Reconnu comme l’un des plus grands compositeurs de musiques de jeu vidéo japonais, Keiichi Okabe revient sur la partition qui l’a fait connaître, celle du jeu de rôle NieR Replicant dont vient de sortir une version remasterisée.
Jeu de rôle majeur conçu par le singulier Yoko Taro, NieR est de retour onze ans après sa sortie dans une superbe version remasterisée que Square Enix publie sous le titre facétieux de NieR Replicant ver.1.22474487139… Une version qui rend honneur à cette œuvre en réglant notamment les petits problèmes techniques de l’original devenu culte avec le temps. Mais le premier NieR – qui a eu droit en 2017 à une suite épatante baptisée NieR : Automata et dont le succès n’est sans doute pas pour rien dans la décision de mettre en chantier ce remake – est entré dans les mémoires, c’est aussi grâce à sa musique particulièrement originale et marquante.
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Une musique d’atmosphère, mélancolique et parfois en décalage avec l’action, et dont les (nombreuses) pistes chantées le sont dans des langues inventées par l’artiste britannico-japonaise Emi Evans. Keiichi Okabe, vieux camarade de fac du game designer Yoko Taro et compositeur de cette bande originale réorchestrée pour l’occasion, a accepté de répondre pour nous à quelques questions.
Avant NieR, vous aviez surtout composé des musiques de jeux d’arcade comme Tekken. En quoi était-ce différent ?
Keiichi Okabe – Les jeux d’arcade comme Tekken demandent en général des sons spectaculaires qui ne passent pas inaperçus même dans des environnements bruyants, des morceaux brefs et nerveux qui attisent l’esprit de compétition. Ceux qu’on pratique à la maison comme les jeux de rôle ont en revanche besoin d’une musique qu’on pourra écouter pendant des heures et qui laissera une impression durable en rapport avec l’histoire et l’univers du jeu. L’approche en termes de musique est opposée, mais il y a une intention commune de rendre le jeu mémorable.
Pour vous, qu’est-ce qui distingue la musique de jeu vidéo de la musique de film ?
Les deux ont pour but d’exprimer des situations et des émotions. Mais, à l’inverse du cinéma, le jeu vidéo n’est pas un médium passif. Comme les joueurs exercent un contrôle sur ce qui se passe, il est important d’harmoniser la musique avec le gameplay. Dans certains cas, ce qu’elle transmet concerne alors plus la situation que les émotions. Mais pour NieR, j’ai été amené à inclure des tonalités tristes dans les musiques de batailles, qui ne sont pourtant pas des moments tristes, pour faire ressentir le destin qui pèse sur vous plutôt que les émotions immédiates. Le concept était donc peut être un peu différent des autres musiques de jeux.
Cela fait maintenant plus de dix ans que vous travaillez sur les jeux de Taro Yoko. Comment se déroule votre collaboration ?
Les choses se sont passées de manières assez différentes entre le premier NieR et NieR : Automata. Pour NieR, je faisais partie du projet dès l’étape des prototypes et nous avons procédé pour essais successifs. On m’a d’abord demandé de concevoir trois pistes, puis après les avoir insérées dans le jeu, on m’a demandé d’en créer trois autres à partir des enseignements tirés de celles-ci et ainsi de suite. Une fois que le jeu a commencé à prendre forme, j’ai reçu des commandes pour les pistes restantes, alors j’ai pu équilibrer l’ensemble, peaufiner les premiers morceaux et enregistrer les chansons et les instruments. Avec Automata, j’ai, au contraire, eu une vue d’ensemble du jeu, de son univers et de son intrigue dès le départ, avec des demandes précises et une idée des scènes où chaque morceau allait être utilisé. Pourtant, Yoko-san a finalement changé l’endroit où étaient utilisées certaines pistes, donc j’ai quand même été surpris en découvrant le produit final…
La bande originale de NieR Replicant est connue pour son utilisation de la voix, assez inhabituelle pour un jeu vidéo, car non seulement il y a beaucoup de morceaux chantés, mais ils le sont dans des langues en partie créées par leur interprète, Emi Evans. Comment expliquez-vous l’impact de ces chansons ?
J’ai pris soin de chaque élément, de l’atmosphère que les vocaux d’Emi produisent, de la langue inventée qui rend le monde de NieR unique, des mélodies et des sons de chaque morceau, mais je pense que la plus grande raison pour laquelle cette musique a laissé une telle impression, c’est qu’elle correspondait profondément à l’univers du jeu. Et la manière frappante avec laquelle Yoko-san l’a utilisée. J’ai été impliqué dans de nombreux projets par le passé. Parfois, il n’y avait pas de vision claire et la musique était utilisée simplement là où elle semblait convenir. Dans ce genre de cas, les morceaux sur lesquels j’ai travaillé dur ne sonne pas si bien, et malheureusement les scènes elles-mêmes ne laissent pas une très bonne impression.
Pendant longtemps, la musique de jeu vidéo n’était pas aussi reconnue que celle composée par exemple pour le cinéma, mais cela a bien changé. Aujourd’hui, les compositeurs sont célèbres, il y a des concerts, des disques, les bandes originales des jeux sont sur les plateformes de streaming… Est-ce que cette reconnaissance de la musique de jeu vidéo comme une forme d’art est importante pour vous ?
Bien sûr, je suis très heureux de vivre à une époque où la musique de jeu vidéo est regardée avec plus de respect qu’auparavant. Si les préjugés ont disparu et que les gens peuvent simplement écouter pour se faire un avis indépendamment des catégories, alors c’est une chose vraiment merveilleuse. Je ne sais pas ce qui définit l’art, mais si je devais faire une distinction, je dirais que l’art relève de l’expression personnel alors qu’au moment de la création, le divertissement commercial a la réaction du destinataire comme priorité numéro un. Je pense que les deux sont importants mais que la nature du produit change en fonction de ce qui est pris comme priorité et comme le plaisir du destinataire est ce qui m’importe le plus, je pense que ce que je crée relève du divertissement. Bien sûr, ça me rend heureux que mon travail soit loué comme “une œuvre d’art”, mais je suis aussi très flatté qu’on le considère comme du “grand divertissement”.
NieR Replicant ver.1.22474487139… (Cavia / Toylogic / Square Enix), sur PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, de 50 à 60€. A noter aussi la ressortie chez Third Editions de L’Œuvre étrange de Taro Yoko (240 p., 24,90€), le formidable livre de Nicolas Turcev sur le créateur de NieR Replicant.
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Et aussi :
New Pokémon Snap
Se laisser transporter à travers des paysages et prendre en photo les Pokémon qui s’y cachent : tel est le programme de New Pokémon Snap, suite d’un titre très aimé de 1999 qui est sans doute le jeu le plus exaltant du moment.
Ici, nous sommes un témoin, un œil mais aussi une oreille à l’affût du Leopardus et du Ouistempo qu’on est sûr d’avoir repéré dans cette jungle, et puis un doigt prêt à appuyer sur la détente. Pour les attirer ou susciter un comportement digne d’être photographié, on pourra jeter des pommes ou jouer de la musique aux petits monstres. Mais attention : il ne faudra pas rater l’instant décisif et, pris par l’émotion, ne pas non plus cadrer les créatures n’importe comment. Au terme de notre tour de manège, on choisira nos meilleurs clichés pour les montrer au professeur, lequel ne manquera pas de s’extasier (“Nice timing !” avec un fort accent japonais) avant de les noter.
Oh, un Maraiste surpris juste au moment où il allait se jeter dans le lac ! Une Magicarpe en plein saut ! Mine de rien, New Pokémon Snap, que l’on peut voir comme une évolution pacifiste du rail-shooter, travaille sur quelque chose de profond qui est à la base même du jeu vidéo : le rapport à ce monde étrange qui s’affiche à l’écran et le dépasse, cet écosystème numérique qui nous regarde autant qu’on se projette en lui et dont on ne pourra pourtant jamais faire partie. Alors on le scrute toujours plus et on en extrait des images pour mieux le voir, on fait des prélèvements et on conserve ensuite ces preuves que quelque chose était là, ces trésors précieux et délicats. En ces temps où tous les gros jeux (ou presque) intègrent un mode photo, un retour de Pokémon Snap s’imposait. Le soin apporté à sa réinvention est de raison de plus de s’en féliciter.
Sur Switch, Bandai / Namco, de 50 à 60€
Shantae
Héroïne aujourd’hui bien établie d’une épatante série riche de cinq titres et présente sur la plupart des machines à jouer, consoles, mobiles ou PC, la fougueuse Shantae n’a pourtant pas eu des débuts faciles. Parue en 2002 sur la GameBoy Color alors en fin de vie commerciale, sa toute première aventure s’était peu vendue, mais cela n’a pas empêché le studio américain WayForward (plutôt spécialisé dans les jeux de commande), de croire en sa demi-génie dont la principale arme est la queue de cheval violette avec laquelle elle fouette ses ennemis.
C’est ce tout premier volet de la saga qui fait son retour sur la Switch, un jeu qui, à l’époque de sa sortie, était curieusement à la fois en avance (pour quelques audaces, comme le cycle jour-nuit ou l’intégration de la danse au gameplay) et en retard (à cause des limitations techniques de la GameBoy Color) sur son temps. Le découvrir en 2021, c’est un peu comme se trouver face à un film des débuts du cinéma : le tempo, la mise en scène sont d’un autre temps, mais de ce côté primitif – sans aucune connotation péjorative – même découle une manière vraiment gracieuse d’aller à l’essentiel. L’ajout, dans ce portage Switch, d’une fonction de sauvegarde rapide contribue par ailleurs à en faire une version plus plaisante.
Sur Switch, WayForward / Limited Run Games, 8,29€
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