Tous les espoirs sont permis. La cité de la Castellane à Marseille bénéficie d’un grand projet de rénovation urbaine. Mais les politiques urbaines actuelles sont-elles réellement adaptées aux territoires qu’elles souhaitent transformer ?
Décor minéral taillé dans le béton. Dans le 16e arrondissement de Marseille, la cité de la Castellane traîne derrière elle une notoriété accablante, où l’adresse finit par devenir un critère de discrimination. Ce monolithe aux petites fenêtres est devenu un symbole et un repère, un terme presque générique pour désigner les dérives des quartiers ghettoïsés. Les échos de la Castellane ne sont que ceux de violences, d’insécurité, de misère, et de trafic de stupéfiants. Au Nord de Marseille, ce quartier est volontiers qualifié de ‘’sensible’’, quadrillé par des délinquants et des trafiquants.
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Mais la Castellane est aussi le lieu de vie de sept mille habitants. Une petite ville dans laquelle ses résidents sont parqués dans 1250 logements entassés. Planté sur le bitume, ce labyrinthe grisâtre à flanc de coteau dispose d’une des plus belles vues sur la méditerranée. Même si les barres cachent le soleil.
Bientôt, les grues, les pelleteuses et les bulldozers auront fait du bâtiment G un tas de gravats. Lundi 18 avril, la démolition a commencé. Et ce n’est que le début. Après la tour G, la place de la Tartane, puis la Tour K. L’année 2016 est celle d’un grand projet de rénovation urbaine qui finissait par prendre la poussière, avec ses trois années de retard. Plus de cent millions d’euros sont prévus pour l’opération rénovation.
Le 8 novembre 2013, lorsque Jean-Marc Ayrault à l’époque premier ministre, gambadait sur le tarmac de la cité, il déclarait, enthousiaste : »Si je reviens à la Castellane, ça sera pour visiter un quartier transformé. A la fois rénové pour les habitations, renforcé pour les services publics’’. En oubliant les années de retard, la rénovation urbaine sera t-elle vraiment l’occasion de transformer le quartier ?
Opération démolition
La première étape consiste à détruire les deux tours mythiques, G et K, qui comptent à elles deux, 109 logements. Deux objectifs, l’un officiel, l’autre évident. Le premier est ‘’la réalisation d’un axe public Est-Ouest ouvrant à tous la traversée de la cité et facilitant sa sécurisation. Elle suppose la démolition du bâtiment G (12 logements) et des tours K (91 logements), celle du parking (…) et la relocalisation du centre social, en y adjoignant une crèche.’’Aucune ambiguïté. Il s’agit bien de ‘’reconnecter le territoire à la ville’’. Une formule prête-à-l ‘emploi et galvaudée, très politique aussi, qui veut satisfaire tous les espoirs.
Car ‘’désenclaver’’ est depuis quelques années le leitmotiv des pouvoirs publics concernant les quartiers défavorisés. Yves Rousset, le préfet délégué à l’égalité des chances, expliquait dès l’annonce du projet que ces démolitions allaient permettre de « faire deux (voies) pénétrantes et connecter la départementale » avec la cité.
Nadine Roudil, sociologue et Professeure associée en SHS à l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon, a réalisé son travail de thèse à la Castellane. Pendant une demi-douzaine d’années, elle a apprivoisé la Castellane, ses alcôves et ses reliefs. Elle s’étonne de cette volonté de ‘’désenclaver la cité’’ dans une dimension spatiale puisqu’ ‘’elle est très bien reliée à Marseille, elle bénéficie de beaucoup d’axes routiers’’. D’ailleurs, ‘’si le trafic prospère c’est aussi lié à sa situation près des autoroutes qui permettent d’y venir et d’en repartir assez vite’’, constate t-elle, avec pertinence. Cet axe Est-Ouest semble donc ‘’répondre d’abord à une préoccupation policière.’’ La question sécuritaire, obsédant les acteurs politiques, apparaît en filigrane.
Certes, la réputation de la Castellane n’est pas fantasmée. Le trafic s’est élargi, intensifié, organisé et la violence est omniprésente. Mais réduire le territoire à ses dérives peut empêcher de cerner les solutions les plus adaptées.
Anne Aguiléra, chargée de recherche à l’Institut français des sciences et technologies du transport, de l’aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et au Laboratoire ville, mobilité, transport (LVMT), s’inquiète des risques que présente la création d’une route au centre de la cité. L’axe découpera le quartier en deux, et pourra en faire deux entités distinctes : ‘’la Castellane deviendrait alors deux petites enclaves’’.
Si la spécialiste des mobilités urbaines admet l’impact positif d’une infrastructure routière, elle invite à ‘’ne pas confondre accessibilité et accès’’. Les axes de transport peuvent désenclaver s’ils sont bien adaptés. ‘’Un territoire peut être en théorie accessible mais avec un accès réel faussé.’’ L’accès réel s’évalue notamment grâce aux transports en commun. Trois paramètres sont à analyser : les horaires, les fréquences et les destinations. Une zone, a priori bien desservie, peut en réalité être impraticable si les destinations des transports en communs ne sont pas pensées en fonction des besoins de la population. ‘’Les zones d’activité économique sont aujourd’hui de plus en plus décentralisées. Il faut que les bus relient les quartiers aux zones d’emploi’’, détaille Anne Aguiléra.
Idem pour les horaires. Pour que les bus soient utiles, leurs plannings doivent correspondre à ceux des travailleurs. Anne Aguiléra insiste sur l’enjeu de l’adaptabilité des transports en commun à la population concernée. ‘’Pour se déplacer, il faut avoir un objectif, il faut avoir de l’argent à dépenser dans un centre commercial, il faut avoir un emploi, il faut avoir un réseau social à l’extérieur de la cité’’, résume t-elle.
Et si la Castellane est bel et bien une enclave, cette réalité ne s’explique pas seulement parce que la cité est située loin du centre-ville.
Isolée des services publics
Reconnecter un quartier passe peut-être d’abord par la réinstallation de services publics. Le lien à la ville se recrée alors à travers ses services.
‘’L’enclavement de la Castellane est plus lié à la conception architecturale et urbaine du quartier qu’à son positionnement géographique’’, défend Nadine Roudil qui affirme que les rénovations entreprises ‘’sont une réponse spatiale à une réponse sociale’’. Et bien sûr, ça ne suffit pas.
‘’La Castellane est une ville de 7000 habitants. Vous imaginez une ville, dont la taille est celle d’une sous préfecture de département français, qui pourrait se passer de services publics de base ? Pourquoi la Castellane devrait s’en passer ?’’, interroge-t-elle.
L’isolement de la Castellane, c’est d’abord celui des commodités. La cité dispose de cinq établissements scolaires, certains mal entretenus voire insalubres, la plupart n’étant pas mis aux normes des systèmes de sécurisation des écoles. Les infirmières et les médecins scolaires sont rares, les professeurs absents tardent à être remplacés. Pourtant, les crèches et les infrastructures scolaires sont des services essentiels au bon fonctionnement d’un quartier.
Cité, mon amour
La démolition du bâtiment G et de ses douze logements, c’est aussi la destruction de la tour mythique de la Castellane. Mythique parce qu’elle a été le lieu d’enfance d’un modèle, Zidane. Quelle que soit l’apparence de la cité, les habitants y sont attachés. Alors, lorsque la rénovation urbaine implique l’expropriation, l’émotion, le regret et les rancoeurs sont cohérents.
‘’Ils n’ont pas envie de quitter le quartier parce qu’ils y ont leur attache familiale et amicale. Rénover un cadre de vie, tout le monde l’entend et tout le monde le souhaite. Mais les habitants disent au quotidien qu’on veut les chasser de cet endroit de Marseille parce qu’il est l’un des plus beaux’’, déplore Nadine Roudil.
Et cette peur d’être chassé n’est peut-être pas qu’un fantasme. Comme l’explique Marie-Hélène Bacqué, professeure en études urbaines à l’université Paris-Ouest Nanterre-La défense ayant contribué au livre « Mixité sociale, et après ? », les plans de rénovation urbaine ont parfois pour objectif de se débarrasser de certaines populations. Pour se réapproprier certains quartiers et les contrôler, les projets de rénovations urbaines tendent vers un objectif de mixité sociale afin d’encourager un phénomène subtil de gentrification.
L’autre facteur qui explique cette crainte des habitants est le fait qu’ils ne soient jamais consultés pour ces projets de rénovation. »Il faut penser une cité pour la population qui y vit », martèle Nadine Roudil.
Et si on demandait leur avis ?
La sociologue préconise ‘’une réponse urbaine portée par les habitants’’ puisque cette solution sera forcément en adéquation avec les usages que peuvent en faire les habitants. Elle se souvient ‘’d’une cité extrêmement pratiquée par ses habitants, qui investissent pour des raisons de sociabilité ordinaire, l’espace extérieur.’’ Une vie de village qui s’explique par la météo clémente des villes du Sud et cette habitude de vivre à l’extérieur.
‘’Les habitants ont aussi des projets et des loisirs. Quand j’y ai travaillé, certains d’entre eux souhaitaient monter des commerces et des affaires, c’est ça qu’il faut favoriser et qui est le garant du bon fonctionnement humain de la cité’’, insiste Nadine Roudil.
Impliquer les habitants dans la réorganisation urbaine de leurs lieux de vie permettrait certainement de viser plus juste. Notamment, en donnant la priorité aux espaces publics et aux lieux de retrouvailles qui favorisent une vie de quartier, ainsi qu’aux services publics pour désenclaver la cité en la rendant… autonome. Mais le processus de participation citoyenne est loin d’être activé. Les habitants ne sont consultés qu’une fois le projet ficelé et les plans d’urbanisme bouclés. ‘’On demande aux habitants de se positionner sur le nom d’une place ou d’un centre social. Ca n’est pas de la participation mais de l’information’’, confirme Nadine Roudil.
Cette lacune quant à la démocratie participative n’est pas propre à la Castellane. Elle concerne la majorité des plans de rénovation urbaine. Mais pour s’extirper du langage de sourd, il faudrait que le travail des acteurs de la politique de la ville corresponde aux attentes des habitants.
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