Un jour, une agence de mannequinat a demandé à Rosie Nelson de maigrir jusqu’à avoir « la peau sur les os ». Depuis, cette australienne installée à Londres fait campagne pour que le gouvernement britannique légifère contre la maigreur excessive des mannequins. Rosie Nelson n’aime pas trop les interviews. Pourtant, depuis quelques mois, elle en a donné […]
Un jour, une agence de mannequinat a demandé à Rosie Nelson de maigrir jusqu’à avoir « la peau sur les os ». Depuis, cette australienne installée à Londres fait campagne pour que le gouvernement britannique légifère contre la maigreur excessive des mannequins.
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Rosie Nelson n’aime pas trop les interviews. Pourtant, depuis quelques mois, elle en a donné un certain nombre à la radio, à la télé et aux journaux britanniques. Cette brune longiligne de 23 ans martèle qu’il faut se débarrasser du dictat de la maigreur dans l’industrie de la mode. Ses interventions n’ont pas été vaines puisque sa pétition adressée au gouvernement, qui demande « une loi pour protéger les mannequins de la maigreur excessive », a récolté plus de 120 000 signatures.
Entre deux castings, Rosie Nelson nous fixe rendez-vous dans son appart’, un petit 20 mètres carrés situé dans le quartier de Finsbury Park au nord de Londres et qu’elle partage avec son copain. Elle s’excuse pour le bazar : ils viennent d’emménager. Mais elle est plus à l’aise, dit-elle, assise en tailleur sur son lit, la playlist de Benjamin Francis Leftwich en musique de fond, une tasse de thé entre les mains.
Son téléphone sonne : c’est l’une de ses agences qui lui propose de figurer dans un clip. « Brrr », fait-elle, « je n’aime pas trop ce genre de boulot, ça attire l’attention ». Pourtant elle accepte : c’est bon pour sa carrière. C’est aussi au nom de sa carrière que Rosie Nelson a accepté de maigrir alors qu’elle faisait déjà du 36.
« Trop grosse », « trop vieille »
À 18 ans, cette jeune femme aux traits fins et au sourire timide originaire de Canberra est sélectionnée pour participer à l’émission Next Top Model en Australie. Elle abandonne rapidement – « la télé réalité, ce n’était pas pour moi » – mais elle est repérée par une agence qui la poussera gentiment vers la porte de sortie deux ans plus tard. Elle quitte Sydney pour Londres avec son petit ami anglais et décide de se donner « une seconde chance ». Mais du haut de ses 21 ans, elle est « trop vieille ». Avec ses 55 kg pour son mètre 78, elle est « trop grosse ». Toutefois, une agence est prête à travailler avec elle, à condition qu’elle maigrisse. « Mon tour de hanches faisait 98 cm, ils voulaient 88 cm », détaille-t-elle.
Pendant quatre mois, elle se nourrit presque exclusivement de légumes et de fruits, elle dit adieu aux produits laitiers et sucrés et abandonne la viande. En plus de ce régime drastique, elle fait du sport tous les jours. « Quand je me réveillais le matin, mon corps me faisait souffrir, je ne me sentais pas bien, ni physiquement, ni mentalement, mais ce qui me faisait tenir, c’était la perspective de travailler avec cette grosse agence, de décrocher des bons contrats grâce à eux, de faire une belle carrière », se justifie-t-elle. Sauf que l’agence en question lui demande de maigrir encore plus, jusqu’à avoir la « peau sur les os ». « Physiquement, je ne pouvais pas perdre plus de poids. C’était impossible. Alors j’ai coupé le contact avec eux ».
De la pétition à la commission parlementaire
Quand elle raconte cette mauvaise passe, Rosie Nelson a la voix posée. Comme si elle en avait tiré une leçon. « Je regrette, car ça ne m’a menée à rien, mais sans cela, je n’aurais pas fait campagne », relativise-t-elle. La première fois qu’elle raconte cette histoire en public, c’est un peu par hasard. En septembre dernier, la BBC cherche une mannequin pour réagir sur le projet de loi français, alors encore en discussion. Elle accepte, puis c’est « l’effet boule de neige » : des interviews, la pétition, une rencontre avec Caroline Nokes, la députée qui préside le groupe parlementaire sur l’image du corps et enfin, une commission parlementaire.
Le 1er décembre, Rosie Nelson pousse les portes du Parlement britannique. Avec deux autres mannequins, elle prend la parole devant un groupe de députés, des directeurs d’agences et une poignée de journalistes. « Ils ont vu qu’on était vraiment passionnées. Moi j’ai surtout insisté sur la mise en place d’un contrôle médical, comme en France. » D’autres points de réformes sont abordés pendant cette session : si la mise en place d’un IMC minimal est rapidement écartée, certains proposent d’élever l’âge minimal pour défiler à 18 ans. Dans les prochaines semaines, Caroline Nokes doit publier un rapport qui exposera les grandes lignes de cette commission et servira de recommandations au gouvernement. « Je ne veux pas la harceler », lâche timidement Rosie Nelson, qui attend de le relire avant publication, et ne cache pas son optimisme : « Si les capitales de la mode comme Paris, Milan et Londres légifèrent, les autres villes, New York, Tokyo, Dubaï, suivront. »
Lady Gaga versus mannequin lambda
L’histoire de Rosie Nelson est celle de mille autres filles qui, comme elle, ont rêvé de défiler pour les plus grands couturiers, quitte à mettre leur santé en danger. « Certains disent que je fais du skinny shaming. Mais, c’est la même chose pour les mannequins grandes tailles : tout ce que je souhaite, c’est que les filles soient en bonne santé », assure-t-elle. Rosie Nelson reste prudente : elle ne veut pas que sa campagne ait des répercussions sur son métier. « C’est dommage que les grandes marques, agences et publications ne me soutiennent pas », se contente-elle de dire. Elle refuse aussi de nommer l’agence qui lui a demandé de maigrir. « Toutes les grosses agences font pareil et le problème vient aussi des stylistes qui considèrent la mode comme un art et non comme des vêtements pour femmes ».
Aujourd’hui, la mannequin travaille pour des « petites » agences qui ne remettent pas en question son 36-38. Mais quand elle voit une Lady Gaga défiler pour Marc Jacobs, Rosie Nelson tique : c’est la preuve que les mannequins de la Fashion Week n’ont pas « besoin » d’être maigres.
Hélaine Lefrançois
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