A l’initiative du Comité Justice pour Adama, un cortège est parti samedi 1er décembre de la Gare Saint-Lazare direction les Champs-Elysées, à Paris, à l’occasion de la troisième journée de mobilisation du mouvement des gilets jaunes, marquée par de nombreux heurts un peu partout dans la capitale. A leurs côtés, des cheminots ou encore des étudiants combattant la réforme de l’université. L’idée partagée par tous : lutter pour obtenir “plus de justice sociale”.
L’évènement Facebook se nomme “les quartiers en gilets jaunes”. A l’appel du Comité Justice pour Adama, du prénom d’Adama Traoré, ce jeune homme décédé en juillet 2016 dans des circonstances troubles lors de son interpellation par les forces de l’ordre à Beaumont-sur-Oise, un cortège est parti ce samedi 1er décembre de la gare Saint-Lazare, à Paris.
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Le but : rejoindre les Champs-Élysées à l’occasion de la troisième journée de mobilisation des gilets jaunes, “les quartiers populaires [étant] confrontés aux mêmes problématiques sociales que les territoires ruraux ou périurbains – dits « périphériques » – touchés par la politique ultra libérale de Macron”. Arrivé près de la place de la Concorde bloquée par des CRS peu avares de gaz lacrymogène, le cortège, enrichi au fur et à mesure de la manifestation par de nombreux gilets jaunes arrivant de toute part ou déjà présents dans le quartier, s’est finalement retrouvé à l’arrêt dans un climat de grande confusion. Une voiture a été incendiée et des boutiques pillées. Selon la préfecture de Police à 16 heures, 92 personnes, dont quatorze membres des forces de l’ordre, ont été blessées ce samedi, tandis que 183 autres ont été interpellées.
« Une bataille symbolique »
Vers 13 heures, devant la gare, plusieurs centaines de personnes étaient réunies, entourées de banderoles rappelant les “40 % de chômage, la relégation urbaine et le racisme systémique” à l’œuvre dans les quartiers populaires. Coïncidence : une des affiches recouvre partiellement une publicité pour le prix Goncourt 2019, Leurs enfants après eux, dont “beaucoup [des] personnages ressemblent aux gilets jaunes” d’après son auteur Nicolas Mathieu, interviewé dans Mediapart,
Il y a des étudiants dénonçant “la hausse des frais d’inscription et la vie chère” – notamment en référence à l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants non-européens prévue par le gouvernement à la rentrée 2019 -, des cheminots ou encore des soutiens du comité Justice pour Adama. Parmi eux, le sociologue Geoffroy de Lagasnerie, qui arbore un t-shirt du collectif, de couleur jaune pour l’occasion. “Le Comité Adama ne joint pas le mouvement des gilets jaunes, il en fait déjà partie : il porte depuis longtemps les questions de relégation urbaine, d’enclavement ou encore de pauvreté. Mais il amène aussi d’autres problématiques, comme celles du racisme ou des violences policières.” Pour l’auteur de Juger. L’État pénal face à la sociologie, c’est une “bataille symbolique qui est à l’œuvre” dans ce mouvement “indéterminé politiquement” : “La question est de savoir qui va gagner la bataille de sens. Le sens que nous portons, nous, est celui de la justice sociale.”
« Ne pas laisser le terrain à l’extrême droite »
Comme indiqué sur le communiqué du comité, l’enjeu est en effet de ne pas laisser “le terrain à l’extrême droite, et [de réaffimer] leurs positions contre le racisme à l’intérieur du mouvement des gilets jaunes.” Un avis partagé par Nouné, 55 ans, qui a collé des stickers “gilets jaunes antiraciste” et “gilets jaunes antisexiste” sur sa veste : “Sur certains aspects, je soutiens les gilets jaunes : le fait d’aborder l’écologie par le biais des taxes ne me convient pas, on ne peut pas juste faire peser ça sur la population captive. Mais, par ailleurs, le discours anti-impôts ne me plaît pas, tout comme les injures racistes ou homophobes qui ont pu être faites lors des autres journées de mobilisations.”
Celle qui était présente jeudi place de la République pour écouter François Ruffin, Frédéric Lordon ou encore Assa Traoré appeler à “bloquer le quinquennat de Macron” est donc venue aujourd’hui parce qu’elle espère, “enfin, qu’il y ait une convergence des luttes, depuis le temps qu’on l’attend ! A chaque fois, on a l’impression que la crise s’approfondit, il faut donc qu’on soit tous ensemble”. Cette restauratrice de tableaux estime que, malgré les violents heurts à l’œuvre sur les Champs-Élysées, “il est important de quand même y aller. Je n’appelle pas à la casse, mais il faut quand même qu’il y ait un rapport de force : si le pouvoir ne sent pas un peu bousculé, il ne va pas bouger”.
« Ce que vivent les gilets jaunes aujourd’hui, c’est ce que les quartiers populaires vivent depuis 20 ans »
Le cortège finit par partir aux cris de “Paris, debout, soulève toi”, “anti-anti-anti-capitalisme”, “Étudiants, gilets jaunes même Macron, même combat” ou encore “Macron démission”. Un petit air de Joe Dassin est même entonné par la foule – “Aux Champs-Élysées, padapadapa” – qui se dirige vers la place de la Concorde en empruntant la rue de Rivoli. On croise alors Anasse Kazib, cheminot membre de Sud-Rail et du NPA venu “faire la jonction avec le Comité Adama, avec qui on a déjà mené de belles luttes” et également présent jeudi à République. Pour lui, “pour dégager les fachos parmi les gilets jaunes, il faut qu’il y ait les quartiers populaires dans le mouvement. Moi même, je viens d’un quartier populaire, comme beaucoup de cheminots d’ailleurs, et on se retrouve tous dans cette idée de petits salaires, d’enclavement etc”.
Et livre une analyse du mouvement à l’œuvre : “Ce que vivent les gilets jaunes aujourd’hui, en fait, c’est ce que vivent les quartiers populaires depuis vingt ans : la difficulté à boucler les fins de mois, le chômage… La jonction, elle est là.” Le cortège, lui, s’arrête là : impossible d’accéder à la place de la Concorde bloquée par les CRS. Des heurts éclatent, tandis que certains gilets jaunes tentent de se frayer un passage par les portes du jardin des Tuileries. A 15 heures, la place Beauvau recensait 75 000 manifestants dans toute la France.
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