Courrèges est connue pour ses productions futuristes. Yolanda Zobel, qui dirige aujourd’hui la maison, s’inscrit dans cette lignée tout en assurant une production respectueuse de la planète.
Elle entre dans son studio, pose négligemment sa veste sur son bureau et nous sert verres d’eau et cafés. Loin du mythe du designer réfugié dans sa tour d’ivoire, la tête pensante de la maison Courrèges s’impose par sa grâce singulière doublée d’une belle détermination. “Je ne me suis jamais posé la question des clichés de genre, c’est quelque chose de naturel, d’instinctif : je suis une femme grande qui ne rentre pas dans les carcans stéréotypés”, affirme la créatrice pour qui le féminin accepte et embrasse sa part de masculinité.
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“Mon but est de penser la philosophie de la maison et non de reproduire ses codes et matières à la façon d’un copier-coller”
De père allemand et de mère française, avec un parcours qui l’a menée à étudier à Berlin, puis à faire ses armes chez Giorgio Armani et Jil Sander, elle se retrouve, il y a un an, à devoir repenser la maison connue pour son identité futuriste – un véritable challenge dans une époque aussi dystopique que la nôtre. “André Courrèges (le fondateur – ndlr) rêvait d’envoyer des femmes sur la Lune. Aujourd’hui, la société est complètement différente, mon but est de penser la philosophie de la maison et non de reproduire ses codes et matières à la façon d’un copier-coller.” Si André Courrèges s’est fait connaître pour ses lignes taillées en A, sa minijupe, ses matières industrielles, il s’agissait aussi d’une façon ludique de libérer le corps des femmes des corsets, soutiens-gorge et talons hauts pour proposer des matériaux, des coupes et des formes qui permettent un corps en mouvement. Voilà le fil conducteur qui relie André et Yolanda.
Lors du deuxième show, qui prend place pendant la semaine de la mode parisienne en mars, elle repense ces codes en profondeur pour qu’ils correspondent à l’époque actuelle. Minijupes, manteaux, symétrie, la petite femme yé-yé des années 1960 – la maison comptait parmi ses clientes Françoise Hardy ou Catherine Deneuve –, devient forte et rebelle, en avance sur son temps. Les lignes ont des touches de tailoring pour homme, des notes militarisantes, les pièces sont modulables, les mannequins sont de tous genres. Ce qui n’empêche pas un côté ludique : ses accessoires vont de visières ornées de faux cheveux tressés – on devine un jeu de mots sur les femmes qui sortaient autrefois “en cheveux”, c’est-à-dire sans chapeau – ou encore un petit sac à dos qui se retourne pour être porté comme un harnais.
“Je suis intéressée par les figures qui ne sont pas à première vue ‘Courrèges’ mais dont le processus artistique va dans la même direction”
Elle fait muter cette identité en réfléchissant par là même au lien qu’entretient le vêtement avec les autres arts. Elle croise, ainsi, sans hésitation, architecture, musique et performance : le show prend place au siège du Parti communiste dessiné par Niemeyer – “un dieu de l’architecture”, selon elle –, avec une bande-son de l’artiste expérimental Jeff Mills et des imprimés signés par l’artiste punk Vava Dudu. “Je suis intéressée par les figures qui ne sont pas à première vue ‘Courrèges’ mais dont le processus artistique va dans la même direction”, explique la directrice artistique. Son défilé est ponctué par une chorégraphie de danse contemporaine, où elle s’accorde la denrée la plus rare aujourd’hui : le temps. “J’ai voulu proposer un véritable moment, un show, et y accorder quelques minutes de plus qu’un podium classique. Et ces corps libres et dansants rappellent la volonté féministe du fondateur”, dit-elle de ces vêtements d’une poésie et d’une danse quotidiennes articulées à un réel porté par un nouvel idéalisme.
Si le fondateur rêvait d’un futur comme d’une ère pleine d’espoir, le rapport au temps et à l’avenir a radicalement changé. Sur la façade de la boutique historique de Paris, on peut lire le slogan “The Future is Behind You”, posé lors du premier défilé éponyme de la créatrice. Pour Yolanda, “avant d’aller sur la Lune, il faut avant tout protéger notre planète”.
Sa vision se concentre sur l’idée de communauté pour fédérer autour “d’une nouvelle énergie, de la solidarité et de l’espoir”. Il s’agit de penser l’après, certes, mais aussi et surtout, d’appréhender l’environnement dans lequel nous évoluons et ce présent sur lequel il faut agir. Yolanda dit vouloir travailler en pensant son métier comme respectueux et innovant afin de construire un monde dans lequel nous voudrons vivre. Et elle est optimiste, car la technologie nous permettra, selon elle, de faire face à ces défis.
Un de ses challenges a été de repenser la fabrication éthique des vêtementS : André Courrèges se fascinait pour les nouvelles technologies et s’était notamment fait remarquer par son utilisation du PVC ou du Rhodoïd. Aujourd’hui, la maison n’utilise plus de plastique, mais du vinyle écologique, et cherche ce qui serait l’équivalent symbolique des matières high-tech fascinantes de l’époque – désormais polluantes. Cette tension entre passé, présent et futur recomposés est au cœur d’une vision où “le futur, c’est prendre son temps, prendre soin du maintenant, pour que l’on puisse avoir un futur”.
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