Après une surexposition médiatique cet été, le ministre de l’Intérieur a fini par agacer son camp et l’opposition. Le couple de l’exécutif, excédé par la multiplication des sorties estivales du locataire de la place Beauvau, a décidé de reprendre la main. Pour le plus grand plaisir de l’aile gauche du PS.
Un mardi matin où tout va bien…
Mardi matin, Manuel Valls était l’invité de Jean-Jacques Bourdin sur RMC et BFMTV. Jusque-là, tout va bien… Le ton est catégorique, la main ferme. « Cet après-midi même je me rends de nouveau à Marseille », annonce-t-il après un treizième règlement de compte dans la cité phocéenne depuis le début de l’année. « Je vais ensuite demander à tous les parlementaires de Marseille de se réunir avec moi. » Le ministre martèle avec l’utilisation de la première personne en incise : « et troisièmement, nous allons, et je vais l’annoncer cet après midi, donner des moyens supplémentaires à la police judiciaire ». « Combien ? », demande avec insistance Jean-Jacques Bourdin. « Je le dirai cet après-midi », répète à plusieurs reprises le ministre. C’est donc à lui qui doivent revenir les annonces. Il n’est même pas 9h du matin.
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Relégué au rôle de figurant
Patatras. A 11h42, l’AFP annonce, selon une information communiquée par Matignon, que « Ayrault se rend à Marseille avec le ministre de l’Intérieur ». Le déplacement s’est organisé le matin même à l’issue d’une réunion du Premier ministre qui s’est tenue au moment même où son ministre de l’Intérieur était sur le plateau de RMC-BFMTV. Objectif du Premier ministre : ne plus laisser Valls répondre que la question sécuritaire mais reprendre la main sur l’ensemble du dossier. Dès lors, Jean-Marc Ayrault emmène avec lui une flopée de ministres, façon de noyer son ministre de l’Intérieur dans la masse. Sont présents Christiane Taubira (Justice), Marisol Touraine (Affaires sociales), Cécile Duflot (Logement), et Marie-Arlette Carlotti (Handicap) et surtout la régionale de l’étape. Et voilà le ministre de l’Intérieur relégué au rôle de figurant ! Le Premier ministre annonçant lui-même le renfort d’une compagnie de CRS et de 24 policiers de police judiciaire. A partir du moment où le Premier ministre est présent, Valls ne peut pas prendre la parole. Couleuvres de plus : les autres ministres présentes – sauf Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée – le précèdent toutes dans l’ordre protocolaire ! A voir la tête de Manuel Valls à ses côtés, on a senti qu’il avait peu apprécié. A moins que ce ne soit l’effet du soleil marseillais.
Attaques dans la majorité
Pour ce premier conseil des ministres de rentrée, Manuel Valls a dû apprécier ce comité d’accueil des rangs mêmes de la majorité. Les deux ministres verts du gouvernement ne mâchent pas leurs mots pour critiquer la politique du ministre de l’Intérieur. Sur le JDD.fr, Pascal Canfin, en charge du Développement, s’en prend directement au ministre : « Pour quelqu’un qui veut incarner l’ordre, c’est lui qui déclenche le désordre », ajoutant qu’il ne « (voit) pas comment, si Manuel Valls était Premier ministre, nous pourrions participer au gouvernement ».
La ministre du Logement, Cécile Duflot, revient dans Libération sur la politique engagée par son collègue de l’Intérieur : « ce n’est pas en bourrant les prisons qu’on améliore la sécurité ». Elle prend aussi fait et cause pour Christiane Taubira face à Manuel Valls dans le bras de fer qui les oppose dans le dossier de la réforme pénale. « Cette réforme pénale est indispensable », insiste Cécile Duflot. « En matière de justice, il n’y a qu’une seule ligne de gauche. Elle est très bien portée par Christiane Taubira. Vouloir caricaturer le débat entre laxistes et sécuritaires, c’est une erreur. » Dénonçant la méthode Valls, elle enfonce le clou : « Si on sort de la posture, du court terme et de la communication, on est obligé de reconnaître que notre système fonctionne mal. » La ministre ajoute : « Nul ne doit oublier que, pour être dur avec le crime, il faut aussi être dur avec les causes du crime. Regardez la situation à Marseille : le retour de la sécurité demande une action dans tous les domaines, et pas seulement une approche basée sur le déploiement provisoire des forces de l’ordre. » Enfin, sur l’annonce faite par Manuel Valls de revoir les règles de regroupement familial, Cécile Duflot balaie la proposition de son collègue d’un revers de la main : « je crois que la question ne se pose même pas : le droit de vivre en famille ne souffre pas d’exception. Il est garanti par l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme ». En effet, a souligné la porte-parole du gouvernement Najat Vallaud-Belkacem à l’issue du Conseil des ministres, la question ne se pose pas. « Je vous confirme que le président de la République a estimé que la politique migratoire et le regroupement familial ne faisaient pas partie des débats de cette rentrée. » Valls au piquet donc…
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Bourre-pif sur sa gauche
Aussi remonté que la ministre, le député PS de Seine-Saint-Denis, Razzy Hammadi, à la gauche du PS, n’y va pas non plus par quatre chemins dans Le Figaro pour dénoncer « la médiocrité intellectuelle avec laquelle ont été abordées les questions de l’immigration, de l’Afrique et de l’islam au cours de ce séminaire » sur la France de 2025. Les déclarations que le ministre de l’Intérieur aurait tenues au cours de ce séminaire – plusieurs de ses collègues les ont démenties hier matin – sur la nécessité de démontrer la compatibilité de l’islam avec la démocratie sont vivement critiquées. Le ministre de l’Intérieur avait jeté un froid en déclarant que la démographie en Afrique allait obliger la France à revoir sa politique migratoire, notamment le regroupement familial. Le ministre assume, lui, ses propos rapportés hier par Libération et Le Parisien.
« Essayons d’aborder les sujets avec méthode et sérieux. Pas seulement en fonction qu’ils auront sur la manchette des journaux ! », commente Razzy Hammadi, en revenant sur cet été surmédiatisé du ministre. Et d’y aller sans pincettes à l’encontre de ce membre du gouvernement : « Manuels Valls ne rend pas service à la gauche en mettant au centre de la rentrée les questions de l’immigration, du voile à l’université ou de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. Et je ne parle même pas de sa volonté de désavouer la garde des Sceaux ! »
Pourquoi Valls dérange-t-il tant ?
Outre la multiplication des sorties estivales et des parutions dans les hebdos cet été avec sa femme, sans sa femme, en costard cravate ou en version « cool » avec chemise sur son pantalon, avec BHL, sans BHL, avec les pompiers, sans les pompiers, etc. rappelant un peu trop Nicolas Sarkozy, les socialistes et leurs alliés de la majorité ont aussi eu du mal à digérer quelques-unes de ses déclarations. Cet été, le ministre de l’Intérieur est revenu sur le port du foulard islamique dans l’enseignement supérieur, empiétant au passage sur les plates-bandes de la ministre Geneviève Fioraso, en charge de l’Enseignement supérieur. Puis, il s’est largement immiscé dans le dossier de la réforme pénale, dont a la charge Christiane Taubira. Certains, à gauche, soupçonnant Valls d’avoir lui-même rendu publique, via Le Monde, sa lettre envoyée au Président pour critiquer le projet de réforme de la garde des Sceaux. Un soupçon dont le ministre de l’Intérieur s’est clairement défendu. Enfin, ce lundi, au séminaire de rentrée, Valls a évoqué la question du regroupement familial, provoquant l’ire de nombre de ses collègues, d’autant plus que ses déclarations ont fuité dans la presse.
Pour beaucoup de socialistes, tous ces débats sont autant de chiffons rouges susceptibles de diviser la majorité à quelques mois des municipales et de « gâcher » l’unité fragile du gouvernement en ressoudant l’opposition… En somme, Valls est accusé de jouer perso en entretenant sa cote de popularité au détriment de celle du gouvernement.
La droite soudée contre le ministre de l’Intérieur
Manuel Valls a mis le feu aux poudres avec ses déclarations, mardi, sur RMC-BFMTV, contre le maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin : « Il a fallu que ce gouvernement se mette en place et que je décide de mettre le paquet sur Marseille (…) pour que Jean-Claude Gaudin décide enfin d’un plan de vidéoprotection pour toute la ville – ça ne concernait que le centre-ville -, décide enfin, progressivement, de mettre en place une police municipale qui n’existait pas » et doit « être armée ». Ni une ni deux, Valls s’est aussitôt attiré les foudres de l’opposition. Pour le coup, plus de fillonistes, de copéistes, de wauquiezistes, de sarkozistes, ni de droit d’inventaire. A l’UMP, hier, tout le monde était ami… et uni pour tirer contre le ministre de l’intérieur. Même le Modem marseillais y est allé de son petit mot pour dénoncer « l’échec de la Valls hésitation ». Quant au sénateur-maire de Jean-Claude Gaudin, il s’est fendu d’un communiqué pour répondre au ministère de l’Intérieur, refusant au passage d’interrompre ses vacances pour le recevoir à Marseille, comme le veut la tradition républicaine.
Il y a un an tout juste, à l’université du PS à La Rochelle, Manuel Valls obtenait une standing ovation de la part de centaines de militants, en affirmant sa politique de fermeté. A quelques jours de l’université d’été de la Rochelle, Manuel Valls écoutera sûrement le niveau des applaudissements qui seront consacrés à lui et à sa collègue Taubira. Histoire de savoir lequel des deux a le plus la cote auprès des militants.
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