus de deux heures de queue et trois checkpoints de sécurité, ni les futurs jurés d’assise ou membres des familles, ni la foule de journalistes, le tout coincé dans la salle exiguë, pleine d’une chaleur étouffante de la Cour d’Assise où devraient se tenir débats et délibérations jusqu’au 14 septembre prochain.
Faire front
Dès 8h30, dans la très longue queue menant à la très sécurisée entrée de l’ancien Palais de justice sur l’Île de la Cité –au point de demander aux visiteurs de même laisser leur parapluie à l’entrée, l’inquiétude est palpable chez ceux venus soutenir et honorer la mémoire de leur camarade décédé « sous les coups du fascisme », affirme un jeune antifa, jean déchiré et veste militaire ornée de multiples pin’s anticapitaliste. Comme beaucoup, il est venu parce qu’il se sentait « le devoir de faire front, de ne rien laisser passer, ni oublier« , joignant le geste à la parole pour dévoiler un tatouage où l’on peut lire « no pasaran ». Traduction : « ils ne passeront pas », slogan antifasciste hérité des partisans de la Seconde République espagnole (1936-1939) luttant contre le régime franquiste. Un autre glisse : « ça va être compliqué. Il y a des témoins des deux côtés, et la vidéo n’est pas ouf », confiant son inquiétude à un camarade.
Et pour cause, les images de surveillance, filmant l’altercation entre le groupe de skinhead et les antifas, débouchant sur la mort de Clément Méric ce 5 juin 2013, est courte et confuse. Plus précisément, six secondes seulement pour un plan fixé sur les jambes des protagonistes. L’enjeu du procès : établir la responsabilité des prévenus, et surtout d’Estéban Morillo, 26 ans aujourd’hui, dont les coups mortels auraient été assénés à l’aide d’un poing américain.
En vacances, ou malade : l’esquive des témoins
Le retard du procès devra se doubler d’absence. Celle de quelques prévenus. Certains annoncent être partis en vacances pour justifier leur indisponibilité, d’autres invoquent des conditions de travail limitant leur déplacement. Mais celui qui fait sourire le plus jaune, journalistes, jurés et avocats dans un curieux unisson, est sans doute l’homme que tout le monde attendait : Serge Ayoub, fondateur du mouvement fasciste Troisième Voie, et de son bras armé – les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR), dont se réclamaient plus ou moins les prévenus à l’époque, et dont les liens avec ces derniers, suite à la rixe fatale, restent à clarifier. Sans broncher, la présidente fait la lecture de la lettre adressée à la Cour,où l’intéressé fait part de son « incapacité » à se rendre au procès. Certificat médical à l’appui, il profite de ce moment pour demander à la présidente comment est organisé la sécurité afin d’assurer « la sérénité du débat ». Il ajoute : « Il ne faut pas que ce drame se réitère, et qu’une fois agressé, je doive me défendre » écrit l’intéressé d’un brin, qu’on devinerait ironique. Beau joueur, l’avocat général se lève pour suggérer la présence « d’un service d’ordre » pour le protéger, histoire d’ajouter aux onze cars de CRS déjà disposés à l’entrée du Palais. Affaire à suivre.
Invariable, la présidente continue dans l’après-midi et la chaleur oppressante de la petite salle faisant clore parfois les yeux fatigués de quelqu’un de nos confrères les moins jeunes. Après le récit des événements, le procès commence vraiment. Et commence par l’approche de la personnalités des trois prévenus : Alexandre Eyraud, Samuel Dufour et Estéban Morillo. Ce dernier est le premier à comparaître. Au programme, récit autobiographique, puis entretien avec ses proches, dont ses parents devant quitter la salle avant d’être appelés à titre de témoins, la mère essuyant une larme lorsqu’elle est sommée de se présenter devant la présidente.
Dépits et regrets d’un skinhead repenti ?
« Je voudrais souligner à quel point je suis attristé par cette affaire. Ça me touche vraiment, je suis catastrophé », souhaite commencer le jeune homme avant de raconter son parcours. Coupe mi-long, veste et pantalon noir, le regard calme mais pas inquiet lorsqu’il blague autour d’un téléphone à la pause avec ses comparses, l’ancien skinhead n’a plus vraiment le look de ses amours passés. Mieux, il aurait recouvert ses tatouages : ceux accusant des engagements néo-nazis. Toile d’araignée sur le coude –très prisé par les mouvements d’extrême-droite, mais aussi de gauche, logo de Troisième Voie et même la devise vichyste « Travail, Famille, Patrie » dont il dit avoir réalisé la nature idéologique un mois après se l’être fait tatouer. Il a dû essuyer les insultes de nombreux tatoueurs avant de pouvoir se les faire recouvrir. Il perd ses tatouages, mais gagne du poids d’ailleurs, « je pèse 110 kilos » affirme le jeune homme à la carrure large, contre 80 à l’époque des faits.
Un détail anodin, mais conforme aux conditions de l’enquête de personnalité désirées par la justice pour comprendre l’individu présenté à la Cour. C’est « nécessaire« , explique la présidente à l’attention des parents de Clément Méric, devant assister malgré eux à la biographie de l’homme soupçonné d’avoir délivré les coups entraînant la mort de leur fils. Une autobiographie hésitante, craquelant sous les interrogations de la présidente. « C’était un syndicat, ni de droite ni de gauche avec une ambition solidariste », se justifie Estéban Morillo lorsqu’on l’interroge sur sa rencontre avec Troisième Voie. « Et de quoi y parliez-vous ? », demande la présidente. « De tout, de l’immigration, de l’économie, de la politique, d’alliances avec des pays, que sais-je », répond l’intéressé, vague. « Et les conclusions politiques ? ». « D’extrême-droite », avoue finalement celui qui prétend ne rien connaître à la politique. Pointilleuse, la présidente continue. « Vous vous souvenez de la description de votre page Facebook ? ». L’ancien apprenti boulanger esquive, affirme ne pas se souvenir. « Ce sont des paroles tellement fortes, même violentes, très violentes, que c’est dur d’imaginer que vous ne vous en souvenez plus », grince la présidente rappelant le seul livre « liké » par sa page, Mein Kampf.
Le logo de Troisième Voie
Isolement et désirs d’intégration : itinéraire d’un enfant pommé ?
Des faits qu’il justifie par son désir d’ »impressionner » les autres, de se faire « remarquer », d’être « intégré ». Le parcours qui l’y mène est d’ailleurs confus et sinueux. Après un an et demi dans un Centre de formation d’apprentis (CFA) pour devenir boulanger-pâtissier, rêve chéri « depuis l’âge de dix ans », il arrête tout brutalement suite à un passage aux Prud’hommes, dénonçant les conditions de travail de son employeur où il effectue son apprentissage. On lui donne raison, mais le CFA lui indique qu’il doit recommencer sa formation de deux ans…à zéro. Dépité, dégoûté, il embarque pour Paris et un job dans la sécurité-incendie, encouragé par quelques copains présents dans les mouvances d’extrême-droite. Là-bas, il est seul. Là-bas, ses soutiens, émotionnels et financiers, sont maigres. Une solitude qu’il contrecarre, explique-t-il, par la présence rassurante et « communautariste » des membres de Troisième Voie, dont il se dit seulement sympathisant. Lors d’une déclaration précédente, il avait pourtant affirmé avoir « rendu sa carte du mouvement », sous-entendant qu’il y avait bien adhéré. « Je ne connaissais qu’eux« , se défend mollement le prévenu. « C’était votre deuxième famille ? », demande la présidente dernière. « Oui, admet Estéban, c’était un peu ça. J’étais loin de la mienne ».
Une emprise quasi-mentale, voudrait souligner sa ligne de défense alors que lui-même affirme avoir voulu quitter le mouvement. « Disons que le communautarisme est là sans être là. On vous sollicite pour vous rappeler que vous en ferez toujours parti, se justifie-t-il ainsi. C’est comme ça dans beaucoup de mouvements d’extrême-droite ».
Parfois, sa voix se fait tremblante lorsqu’il évoque ses parents, dont il dit être proche. Souvent, il souligne son regret, et les ennuis causés par un événement qui « me poursuivra toute ma vie ». La veille, son entreprise, où il est chef d’équipe, lui a fait part de son renvoi. Désormais, il soutient « avoir changé« . « Changé ? Moi j’ai l’impression que vous avez gommé », le reprend Me Christian Saint-Palais, défendant les parents de Clément Méric.
Sincère ou pas, la peur de ses adversaires est celle du portait d’un gamin paumé. « Il ne faut pas le déresponsabiliser », s’énerve un antifa attendant devant l’entrée du Palais. La semaine dernière, les camarades de Clément Méric de l’Action antifasciste Paris-Banlieu (AFA) nous rappelait qu’il s’agissait d’un « meurtre politique« . Le procès, lui aussi, est politique pour l’extrême-droite. « Depuis le départ, l’aspect le plus intéressant de l’affaire Méric, c’est cette alliance entre le pouvoir, la justice et l’extrême-gauche libertaire contre des prolétaires d’extrême-droite suite à la mort d’un bourgeois. Idéologiquement c’est un combo cette histoire », ironise Pierre Sautarel, fondateur d’un des plus visités sites de la Fachosphère, Fdesouche. Itinéraire d’un enfant paumé ou d’un jeune fasciste stoppé dans sa violente ascension idéologique, la Cour d’assise se prononcera le 14 septembre prochain.
https://twitter.com/FrDesouche/status/1036926409816633345
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