En juillet dernier, l’artiste français Zevs a été arrêté à Hong Kong pour sa « performance » sur un magasin Armani. Dans sa tradition des « logos liquidés », il avait peint un logo Chanel dégoulinant sur le magasin d’en face… Il a écopé pour cela de deux semaines de prison avec sursis. De retour à Paris, il raconte sa mésaventure.
Christophe Schwarz alias « Zevs » est un pionnier de l’art urbain en France. A l’origine graffeur, le bonhomme squatte au début des années 90 les rames du métro parisien pour poser son blase. Exercice risqué. En 92, le RER A matricule ZEUS manque de l’écraser : Schwarz frôle la mort mais tient son nom de scène. Aujourd’hui, l’artiste a lâché le graffiti et les métros pour s’attaquer à l’espace urbain dans son ensemble. La ville et son décor sont des lieux de mises en scène artistiques idéales. Qu’il peigne les ombres du mobilier urbain ou travestisse des affiches publicitaires, Zevs chamboule les codes de notre environnement à coup d’« attaques visuelles ». Principal fait d’arme : en 2002, ZEVS « kidnappe » le mannequin d’une affiche publicitaire Lavazza sur l’Alexanderplatz à Berlin. Il découpe le personnage et demande une rançon. La marque italienne se plie gracieusement aux exigences de l’artiste et fait oeuvre de mécénat pour le Palais de Tokyo. Une histoire qui inaugure la relation tumultueuse entre Zevs et les logos publicitaires. Depuis 2006, l’artiste s’amuse à « liquider » des sigles mondialement reconnus au nez et à la barbe de marques bien silencieuses. Google ou Louis Vuitton ont ainsi dégouliné sous ses traits de peintures. Dans cette optique d’agitation et de guérilla visuelle, l’artiste s’est mis en tête en juillet dernier de liquider le logo de Chanel sur la façade d’un magasin Armani à Hong Kong (voir la vidéo). Un happening qu’a peu goûté l’enseigne italienne. Arrêté pour la dégradation de la façade, Zevs s’est essayé au luxe de la cellule chinoise. Jugé et condamné à deux semaines de prison avec sursis, l’artiste a dû effacer son œuvre. Un mal pour un bien : il n’y a jamais eu autant de buzz autour de lui.
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ENTRETIEN
Comment tu t’es retrouvé dans ce pétrin ?
Je me rendais à Hong-Kong pour une exposition personnelle à la galerie Art Statement, avec laquelle j’avais déjà travaillé l’an dernier sur les logos liquidés. J’aime présenter mon travail dans des galeries ou des musées, mais j’ai gardé le goût de l’espace public et de la ville. Souvent quand je fais des expositions, je fais aussi quelque chose à l’extérieur. Ca sert aussi à ouvrir le champ de visibilité de la peinture, pour les gens qui ne vont pas dans les galeries. J’ai cherché un endroit pour cette action dans le centre-ville d’Hong-Kong, où il y a beaucoup de passage. Les logos sont très présents là-bas, c’est un langage que tout le monde comprend. J’ai vu le grand mur d’Armani, une marque sur laquelle je n’avais jamais travaillé. Le logo était bien trop haut, mais Chanel était presque en face. Par jeu de projection, j’ai fait arriver le logo Chanel sur le mur d’Armani et je l’ai liquidé, en jouant avec l’espace d’une marque concurrente.
Ca s’est décidé sur le moment ?
Oui, ce n’était pas prémédité. Le juge a estimé que si. C’est vrai, j’avais prévu de faire une action, mais l’idée précise ne m’est venue que quelques heures avant. J’avais juste besoin de préparer une grande échelle, un autocollant.
Tu étais accompagné ?
J ‘avais annoncé à un journaliste chinois que j’allais probablement faire quelque chose. On l’a prévenu. Et j’étais avec deux autres personnes qui m’assistaient dans l’élaboration de la peinture. Ils n’ont pas été jugés, parce que j’ai bien fait comprendre à la police qu’ils n’étaient pas au courant de ce que j’allais faire. Etant donné qu’ils étaient chinois ça aurait pu mal se passer pour eux. Ils ont vite été oubliés et c’est tant mieux.
Comment s’est passée l’arrestation ?
C’est le plus grand centre commercial de Hong-Kong, un complexe avec toutes les grandes marques, des passerelles, beaucoup de caméras de surveillance. J’avais bien conscience que je risquais d’être arrêté. J’avais pris des précautions en utilisant un sticker et de la peinture à l’eau. Pendant vingt minutes j’ai pu travailler sans me faire arrêter par les vigiles ou la police. Après je suis reparti rapidement, mais un chauffeur de taxi a noté le numéro d’immatriculation du camion et l’a donné à la police. Une heure après, le conducteur s’est fait arrêter parce qu’il est repassé sur les lieux. J’avais laissé du matériel à moi dans le camion, on pouvait faire le lien facilement. La personne arrêtée nous a appelés pour nous prévenir. J’ai décidé de revenir et de me rendre aux policiers, en leur expliquant que c’était moi qui avait réalisé la peinture et que je souhaitais l’effacer.
Bizarre comme ambiance, non ?
On essayait de se comprendre en anglais et la personne qui m’assistait traduisait de temps en temps. Ils m’ont quand même demandé plusieurs fois « pourquoi? », ils essayaient de comprendre. Au commissariat ils m’ont rapidement demandé si ça avait été commandité par Chanel. Ils avaient cette idée de guerre des marques. Ensuite, la procédure classique : on est restés en garde à vue plus de trente heures, avec quelques types. A aucun moment je n’ai été en prison, c’était une cellule du commissariat.
Tu as bénéficié d’un traitement de faveur ?
Non, ni d’un traitement de faveur ni d’un traitement musclé. On ne s’est pas retrouvés dans des conditions difficiles, c’était pas Pékin non plus. J’ai pu sortir assez rapidement, avec une caution pas très élevée, 500 dollars (45 euros). La somme était proportionnée à l’acte qui pour eux était une peinture sur un mur, un petit graff.
Ce n’était pas l’avis d’Armani…
Lors de la première audience au tribunal, le 15 juillet, Armani a annoncé ce montant énorme, presque 7 millions de dollars hong-kongais (600 000 euros). Ils réclamaient cette somme pour remplacer le tout le mur, qui selon leurs experts n’était pas nettoyable. C’est une pierre poreuse et très chère. D’un coup ma caution est passée à plus de 100 000 dollars (9000 euros). J’étais libre mais bloqué à Hong Kong, on m’a confisqué mon passeport. Mon avocate commise d’office était dépassée par la situation, ça devenait un cas médiatique. Le temps que j’ai passé là-bas a consisté à monter un dossier de défense. On a pris des avocats anglais installés à Hong Kong. J’ai contacté une entreprise danoise de nettoyage, spécialisée dans la rénovation de monuments et des pierres anciennes.
Tu voulais vraiment nettoyer ?
Liquider les logos permet de montrer qu’ils ne sont pas indélébiles. Je travaille sur les effets d’apparition, la disparition et de persistance visuelle. Mon intention était d’avoir une peinture éphémère qui se lave facilement. C’est là que ça a un peu dérapé. J’ai insisté auprès d’Armani sur le nettoyage. On a bataillé. Des dizaines de lettres ont été échangées pour qu’on puisse monter un échafaudage. Il y eu tout une négociation pour pouvoir accéder au chantier. In extremis, 48 heures avant le jugement du 14 août, j’ai réussi à nettoyer le mur pendant les heures de fermeture. Ca a joué en ma faveur, c’est évident. J’aurais pu être condamné beaucoup plus sévèrement.
Tu comprends la réaction d’Armani, qui a attaqué fort ?
Je crois qu’ils ne savaient pas comment réagir, ils étaient stupéfaits. C’est aussi le fait d’avoir été à Hong Kong, où on n’a pas forcément l’habitude et le savoir faire pour gérer ce genre de situations. Nettoyer les pierres délicates, analyser les murs… C’est un endroit où la démarche est plutôt celle de la destruction et de la reconstruction plutôt que la conservation. Plusieurs entreprises ont refusé de faire le travail.
La démarche artistique a été comprise ?
Oui, ça a été compris… Mais dans le fond je ne sais pas. J’ai rencontré surtout des artistes, qui m’encourageaient et me rassurer. Dans la ville de Hong Kong on ne voit pas grand-chose en terme d’art urbain. Il y a surtout beaucoup d’images publicitaires. C’est très mouvant, très dynamique au niveau commercial, mais pas en terme d’expression artistique. C’était aussi l’idée de mon intervention : questionner la possibilité de peindre en ville, la liberté d’expression.
La réponse est plutôt non !
La Chine n’a pas envie de voir une nouvelle mode du graffiti apparaître. J’ai senti l’envie de faire un exemple.
Ca t’a donné envie de recommencer ?
Je ne retournerai pas sur ce terrain là. Peut-être que ça donnera des idées à d’autres, en faisant attention, en toute connaissance de cause. Le fait de ne pas être Chinois, d’être soutenu par la France m’a bien aidé dans cette affaire. Le ministère de la culture et le consulat ont essayé de placer cette peinture dans le contexte artistique, de ramener cet acte dans la tradition de performance.
Tu te considères comme un anti-pub ?
Je ne suis pas anti-pub, je ne suis pas non plus anti-anti-pub ! Je connais bien les stratégies marketing, je les déjoue. La pub, je construis quelque chose avec. Elle m’a permis de faire de très grands formats, que je n’aurais pas pu faire autrement. Je peins sur l’image, j’enlève le sens premier et j’y ajoute le mien. J’aime bien l’image de l’aïkiddo. Quelqu’un t’attaque et avec un geste simple, en retournant sa force contre lui, tu peux le faire chuter. A une époque, je rajoutais juste un point rouge et une larme de sang sur les mannequins : une action minimale qui change tout le sens de l’image. Dans les BD de Superman, quand le héros est exposé à la cryptonite, le logo sur son costume dégouline. Parfois j’expose une pierre verte en dessous de mes logos liquidés, comme des supermarques qui fondent.
Dans les années 90, tu travaillais dans la rue, aujourd’hui de plus en plus dans des endroits « autorisés ». Comment tu considères la ville, maintenant que tu t’es institutionnalisé ?
Au départ je faisais quelques tags, qui étaient effacés, refaits… Ca tourne vite en rond mais il y a quelque chose quand même, l’idée de marque, de trace. La guerre des signes. Je me suis éloigné des tags, des signatures, pour créer des formes en étudiant les logos d’entreprises qui sont des signes forts, simples, identifiables. Généralement je travaille avec des choses qui existent déjà : les lumières de la ville, les ombres, les publicités. Je les prolonge. La ville est un atelier, une scène. Je suis encore à la recherche de nouvelles idées et je n’envisage pas d’arrêter de travailler sur les murs. Je travaille sur le fil. L’illégalité, je ne la recherche pas. J’essaie toujours de ne pas tomber dedans, de la contourner. Ce qui m’importe le plus est de travailler librement dans la ville, pas d’atteindre la propriété de l’autre.
Raphaël Malkin et Camille Polloni
Un reportage sur Zevs sur le site Woostercollective
Sa page sur le site de la galerie Dorfmann
Zevs exposera à la Galerie du jour (Paris, 4e arrondissement), à partir du 8 septembre.
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