L’île grecque de Lesbos est devenue l’une des principales portes d’entrée pour les migrants et les réfugiés en quête d’asile en Europe. Chaque jour, ils sont plus de 1 500 à arriver sur des embarcations de fortune.
Skala Sikaminéas, impose son flegme. Ce village au Nord de l’île grecque de Lesbos ne compte pas plus de 80 habitants. Seules les mouettes perchées sur les barques de pêcheurs rompent le silence. Sur la petite place ensoleillée, des personnes âgées tuent le temps à la terrasse d’un café. Paraskevas, petit homme joufflu au regard un peu fou boit son jus d’orange, le regard tourné vers la mer Egée. D’un coup, il lance : « Un bateau arrive, un bateau arrive ! »
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A 12 kilomètres se dresse la côte turque. Un point noir se dessine dans l’eau qui sépare les deux rives. Lentement, le bateau pneumatique se rapproche avant de s’échouer sur l’une des plages rocailleuses du village. A son bord, des femmes, des hommes, des enfants, des bébés et des vieillards. Ils sont une quarantaine venus d’Iran, d’Afghanistan et de Syrie. Comme des milliers de réfugiés et de migrants en quête d’Europe, ils transitent par Lesbos avant d’emprunter la route des Balkans. En quelques minutes, l’embarcation de fortune se vide de ses passagers aux jambes trempées, aux sacs à dos mouillés. Les gilets de sauvetage bleus et orange sont immédiatement abandonnés sur place. Sur la plage, il y en a à déjà une quantité qui s’étale à perte de vue.Les parents au regard inquiet s’occupent de leurs enfants en pleurs. Des jeunes se prennent en photo et filment les alentours. Ils immortalisent leurs premiers pas sur le Vieux Continent.
Mohamed retire les couches de plastique qui entourent son téléphone portable. Il appelle sa famille pour les rassurer. L’homme de 30 ans originaire de Deraa dans le sud de la Syrie affiche un large sourire. « Je suis tellement heureux d’être arrivé. C’est le début d’une nouvelle vie. » Le trajet de quarante cinq minutes depuis la Turquie est déjà loin pour ce coiffeur qui rêve de rejoindre l’Allemagne. « Il faut que je parte au plus vite de Grèce, je veux aller à Hanovre, j’ai un cousin là-bas. » Mohamed n’a emporté qu’un sac en plastique avec quelques affaires et une petite pochette dans laquelle il garde précieusement son passeport. Il ne sait pas encore ce qu’il fera une fois arrivé à destination « mais ce sera toujours mieux que de rester en Syrie où il n’y a plus rien. »
« 50 kilomètres…à pied ? »
En ce début d’après-midi, les garde-côtes turcs ont quitté leur poste. Les canots en direction de Lesbos se suivent, à la chaîne. En trois heures, ce sont plus de quinze embarcations qui échouent dans les villages du nord de L’île. A Skala Sikaminéas, il ne faut que quelques minutes avant qu’un second bateau pneumatique vienne rejoindre le premier à seulement quelques mètres.
A peine arrivés, les passagers prennent soin de percer le canot, consigne donnée par les passeurs pour éviter, disent-ils, que les autorités grecques ne les renvoient à la case départ. Cette fois, Ils sont cinquante à avoir fait le voyage. Ce sont des Syriens. Parmi eux, Rana. Ses cheveux noirs jais sont tenus en arrière, ses mains passent sur son visage légèrement maquillé. Elle semble soulagée. Cette étudiante en relations internationales originaire d’Alep n’y croyait plus. Partie il y a dix jours de Syrie avec ses trois sœurs, sa mère et sa tante, elle a tenté à deux reprises la traversée depuis Izmir. Dans un anglais parfait, la jeune femme de 26 ans raconte :
« On a passé quatre jours dans une forêt. Il y a avait un monde fou qui attendait avec nous prêt à partir pour la Grèce. La première fois le bateau était trop chargé, nous avons commencé à couler. Heureusement, nous avons pu faire demi-tour. Lors de notre deuxième tentative, les garde-côtes nous ont arrêtés. »
Cette fois fut la bonne. « Le passeur nous a fait monter à cinquante dans un bateau prévu pour vingt. C’est dangereux mais on fuit la guerre et les bombardements, ce n’est pas ça qui va nous arrêter. » Sur ce bout de plage qui ne désemplit pas, des applaudissements et des encouragements retentissent. Un nouveau canot est sur le point d’arriver au même endroit. Les précédents les aident à descendre. Un jeune afghan de 17 ans a le regard perdu. Sa nièce de 5 ans vomit, sa grande sœur est en larmes. Ils savent qu’ils sont en Grèce mais n’ont jamais entendu parler de Lesbos ou de Mytilène, capitale de l’île où se trouve le centre d’enregistrement. Tous doivent s’y rendre pour obtenir un laissez-passer leur permettant de continuer leur périple vers Athènes.
Face à l’afflux, les autorités ont déjà envoyé des bus chargés de les y emmener. Les moyens manquent, les transports affrétés ne sont pas systématiques. « Il faut faire 50 kilomètres à pied. Vous êtes encore illégaux, les taxis et les habitants n’ont pas le droit de vous prendre sous peine d’amende et d’emprisonnement », explique un journaliste. Le jeune afghan est désemparé. « 50 kilomètres… à pied ? », demande t-il incrédule. D’une démarche fragile, il commence sa route. Devant lui déjà, plusieurs centaines de réfugiés en direction de Mytilène. Pas de répit. Plus loin sur la plage un nouveau bateau pneumatique arrive.
<Ici, on appréhende l’hiver
Face à ce défilé, les habitants interviennent. Dans un local du village où ils ont entreposé des vêtements, ils changent les enfants et les femmes trempés. En 50 ans, Christos, un pêcheur natif de l’île n’a jamais connu une telle situation :« Cela fait des années que des gens arrivent depuis la Turquie, mais aujourd’hui ça dépasse tout entendement. Il y a deux jours, 23 canots sont venus s’échouer ici. Depuis trois mois, du matin au soir, ça ne s’arrête pas. On les aide comme on peut mais c’est au dessus de nos moyens, on parle de milliers de personnes ».
Selon l’agence de l’Onu pour les réfugiés, 200 000 réfugiés et migrants sont passés par la Grèce en 2015. Lesbos est l’île la plus concernée avec 1 500 à 2 000 arrivées par jour sur sa côte nord. Ici, l’Etat est absent. Les réfugiés doivent compter sur l’aide de bénévoles allemands, anglais, danois ou hollandais qui leur donnent de l’eau, de la nourriture et des vêtements secs. Les habitants eux, doivent s’occuper de nettoyer les plages recouvertes de gilets de sauvetage, de chaussures abandonnées et des bateaux pneumatiques crevés. Evanthia, une retraitée de 55 ans, est fatiguée de ces arrivées continues. « On ne suit pas la cadence. On termine à peine de tout ramasser que d’autres bateaux arrivent. Cette situation est intenable, pour nous comme pour tous ces gens qui fuient la guerre. Il faut les aider et ne plus les laisser risquer leurs vies sur des embarcations en plastiques. »
A Skala Sikaminéas, on pense déjà à l’hiver. Au froid, au vent, aux vagues. Maria Patricia et son mari Stratos tiennent la seule épicerie du village. Les yeux rieurs de cette femme de 26 ans s’assombrissent à l’évocation de la fin du beau temps. « J’ai peur que les passeurs continuent de faire venir du monde malgré les mauvaises conditions. Combien de corps va t-on retrouver ? Ici, nous n’avons pas attendu de voir la photo d’Aylan Kurdi [l’enfant syrien de trois ans, retrouvé sur une plage de Bordum, ndlr] pour savoir que ces choses arrivent. Nous en avons vu par le passé, cette année nous craignons le pire. » Devant son commerce sur le point de fermer, des réfugiés et des migrants aux visages abattus continuent de passer, sans relâche. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils foulent le sol européen. Leur périple est encore long.
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