Ils sont sur le terrain, au plus près de l’info. Ils assurent une couverture permanente de l’Europe et du monde, de zones stratégiques et de pays en guerre. A l’heure où ferment de nombreux bureaux à l’étranger, où les formes de travail précaire se multiplient, les Inrocks sont allés à la rencontre de ces correspondants hors des frontières. Deuxième partie de notre série en quatre épisodes: le terrain en toute sécurité.
Pour ceux qui ont fait le choix de partir dans des zones dangereuses, les tensions avec le pouvoir en place et les « rebelles », l’insécurité dans la ville ou la guerre font partie du quotidien. En Europe de l’Est, au Proche-Orient ou en Afrique, comment se prépare-t-on à la violence ? Jusqu’où peut-on aller pour donner une information ? Au Pakistan, en Afghanistan ou au Tchad, des correspondants témoignent de leur travail en terrain miné.
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L’étau des pouvoirs en place
« On n’est jamais bien préparés aux relations parfois compliquées avec les différents pouvoirs en place. Ça s’apprend doucement, sur le terrain », explique Eric de la Varenne, correspondant au Pakistan.
Sonia Rolley a fait l’expérience de cette double pression du gouvernement et des rebelles au Tchad, où elle a été correspondante pour RFI entre 2006 et 2008, avant d’être expulsée. Ce qu’on lui reprochait à l‘époque ? D’être impartiale. Alors que le régime d’Idriss Déby lutte contre un déferlement d’attaques rebelles, gouvernement et opposants reprochent à la journaliste de favoriser l’un et l’autre camp dans ses reportages. Formée par RFI, Sonia Rolley sait pourtant que son statut de correspondante en Afrique l’oblige à l’impartialité, à la nuance et à la vérification de l’information.
« Dans certains pays d’Afrique, RFI est la radio la plus écoutée par la population, explique Anne-Marie Capomaccio, chef du service Afrique de RFI. Tout ce que dit le journaliste, tout ce qu’il fait est disséqué, critiqué, écouté. C’est souvent le seul à donner l’information, donc le seul responsable. Les enjeux sont terribles, certains correspondants sont envoyés en prison, on a même eu un mort. Comme je dis toujours, on n’est pas à une minute près, si c’est pour éviter de dire une connerie. »
« Es-tu prête à mourir pour quelques dollars ? »
Le sentiment de devoir en permanence marcher sur des œufs n’est pas propre au continent africain. Free-lance en Asie centrale et dans le Caucase pour RFI, Le Figaro et France Info, Régis Gente est amené à couvrir l’actualité dans les dictatures et régimes autoritaires. « Je signe sous pseudonyme, jongle avec les divers titres pour lesquels je travaille en demandant une accréditation pour un média business même si j’entends bien faire des articles sur la politique ensuite. »
Si on recommande au correspondant en zone de conflits de ne recevoir personne chez lui, de ne nouer aucune relation intime avec une personne proche du pouvoir, son pire ennemi peut parfois être lui-même. Alors qu’elle travaille au Rwanda et dans l’Est du Congo en 2004, Sonia Rolley prend rapidement des attitudes de tête brûlée. Un jour, elle traverse une zone de combat en taxi blanc, bien visible, tandis que les balles sifflent autour d’elle. Plus tard, c’est en franchissant une ligne de front, sans avoir la moindre idée d’où elle met les pieds, qu’elle se retrouve nez à nez avec une bande d’enfants soldats. « J’ai découvert l’adrénaline, c’est une drogue puissante qui calme les nerfs. Je ne réalisais pas le danger, j’avais le syndrome du demi-dieu. Il fallait qu’on me remette du plomb dans la tête.»
RFI organise des séminaires une fois par an. Cette année-là, le thème, c’est la sécurité. On pose à la journaliste cette question qui lui fera l‘effet d‘une douche froide : « Es-tu prête à mourir pour quelques dollars ? »
Cette confrontation à la sécurité, Sophie Ribstein, partie en Afrique du Sud dès sa sortie d’école, à l’automne 2008, en a fait les frais à ses débuts. « Johannesburg est un terrain de reportages périlleux, je faisais des cauchemars en arrivant. J’ai eu la chance de n’avoir eu aucune mésaventure jusqu’ici, mais il est très difficile d’appréhender cette violence diffuse. J’ai été régulièrement malade la première année, je pense que j’ai beaucoup somatisé, mas je n’ai jamais eu envie de repartir. » Aujourd’hui, la jeune journaliste s’est forgée sa carapace. Elle n’hésite pas à aller faire un reportage dans les townships ou les quartiers réputés dangereux de la ville, « en ayant de bons contacts ».
Reporter en burqa
Si la violence est souvent difficile à anticiper sur le terrain, ce dernier réserve parfois quelques surprises. Ainsi, être une femme pour couvrir un conflit se révèle être un sérieux avantage, comme en témoigne le nombre croissant d’entre elles qui, comme Sonia Rolley, ont choisi l’Afrique: « Les militaires se montraient protecteurs et paternels avec moi. Ils étaient fiers, par exemple, de dire que j’avais assisté à une attaque. Ils me voyaient comme un bébé-journaliste, ça les rendait moins méfiants. »
A Kaboul, Constance de Bonaventure a même préféré la burqa aux gardes du corps et aux 4×4 blindés. « Si tu arrives avec un gros attirail de sécurité, tu ne pourras jamais faire de reportage. Moi, j’ai choisi de mettre une burqa. C’est plus facile pour circuler librement et rencontrer les gens. Plus sûr aussi. Personne ne va te toucher, ni se montrer violent avec toi quand tu portes une burqa. »
La sécurité sans assurance
Forte d’un réseau de 600 correspondants à travers le monde, RFI se fait un devoir de ne jamais laisser un journaliste en difficultés. Rapatriement sanitaires, mise à l’abri dans un pays voisin, versement d’un salaire en cas d’emprisonnement comme ce fut le cas pour Moussa Kaka au Niger, la radio est réputée pour ce lien qu’elle entretient avec ceux qu’Anne-Marie Capomaccio appelle « ses bébés ». Sonia Rolley au Tchad et Régis Gente en Géorgie disent avoir bénéficié de ce soutien.
Cependant, cette aide relève plus d’une tradition que d’une règle contractuelle. La plupart des correspondants sont payés à la pige comme free-lance et sont libres de travailler pour plusieurs médias. N’étant pas membres du staff de l’entreprise, contrairement aux envoyés spéciaux permanents, ils doivent payer de leur poche une assurance. A Libération, Christophe Ayad, chef du service Etranger, a vu le nombre de bureaux à l’étranger passer de neuf à trois en l’espace de dix ans. « On ne prend pas d’assurance pour les pigistes, explique-t-il. Donc je ne m’engage pas avec des personnes peu sûres ou dans des zones de conflits trop chaudes, comme il n’y a pas si longtemps en Irak. »
Cette relative précarité peut constituer un vrai danger pour le correspondant pigiste qui, comme le constate Eric de la Varenne, est parfois prêt à « prendre beaucoup de risques pour se faire remarquer ou accepter par une rédaction ».
Prochain épisode jeudi : le choix de la liberté, le poids de la précarité
Photo: Sonya Rolley avec des militaires tchadiens dans l’Est du pays en 2006 (DR)
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