“Homme politique le plus détesté de France” selon un récent sondage, l’ancien Premier ministre a été réélu d’un cheveu dans la première circonscription de l’Essonne. Mais même dans son fief d’Evry, il n’est pas parvenu à faire oublier son bilan et l’image de traître qui lui colle à la peau.
C’est ce qu’on appelle une expulsion manu militari. Il est environ 22 h 30 au pied de l’escalier situé dans le hall de la mairie d’Evry (Essonne) quand un homme contestant avec ferveur les résultats du deuxième tour de l’élection législative semble tout à coup s’envoler. Contre son gré : soulevé à bras-le-corps par des policiers alors qu’il hurlait “Tricheur” et tentait énergiquement de se frayer un chemin, il est évacué, dans un climat de grande tension.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quasiment au même moment, juste à côté, Manuel Valls annonce qu’à l’issue du second tour, il est arrivé en tête avec 50,3 % des suffrages – soit 139 voix d’avance – dans la première circonscription du département. Son discours est à peine audible tant il y a du bruit : il est à la fois hué et acclamé, plusieurs de ses soutiens lançant même au-dessus de sa tête, dans un élan de liesse, des sortes de confettis.
https://www.youtube.com/watch?v=KHK3IJOaFYg
Le député est mort, vive le député ? Les équipes de Farida Amrani, son adversaire de La France insoumise, diraient sans doute qu’il s’agit plutôt des bulletins de vote déchirés qu’ils n’ont pu consulter alors qu’ils demandaient un recomptage des voix : contestant les résultats pour cause “d’anomalies constatées lors du dépouillement”, notamment dans “cette ville totalement tenue par le système Valls”, ils annoncent déposer un recours en préfecture.
Certains l’appellent “Manuel”, d’autres “l’escroc”
La victoire de ce soir, ils la revendiquent, même si l’affaire s’annonce compliquée : les délais d’examen de ce type de demandes prennent souvent plusieurs mois… et, pendant ce temps, c’est la personne proclamée victorieuse au départ qui siège à l’Assemblée nationale.
Reste que cette scène un peu hystérique est l’aboutissement de la campagne très difficile menée par celui qu’un sondage a récemment désigné comme la personnalité politique la plus détestée de France – juste devant Marine Le Pen, la chance.
D’aucuns parleraient d’une non-campagne : ici, on n’a guère vu battre le pavé celui qui a fait de la commune d’Evry, depuis une quinzaine d’années, son fief, son laboratoire, sa “maison”, comme nous l’assure un agent de sécurité de l’hôtel de ville où, paraît-il, il est “chez lui”. Ce pourrait-être le lieu de sa “résurrection”, du nom de l’immense cathédrale de briques rouges toute d’arbres chapeautée – littéralement –, dont on entend régulièrement les cloches sonner.
A Evry, il avait trouvé un endroit où lancer sa carrière politique, il retente le coup aujourd’hui. Certains habitants l’appellent même “Manuel”, comme on parlerait d’un bon copain, qu’on croisait naguère sur les brocantes – “avant, quand il y en avait une, il était tout le temps là”, raconte avec nostalgie une habitante – et qu’on a un peu perdu de vue. D’autres disent “l’escroc”.
Une déception quant à son absence sur le terrain
Car depuis quelque temps, Valls, lancé dans la course à la législative sans étiquette – ni le PS, ni La République en marche ! ne l’ont investi –, a déçu la plupart des 52 000 résidents de cette ville nouvelle de banlieue parisienne sortie de terre dans les années 1970. Victoire ou pas, son score aux législatives en témoigne : il est très bas par rapport à ses résultats locaux habituels. Même parmi les siens, celui qui a été le maire des Evryens pendant douze ans (2001-2012) est à la peine.
Dans l’après-midi précédant le dépouillement, direction les Pyramides, un quartier classé prioritaire de la politique de la ville. Plus de 10 000 personnes sont logées ici, dans des tours d’immeubles plutôt vétustes. Certes, un plan de rénovation urbaine y a été lancé par Valls quand il était encore édile, dans une volonté affichée de lutter contre la ghettoïsation des lieux, par ailleurs marqués par une certaine insécurité due à la rivalité avec le quartier voisin des Tarterêts, à Corbeil-Essonnes. De quoi forger sa légende de réformateur de la ville. Mais les problèmes sont toujours là.
”Manuel Valls ne vient plus. Il ne mérite pas d’être réélu”
“Regardez ici, c’est la misère, lance Gaylord en désignant les bâtiments de la place des Miroirs, où on le rencontre. Nous, on vit ici, c’est la galère, et les politiques, eux, vivent dans leurs villas comme des rois.” Pour ce manutentionnaire de 34 ans, sapeur à la tenue pensée dans le moindre détail, il est “temps que la classe politique change”, Valls compris.
“Avant, il était sur le terrain. Maintenant, il ne vient plus. Il ne mérite pas d’être réélu, vu ses positions très, très fermes quand il était au gouvernement”, raconte celui qui a soutenu Dieudonné, l’un des 22 candidats de la circonscription, éliminé au premier tour qui, selon lui, a le mérite d’incarner un certain renouvellement de l’offre politique. A ses pieds, un tract de Manuel Valls traîne. Personne ne le ramasse – il n’y a de toute façon pas grand monde sur la place, située non loin du centre commercial de l’Agora, l’un des seuls poumons d’activité de la zone.
“Peu importe le résultat, il faudra que je me lève demain matin”
Une activité somme toute relative : hormis un fast-food, rien n’est ouvert. Devant l’établissement, on croise quelques habitants : beaucoup de jeunes, quelques vieux messieurs qui se protègent du soleil. Un jeune couple et leur bébé aussi. Ils ne sont pas allés voter.
“Peu importe le résultat, il faudra que je me lève demain matin pour aller travailler”, dit le père, résumant une position globalement partagée sur l’esplanade menant au centre commercial : les législatives, ici, les gens s’en fichent, en témoigne notre visite sur un bureau de vote, quasi vide. Avec 63,45 % d’abstentions, la ville d’Evry fait en effet encore moins bien que la moyenne nationale en termes de participation, déjà historiquement basse.
Amélie, intermittente du spectacle de 26 ans, fait partie de ceux-là. Electrice de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle – arrivé en tête dans la circonscription –, elle ne s’est pas déplacée pour voter pour Farida Amrani, pourtant elle aussi issue de La France insoumise.
“Les gens n’ont pas envie que ça bouge ? Très bien, à partir de maintenant, je n’ai plus envie de dépenser de l’énergie. Et puis, les législatives, c’est moins important.” Mais Manuel Valls ne trouve pas plus grâce aux yeux de cette affable jeune femme : elle le trouve “ridicule”.
La séquence dévastatrice des “blancos”
Un désamour qui date de sa saillie sur la diversité à Evry, en 2009. Ce jour-là, le Catalan vient de déclarer sa candidature à la primaire socialiste et il est suivi par des journalistes télé. Au détour d’une allée dans une brocante – on ne nous a donc pas menti sur son intérêt prononcé pour ce genre d’événements –, il glisse à son conseiller ces mots, croyant son micro éteint : “Belle image de la ville d’Evry ! Tu me mets quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos.”
La séquence provoque un tollé. Aujourd’hui encore, un jeune homme, rencontré à l’occasion des résultats, évoque “la stigmatisation des immigrés instaurée par Valls dans la commune”. Amélie, elle aussi, n’oublie pas : “Cette histoire m’a fait rire jaune. S’il n’est pas content, il n’avait qu’à aller ailleurs.”
Son père Sylvain, qui l’accompagne, ne vote pas à Evry. Mais lui aussi a été déçu par l’ex-socialiste, “qui faisait son boulot correctement quand il était maire, moins au gouvernement”. Et d’ajouter, dans un soupir : “Et puis, franchement, son retournement de veste avec Hamon…”
Ce “coup couteau dans le dos” du Brestois lors de la primaire de la Belle alliance populaire, que Valls avait d’abord promis de soutenir avant de finalement apporter sa voix à Emmanuel Macron, ne passe pas. Comme si cette “trahison” parachevait le délitement progressif de la confiance des habitants en leur député.
Manuel Valls, la “girouette”
“Comment croire en un type pareil après ça ?”, s’interroge Foday, déménageur de 37 ans qui ne peut pas voter, faute de nationalité française. Mais il n’y a pas qu’aux Pyramides que ce ralliement au candidat d’En marche ! a déplu. Marie-Christine, rencontrée près de la cathédrale, s’énerve en nous parlant : “C’est un pourri ! Il va toujours du côté des gagnants. Mitterrand doit se retourner dans sa tombe.”
Même son de cloche dans un petit café un peu décrépi, non loin de la mairie, où le patron dénonce le côté “girouette” de Valls, “qui n’a rien fait pour la ville quand il était ministre, alors que c’est grâce à nous qu’il était là”. Il interpelle les passants pour leur demander leur avis : “Alors, il est bien ?” Une dame dit qu’elle “ne sait pas”. Une autre dit “qu’il a beaucoup fait pour la ville”.
L’enthousiasme n’est tout de même pas débordant. Sauf peut-être du côté de Sandrine, 33 ans, que l’on rencontre sur la place des Droits de l’homme et du citoyen devant l’hôtel de ville. Elle vient ici avec ses enfants “car il n’y a pas grand-chose d’autres pour eux quand il fait beau” – ici, ils peuvent se baigner dans les fontaines.
Coiffeuse, elle habite Evry depuis dix ans et apprécie beaucoup Manuel Valls. Pourquoi ? “Parce qu’il est mignon”, s’esclaffe sa mère. “T’es grave, toi !, lui répond sa fille. Je l’aime bien car quand il était maire, il faisait du bon boulot. Et puis, on voit qu’il reconnaît les gens ici. Il vient à des événements.”
Le boomerang 49.3
Pas pendant les législatives, selon un membre du staff d’Amrani, qui évoque une “campagne fantôme” sciemment mise en place par celui qui est toujours conseiller municipal de la ville : “En faisant cela, il favorise l’abstention et l’abstention joue en sa faveur.” Samir, chargé d’insertion de 43 ans rencontré dans le joli parc des Quolibus, dit la même chose. Il a voté France insoumise mais tient à rappeler l’assise de Manuel Valls dans la commune.
“Manuel Valls a mis en place tout un système à Evry”
“Il est là depuis 2001. Il a été Premier ministre. Tous les maires de la circo le soutiennent, Serge Dassault (ex-maire de Corbeil-Essonnes – ndlr) aussi. Il a les réseaux associatifs avec lui, il a fait des réunions d’appartement avec eux, du phoning. Bref, il a mis en place tout un système à Evry.” Rappelant comment son équipe “doit être sous pression car il joue sa vie politique”, il lui reproche d’avoir “trahi la gauche” à coups de 49.3 et de positions “ambiguës”.
Mais il n’est pas inquiet pour lui et ironise : “S’il perd la députation, vous pouvez être sûrs qu’il redeviendra maire d’Evry. Francis Chouat, le maire PS actuel, n’est qu’un pion.” Le même Francis Chouat qui viendra annoncer à l’hôtel de ville les résultats de son prédécesseur : Valls n’a qu’une très faible avance sur Amrani dans son fief. Pire, dans les bureaux de vote de la mairie, il est derrière la candidate de La France insoumise. La “maison”, c’est plus ce que c’était. Dehors, les cloches de la résurrection ne sonnent plus.
{"type":"Banniere-Basse"}