Avec son septième volet (hors spin-offs), la saga d’épouvante nippone s’offre un retour aux sources de l’épouvante vidéoludique. Mais pas seulement car, en se nourrissant notamment des tendances récentes de l’horreur filmée, du torture porn au found footage, le « Resident Evil » nouveau va aussi de l’avant.
L’horreur vidéoludique a changé de visage, de tempo, de priorités. Et c’est en mutant qu’elle s’est retrouvée. Tel est l’histoire officielle du développement de Resident Evil VII, nouveau volet d’une série d’épouvante pionnière – même si les puristes vous expliqueront avec raison que le Frenchy Alone in the Dark était là avant – qui semblait s’être un peu égarée sur les terres du shooter spectaculaire mondialisé. C’est en particulier ce que racontent ses créateurs en interview mais, pour une fois que la promo dit vrai, écoutons-les.
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« Je pense que Resident Evil VII est plus proche des sensations du premier Resident Evil que les deux derniers, qui s’étaient un peu éloignés de ce qui faisait à l’origine l’identité de la série, reconnaît Koshi Nakanishi, le réalisateur du jeu. « Notre nouvelle approche vise à amener les gens à retrouver ce qu’ils ressentaient à l’époque. Vingt ans après le premier épisode, cela nous a paru le bon moment pour nous pencher sur l’histoire de la série et réfléchir à ce que nous voulions en faire. Et nous avions envie de revenir aux racines de Resident Evil, c’est-à-dire à un vrai survival horror. A un jeu qui vous fait réellement peur. »
L’un des choix forts des développeurs réside dans l’identité même du personnage dont le destin globalement cauchemardesque nous est confié. Ce n’est plus un agent armé jusqu’aux dents comme Chris Redfield ou Leon Kennedy dans les Resident Evil précédents – l’excellent RE 4 et les plus discutables épisodes 5 et 6 – mais un Américain plutôt banal, Ethan, parti sur les traces de sa femme Mia, disparue depuis trois ans, et qui débarque sans flingue ni compétences particulières dans une grande propriété campagnarde possédant toutes les caractéristiques de la maison hantée.
« Avec des personnages comme Chris ou Leon, qui étaient devenus des sortes de superhéros pouvant se tirer de n’importe quelle situation, vous n’aviez plus la même angoisse qu’au début, poursuit Nakanishi. Mais souvenez-vous du premier jeu : Chris était encore un homme ordinaire, vous ne saviez pas ce qui se passait dans le manoir et pourquoi il y avait des zombies ici. Il fallait explorer, tout découvrir, et c’est ce qui vous faisait vous sentir héroïque. C’est pour ça que nous voulions revenir aux sources. Nous ne voulions pas que vous pensiez dès le départ : je suis déjà un héros. Nous voulions que vous le deveniez au fil du jeu. »
Evidemment, quelques heures après nos premiers pas douloureux dans cette habitation sinistre et méchante – car oui, parfois, dans les jeux vidéo comme ailleurs, les lieux même peuvent sembler mal intentionnés –, alors qu’on aura mis la main sur un lance-flammes et/ou un lance-grenades et dopé notre héros aux stéroïdes, on se sentira un peu moins ordinaire. Mais, pour en arriver là, on aura bien tremblé, et après aussi, en particulier quand nos munitions viennent à manquer et qu’il devient flagrant qu’on n’a pas géré au mieux notre inventaire – ça, historiquement c’est très Resident Evil.
Ne pas en déduire pour autant que Resident Evil VII serait un simple exercice de restauration d’un chef-d’œuvre ludique en péril. Le jeu ne fait pas que regarder en arrière : dans une ambiance plus malsaine que jamais, il ose aussi et prend acte du fait que le paysage de l’épouvante au sens large (jeu vidéo, cinéma, télévision…) a bien changé avec les années. On raconte qu’à l’époque du premier Resident Evil, son concepteur Shinji Mikami avait établi une liste de 30 à 40 films – le nombre est probablement exagéré – destinée à montrer à ses collaborateurs ce qu’il avait en tête. Les auteurs de Resident Evil VII ont procédé un peu de la même manière, mais il y a fort à parier que leurs références n’étaient pas vraiment les mêmes.
Plutôt que l’œuvre zombie de George Romero, Koshi Nakanishi et son producteur Masachika Kawata évoquent ainsi Evil Dead de Sam Raimi et des films plus récents comme Martyrs (de Pascal Laugier) ou Conjuring (de James Wan). Sans trop craindre de se tromper, on ajoutera à la liste la vague des films d’horreur à base de found footage dont Resident Evil VII emprunte le principe avec ses VHS trouvées par le héros (dont le contenu, bonne idée, est jouable) mais aussi, plus généralement, dans son esthétique générale avec le passage (controversé chez les fans au moment de son annonce) de la série en vue subjective.
« En vue objective, à la troisième personne, vous pouvez voir toute la scène, y compris parfois des choses qui échappent au personnage, souligne Masachika Kawata. En vue subjective, vous ne pouvez voir que ce que le personnage voit. Il peut par exemple y avoir quelqu’un juste derrière vous sans que vous le sachiez… Et puis, à la première personne, toute personne qui est devant vous donne l’impression d’être incroyablement près. C’est une expérience terrifiante : le sentiment de l’horreur que cela donne est beaucoup plus intime. »
L’impression qui domine dans Resident Evil VII, et pas seulement si on le pratique en réalité virtuelle sur PS4, est effectivement d’être à nu, sans barrière ni protection entre nous et le danger. Lequel est souvent d’abord dans notre tête car, si le jeu sait parfois se montrer très (et peut-être trop, par exemple quand l’affaire tourne au duel ultra-gore à la tronçonneuse) explicite, il excelle d’abord dans la suggestion, le presque rien. Le vent fait onduler un rideau. Une ombre se dessine sur un mur. Un parquet craque. Un téléphone se met à sonner. Rien de menaçant en soi mais, peu à peu, la tension monte et on ne fait vraiment (vraiment) pas le fier.
Efficace, Resident Evil VII l’est assurément, mais sa belle réussite ne s’arrête pas là. C’est en effet un jeu travaillé par deux ou trois idées pas idiotes sur le foyer comme espace cannibale et la famille – nos tortionnaires en sont une – comme association de malfaiteurs. C’est aussi un jeu qui va très loin dans sa représentation du corps supplicié (jusqu’au grotesque, aboutissement logique de sa démarche) et dont les effets de mise en abîme sont pour le moins troublants.
L’ennemi se transforme ainsi régulièrement en metteur en scène–maître du jeu qui nous renvoie d’une certaine manière à notre propre désir de joueur se lançant dans une partie de Resident Evil. Manipule-moi, fais-moi peur, dégoûte-moi, demande-t-on plus ou moins consciemment au jeu. Pourquoi ? La réponse appartient à chacun et, au fil de cette simulation déviante de visite immobilière (on se perd dans les couloirs, on juge la déco, on intériorise le plan), c’est bien ce face-à-face avec nous-même qui est le plus noble aboutissement de Resident Evil VII. Ce que le jeu nous montre n’est pas toujours beau à voir. Mais, tout frémissant, souvent un peu lâche, parfois un peu cruel, nous non plus.
Resident Evil VII : Biohazard (Capcom), sur PS4, Xbox One et PC, de 40 à 60€
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