De plus en plus de restaurants, cafés et bars branchés de la capitale jouent avec la déco et la carte pour récréer la sensation du « chez soi ». Une tendance qui répond à un besoin actuel de réconfort et s’inscrit également dans une logique de segmentation de l’espace social.
Ça pourrait être chez nous. Il y a le fauteuil Emmanuelle, dans lequel on aime se lover pour lire dans la chambre rose. Il y a la pile de magazines qui ne demandent qu’à être lus. Puis il y a ces gâteaux au goût de revenez-y. Ça pourrait être chez nous. A ceci près : des gens prennent le thé dans la baignoire, la cigarette n’est pas autorisée, c’est inscrit dans le règlement et il faudra bien rentrer chez soi – le vrai – parce que l’endroit ferme après minuit.
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Bienvenue au Pavillon des Canaux, à la fois café, restau et espace de travail situé au bord du canal de l’Ourcq. L’un de ces tiers-lieux qui ont fleuri à Paris ces dernières années. Parmi lesquels on trouve aussi l’appartement “healthy” Chez Simone, au deuxième étage d’un immeuble au 140, rue de Rivoli, l’Anticafé (le quatrième a ouvert à République près d’un an) et à quelques encablures de là, La Maison Sage, “maison de vie nocturne”.
« Là où on se sent tranquille, c’est chez soi »
Si la clientèle visée diffère, ces nouveaux lieux de vie ont un point commun : l’esprit “comme à la maison”. Parfois le lieu s’y prête. Avec Chez Simone, Julie Aubert (du blog Mademoiselle Run) et Aurélia Del Sol (Je suis bonne) ont créé un endroit pour rassembler leurs deux communautés. “On voulait un lieu un peu déconnecté avec le monde extérieur, mais reconnectant avec soi-même. Et là où l’on se sent tranquille, c’est chez soi. Alors on a recréé un appartement”, raconte Aurélia Del Sol.
Pour y entrer, il faut composer les codes des interphones “comme si c’était chez toi. Il n’y a pas de pas-de-porte, c’est volontaire, précise Aurélia Del Sol. Ça doit être la bonne adresse que tu te refiles.” Depuis l’ouverture fin septembre, plus de 4 500 personnes ont défilé dans ces 190 m². Certains viennent tous les jours, pour des cours de sport ou bien juste pour manger. Alors que de l’aveu même de l’équipe, “ce n’est pas donné”. Car si l’on peut s’y rendre au pied levé pour déjeuner, pour le reste, il faut payer un forfait.
Dans ce club privé, la décoration, prête à instagramer, a son rôle à jouer. “Elle est évolutive. En ce moment, la boutique L’Art & La façon prête ses meubles, indique Anne d’Armagnac, consultante en stratégie de marque et média pour Chez Simone. Comme ça, ça évolue… comme une maison.” A l’Anticafé, dont le slogan est “Tous un peu chez vous”, le défi est aussi de faire vivre le lieu à moindre coût. Le mobilier est remplacé moins souvent, “mais le décor change chaque semestre, indique Nicolas Perrot, chargé du développement de l’Anticafé. En accueillant des expositions par exemple.”
Créer de l’éphémère ne suffit pas à faire d’un endroit une “maison bis”. La service et le design d’espace pèsent. Surtout à l’Anticafé, où le client paie au temps et non à la consommation. “On a intérêt à ce que les gens se sentent bien et restent, puisque notre modèle économique repose là-dessus. L’idée, c’est de créer un parcours, avec plusieurs ambiances, pour inviter les gens à s’installer, comme chez soi, poursuit Nicolas Perrot. Le tout articulé autour d’une zone centrale, où tout le monde est obligé de transiter : le comptoir, avec un barista derrière.”
Autre point à ne pas négliger : la carte, où le local et le fait maison est privilégié. Pour Jean-Louis Lambert, sociologue de l’alimentation, cela rassérène : “On apprend à manger dans une très forte proximité avec la mère. De façon inconsciente, on garde cette image rassurante de la mère comme fournisseur d’aliments. C’est en ça que l’idée du fait à la maison est réconfortante et largement exploitée commercialement. Comme si c’était forcément mieux. C’est une consommation d’image. Surtout dans les milieux urbains, où la tendance est de faire son marché, de manger bio, fait maison… C’est pratiquement de la distinction sociale à l’heure actuelle.”
“La bouffe est l’exact reflet de notre société, elle fonctionne à la représentation”, résume à sa façon François Simon, critique gastronomique au Monde, dans le dossier de l’Omnivore FoodBook #7, consacré au restaurant aujourd’hui.
« Il faut donner l’idée qu’on est aussi bien au restaurant que chez soi »
Les endroits “comme à la maison”, sophistiqués, se développent surtout dans les grandes villes. Là où il y a une forte concurrence entre les établissements et où l’on peut se faire livrer son repas à domicile, au bureau. “ll faut alors donner l’idée qu’on est aussi bien au restaurant que chez soi. Le repas reste un moment de lien social possible. Même si l’on ne partage plus la même nourriture, on partage le lieu, le moment”, éclaire Jean-Louis Lambert.
Même chose pour le café du matin et l’apéro. Pour Josette Halegoi, psycho-sociologue clinicienne et auteur de Une vie de zinc, le bar, ce lien social qui nous unit (Le Cherche Midi), “les bars et cafés ont toujours fait office de deuxième maison. La diversité a toujours été présente (auberge, tripot, maison close…) et s’est toujours adaptée à ce qu’attendait la société. Il y a une double tendance aujourd’hui : la standardisation, c’est Starbucks. Phénomène à ne pas négliger puisque d’une certaine manière, ça a obligé les cafés à tenter d’être plus confortables, plus propres, plus conviviaux… L’autre extrême, c’est la personnalisation au maximum. Ce sont les endroits ‘comme à la maison’, mais aussi les boutiques hôtels, avec des chambres uniques et des meubles à vendre.”
Sachant que la vie urbaine peut être stressante, que les logements sont chers, souvent petits et que le nombre de travailleurs indépendants va croissant, le succès de ces endroits cocons n’est pas étonnant. “Je ne dirais pas que c’est mode, je dirais que c’est une adaptation à une époque et il y en aura d’autres, avance la sociologue. Il ne faut pas oublier que le bar est un lieu de mixité sociale et culturelle, où un PDG peut prendre un café avec un artisan. Donc plus on va aller vers des lieux sécurisés, ‘comme à la maison’, plus on va segmenter, moins on va garder cette mixité. Je ne dis pas qu’il ne faut pas que ces endroits existent, mais juste qu’il faut continuer à développer des bars en parallèle. Parce que quel est le dernier lieu social qui unit les gens ? Le bar, le café. D’ailleurs, quand un bar disparaît dans une commune rurale, c’est terminé. Et dans notre société complexe, de plus en plus liquide, individualiste, le bar doit garder son âme. Parce qu’il a encore plus de sens aujourd’hui qu’hier.”
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