Depuis dix ans, l’association « Les Entretiens de l’Excellence » soutient l’égalité des chances dans les « grandes écoles » et les filières sélectives. Son co-fondateur, Chenva Tieu, nous parle de ce combat pour vaincre les conditionnements d’échec, et briser l’entre-soi des élites.
C’est devenu un poncif : pour parvenir à entrer à l’Ecole polytechnique, à l’ENA, à Sciences Po ou encore à l’ENS, mieux vaut être un Parisien dans une famille aux revenus confortables, qu’un jeune de province ou de banlieue sans le sou. Ces grandes écoles sont bien souvent un concentré d’inégalités, en dépit du pacte républicain et de sa promesse d’égalité des chances. Depuis dix ans, dans le sillon des démarches de « discrimination positive » mises en place précocement à Sciences Po par Richard Descoing, l’association Les Entretiens de l’Excellence contribue à briser cet entre-soi, en encourageant des jeunes issus de milieux modestes à s’orienter vers ces parcours réputés élitistes. Co-fondée par Fleur Pellerin, l’association compte aussi dans son Conseil d’administration Mazarine Pingeot. Elle tiendra son assemblée générale ce 1er juillet, en présence de la ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem, qui participera à un débat sur le thème : « L’Excellence et le Pacte républicain ». Nous avons interrogé son co-fondateur, l’entrepreneur et ex-secrétaire national de l’UMP en charge de l’Asie, Chenva Tieu.
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D’où vous est venue l’envie en premier lieu de créer l’association Les Entretiens de l’Excellence ?
Chenva Tieu – C’était d’abord une envie personnelle. Je suis arrivé à 10 ans en France, et pendant tout mon parcours scolaire, j’ai rencontré des « anges-gardiens » qui m’ont aidé à m’orienter. J’ai créé les Entretiens de l’Excellence il y a 10 ans pour accompagner les élèves dans leurs choix d’orientation. L’objectif n’est pas d’indiquer aux adolescents où ils doivent aller – des conseillers d’orientation existent pour cela -, mais de leur permettre d’envisager des possibilités d’études supérieures dont ils n’avaient peut-être pas connaissance.
Comment procédez-vous pour susciter l’ambition de s’engager dans des filières sélectives, chez des jeunes qui ne sont parfois pas conscients de leur existence ?
L’un des moyens de susciter cette ambition est tout d’abord de pallier à la méconnaissance du fonctionnement du système scolaire français, qui pénalise les familles de milieux modestes. L’information est souvent accessible, mais pas toujours compréhensible. Nous allons donc leur expliquer que beaucoup de métiers auxquels ils n’ont pas forcément pensé existent, et que souvent, ils nécessitent de passer par des filières sélectives, synonymes d’employabilité. Ces adolescents manquent d’une vue panoramique sur le monde du travail, parce qu’ils sont cloisonnés socialement. Pour y remédier, l’association fait se rencontrer ceux qui ont pris l’ascenseur social avec ceux qui aimeraient le prendre. On essaye d’allumer l’envie en eux de rejoindre des grandes écoles.
Quels écueils devez-vous leur permettre d’éviter ?
La méritocratie ne fonctionne pas pour tout le monde, notamment parce qu’il y a une forme d’anachronisme dans le parcours scolaire : les parents pensent souvent que l’orientation se décide au moment du Bac, or pour réussir dans une filière sélective, il faut s’y préparer dès la fin du collège et le début du lycée. Cela crée une injustice institutionnelle qui pénalise les élèves issus de familles modestes. On peut même parler de délits d’initiés pour les élèves issus de familles aisées, qui connaissent les règles du jeu, et qui se préparent dès la seconde. C’est pourquoi les élèves qui sont en fin de collège et en début de lycée sont notre cœur de cible.
En dix ans d’existence, quel bilan faites-vous de l’action menée par Les Entretiens de l’excellence ?
En 10 ans d’existence, nous nous sommes installés dans 15 villes en France, et nous touchons ainsi 7000 personnes par an environ. Nous avons avec nous 1000 professionnels, qui sont heureux de partager leur expérience. Un tiers d’entre eux environs ont entre 20 et 25 ans, ce sont des « grands frères » en quelque sorte, ce qui permet d’éviter l’autocensure de certains élèves.
Chaque année, nous proposons une dizaine d’ateliers thématiques – sur le commerce, les médias, la culture, la santé et autres – qui durent une après-midi, dans des établissements choisis pour leur notoriété : l’Université Paris-Dauphine, l’ENA à Strasbourg, Sciences Po à Bordeaux, l’ENS à Lyon… Lors de ces ateliers environs 30 élèves échangent avec deux ou trois professionnels sur leur parcours.
Pour faire venir les élèves, nous prenons contact avec les établissements scolaires, des enseignants motivés nous aident, et nous mettons un bus à disposition lorsqu’un nombre suffisant d’élèves sont partants. En région parisienne, nous privilégions les établissements situés en dehors de Paris, et en province, nous essayons de toucher des établissements situés dans un rayon de 50 km à la ronde autour de la ville. Il faut que tout le monde soit à égalité sur la ligne de départ. C’est ainsi que nous luttons contre l’inégalité territoriale des chances.
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