La COP21 est un rare moment d’union nationale au niveau médiatique. Si les médias mainstream traitent l’évènement de façon distanciée, certains supports alternatifs qui ont fait de l’écologie leur thème central ont pris un parti plus engagé.
La COP21 bat son plein et le site Reporterre, né en 1989, qui se présente comme « le quotidien de l’écologie », produit “au moins un papier par jour sur le climat » depuis 2013. “On a deux journalistes accrédités à la COP, dont une qui est là-bas quasiment tous les jours pour suivre la négociation avec une certaine expertise”, détaille Hervé Kempf, son fondateur, dont le départ du journal Le Monde, en 2013, sur fond de censures et de traitement “partial” de l’affaire de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, avait suscité la polémique. “On traitait déjà ce sujet avant, même quand ça n’intéressait pas beaucoup les grands médias”, persifle-t-il gentiment.
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Un journalisme militant ?
Entre les tribunes farouchement hostiles à la conférence et les portraits alternatifs de ceux qui parlent d’écologie, le site est dans les coulisses de la grand-messe de l’écologie mondiale, qui a réuni 145 chefs d’État au début du mois de décembre. Pour autant, Kempf refuse l’étiquette de média “militant” qu’on lui colle régulièrement à la peau afin d’écorner sa légitimité: “On est ni engagés, ni partisans, ni militants. On fait de la bonne info en considérant que l’écologie est la question centrale du XXIe siècle”, corrige-t-il, piqué par la remarque.
“Dans les grands médias dominés par le ‘capital’, certains prétendent parler au nom de l’objectivité mais ils n’assument pas de considérer que, pour eux, c’est l’économie domine tout. On acceptera d’être taxés de militants quand les néo-libéraux diront qu’ils le sont aussi ! Allez dire à Arnaud Leparmentier et au Monde qu’ils sont militants, ils vous diront non !”
Le débat ne date pas d’hier: l’écologie, comme l’économie, est un sujet piégé. Entre les tenants d’une écologie radicale qui englobe tous les aspects de la vie et ceux qui se contentent de décrire les initiatives d’Arnold Schwarzenegger, le fossé est immense.
“Les journalistes racontent la perturbation des écosystèmes, le désarroi de certaines espèces animales face aux transformations de leurs milieux naturels, ou, plus rarement, les impacts de ces pollutions sur l’homme, sa santé et ses activités économiques”, jugeait le site de critique de médias Acrimed, sous la plume de Jean-Baptiste Comby, dans un article titré “Les journalistes, l’écologie et le capitalisme”. “Plus les journalistes parlent du problème climatique, plus ils parlent de ses conséquences au détriment de ses causes et solutions.”
Prendre du recul
“On sait bien que lorsqu’on touche à l’écologie, il y a beaucoup d’idéologie et d’irrationnel”, confirme Olivier Cohen de Timary, fondateur du journal Socialter, spécialisé dans l’économie sociale et solidaire, qui a fait le choix de “prendre du recul” pendant cette COP21, pour ne pas ajouter au “brouhaha” .
Souvent reléguée à des entrefilets pendant l’année, la rubrique “écologie” des médias est réduite à la portion congrue. Pire: pour éviter de traiter ce sujet régulièrement considéré comme “anxiogène” par certaines rédactions, on privilégie plutôt un traitement “consensuel” qui montre “le futur souhaitable plutôt que s’appesantir sur le constat”, comme l’écrivait la journaliste de Libération Laure Nouahlat en septembre 2013.
Résultat: on se retrouve bien souvent à donner une information technico-technique, comme l’avancée des négociations brumeuses de la COP21, bien éloignée de l’écologie concrète: “Mais l’écologie, justement, c’est tout sauf techno !, s’emporte à l’inverse Cécile Duflot, la coprésidente du groupe écologiste à l’Assemblée nationale. On en crève de ce langage techno. On nous fait croire que les gens sont obsédés par l’argent, qu’ils vivent la politique – ou autre chose – de façon techno et désincarnée ; alors que c’est tout l’inverse !”, jure-t-elle.
“Au final, les médias dits mainstream sont de mèche avec la COP21 et trouvent ça très sympathique, car ils découvrent que ça n’est pas un truc d’écolos mais un rassemblement d’entreprises et de grandes firmes”, explique Paul Piccarreta, fondateur de Limite, une revue “d’écologie intégrale” où se retrouvent des conservateurs anti-libéraux de tous bords, droite et gauche confondus. “C’est de la diplomatie. Alors ils traitent la COP21 comme un sommet et pas comme de l’écologie.”
Quid de la décroissance, un sujet totalement absent de la conférence, par exemple ? Le travail ? le salariat? Le prochain numéro de Limite, qui sortira le 4 janvier, parle un peu de la COP21, mais surtout du “off”. “On aura un papier sur le désordre global, l’immigration, le traité Tafta”.
Le pari du temps long
Loin des discours alarmistes, le magazine TerraEco fait lui le pari du temps long, en reliant l’écologie à toutes ses dimensions sociales, économiques et culturelles. “On parle de climat depuis toujours et surtout au quotidien”, plaide David Solon, le directeur de la rédaction.
“Ces négociations sont par définition fermées mais s’il y a un accord en marche, on est bien obligés de le couvrir ! On en profite surtout pour raconter le pouvoir des lobbies, détailler les délégations folkloriques”, indique-t-il, depuis Nantes, où la rédaction est basée depuis dix ans.
“Là où on apporte quelque chose de neuf, c’est qu’on couvre ça à la lumière de ce qu’on fait par ailleurs : la déforestation, la faim dans le monde, les transports, la nourriture, les réserves sous-marine, la gouvernance…”
Sur Médiapart, où les journalistes assument leur positionnement idéologique, Jade Lindgaard s’insurgeait, en 2013: “De la même façon que des journalistes aux convictions socialistes bien ancrées ont livré des reportages dénonciateurs sur la pauvreté des classes laborieuses ou l’horreur du travail des enfants au XIXe siècle, les journalistes écologistes ne se contentent pas de raconter un sujet, ils participent d’un mouvement de revendication : celle de la reconnaissance de l’enjeu environnemental.”
L’écologie remet sur le devant de la scène la question du “parti pris” et de l’engagement des journalistes, dont les patrons et les lecteurs assument rarement qu’ils puissent exercer leur subjectivité tout en faisant bien leur travail. Il semblerait que les médias français n’aient jamais tranché cette question, héritiers d’une longue tradition issue de la presse d’opinion du XIXe siècle mais aujourd’hui fascinés par l’idéologie des faits chers aux anglo-saxons, qui se gaussent de séparer l’information de l’édito.
“C’est un contresens de reprocher son engagement à un journaliste environnemental puisque c’est l’objet même de son entreprise intellectuelle”, poursuivait Jade Lindgaard.
Les manifs, les ZAD et tout le reste. C’est justement l’une des priorités de l’agence Taranis News, dirigée par l’enthousiaste Gaspard Glanz, un journaliste de 28 ans passé par Strasbourg et Rennes, autrefois en premier ligne des manifs anti-CPE du temps où le gamin était encore lycéen, c’est-à-dire vers l’année 2006. “On est pas un média militant, on est une entreprise et on a cinq associés qui sont mes potes et ma famille. On fait des contenus qu’on vend à des médias internationaux et on est pas non plus un média alternatif. On est entre les deux, entre alternatif et mainstream, disons”, prévient-il tout de suite, avant de s’expliquer.
“Dans nos vidéos, il n’y a jamais d’analyse, ni de voix off, c’est presque toujours du tourné-monté. Le but, c’est que les gens se fassent leur propre opinion.” À son actif, 800 vidéos depuis 2011 – dont la moitié sont consacrées à des festivals et des concerts – et des contenus pour Francetvinfo, Rue89 et même Spécial Investigation, l’émission de Canal+, qui a acheté ses images sur Sivens, où un projet de barrage dans le Tarn, évacué par des gendarmes armés de grenades offensives, a conduit à la mort du militant écologiste Rémi Fraisse en 2014.
La manif interdite de République
L’une des dernières vidéos de Taranis a ainsi fait beaucoup de bruit. À l’occasion d’une manifestation interdite Place de la République, dimanche 29 novembre, lui et ses équipes ont tourné et diffusé 30 minutes d’images sans aucun montage, ou presque: “On était là de 10h du matin jusqu’à la fin de la journée. Donc on a tout vu, de A à Z. J’ai trouvé le traitement médiatique déplorable, attaque-t-il. On commence à s’y habituer mais là, c’était de la grosse ficelle.”
Concrètement, on accuse des militants “d’ultra-gauche” – les Black Blocs – d’avoir saccagé le mémorial consacré aux victimes des attentats du 13 novembre, en lançant des bougies sur les policiers.
“En gros, il y peut-être une ou deux bougies qui ont atterri sur les flics avant qu’eux-mêmes ne lancent des grenades de désencerclement. Ils appellent ça un ‘dispositif balistique de dispersion’ ”, raconte Gaspard Glanz. “Mais avant que les policiers ne balancent des grenades, le mémorial était intact. En réalité, les manifestants se sont servis des machins en verre qui recouvraient les bougies, après qu’on leur a envoyé des grenades ! Après l’assaut de la police, le mémorial était détruit.”
Plusieurs jours après, la tension n’est pas vraiment retombée. Elle symbolise pour lui le traitement biaisé consacré au militantisme écolo. “Ça m’a mis en colère car en voyant le reportage de TF1 diffusé à 20h, j’étais sidéré: c’est de la propagande. Le journaliste de TF1 n’était manifestement pas là quand les flics arrivent sur le mémorial. Arriver à être aussi loin de la vérité des faits, c’est grave.”
L’affaire de Sivens avait déjà été un cas emblématique. La pression politique s’était exercée de manière très forte et Bernard Cazeneuve, le ministre de l’Intérieur, s’en était expliqué en regrettant courageusement une partie de son comportement de l’époque. “Sur Sivens, tous les médias se sont focalisés là dessus à l’époque”, rappelle David Solon, de TerraEco. “Nous, on a beaucoup plus traité Notre-Dame-des-Landes qui, au final, participe d’une même logique. Plus que par la force des images ou des mots, on a essayé de démontrer par les chiffres et les rapports en quoi la construction d’un aéroport n’était pas durable et intelligente. On a eu pas mal de problèmes car on est à Nantes et les collectivités nous ont posé problème.”
Mais il tient à nous rassurer : sa rédaction n’a rien d’un aréopage d’“ayatollahs verts”, rigole-t-il. “Certains sont carnivores, d’autres prennent leur voiture pour aller bosser! On est pas des donneurs de leçons.”
“La base de tout ça, c’est le financement, juge Hervé Kempf. C’est pour ça qu’on a pas de journalistes libres et qu’on se retrouve avec le FN. On a une chape de plomb idéologique, on ne sait plus aller voir des ouvriers, des paysans, des gens dans les quartiers. Les gens qui possèdent les journaux ne s’y intéressent pas. La question essentielle, c’est de s’occuper des lecteurs. Quand on les oublie, on va forcément mal. Pour traiter l’écologie de façon indépendante, il faut surtout être libre financièrement”, conclut Kempf.
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