Le site a rendu publics 400 000 documents qui révèlent la sale guerre menée par l’armée US en Irak. Comment ces infos sont-elles collectées ? Rencontre avec son fondateur, Julian Assange.
Le fondateur de WikiLeaks est un personnage difficile à saisir. Au sens propre. Julian Assange change de pays et de domicile sans prévenir. Il se teint les cheveux et entretient le mystère sur ce qu’il va faire dans la prochaine demi-heure. Il peut aussi sans crier gare convoquer toute la planète médiatique de CNN à la BBC en passant par Al Jazeera. Comme samedi dernier, à Londres.
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Nous l’avons retrouvé quelques jours avant que WikiLeaks ne lâche sa nouvelle bombe : 400 000 documents militaires sur l’Irak. Toute une base de données. Sans doute la plus grande fuite de l’histoire militaire. Poursuivant leur stratégie d’alliance avec la presse de référence, les gens du site internet WikiLeaks ont partagé, gratuitement, ces documents avec le New York Times, le Guardian, le Spiegel et Le Monde.
WikiLeaks a fédéré autour d’un scoop tous les journaux de la planète
Des victimes civiles. Des kidnappings. La guerre civile et la torture. Se dessinent aussi des réalités que la propagande avait laissé dans l’ombre. Au plus fort du conflit, en 2006, l’Iran faisait la guerre à l’armée US et téléguidait la plupart des attaques contre le gouvernement irakien au coeur de Bagdad. Des faits que le Pentagone avait toujours minimisé, concentrant tout sur l’ennemi officiel : Al-Qaeda.
Ces notes, une équipe de WikiLeaks les a décryptées sur plusieurs mois dans le secret du « Bunker ». C’est là que nous avions rendez-vous. Sur la porte, un avertissement : « Entrée interdite aux personnes non autorisées. » Derrière, une dizaine de journalistes et d’informaticiens concentrés sur leur écran. Décoiffé, mal rasé, Assange tangue parmi eux. Il semble avoir une nuit de retard. Au moins… Il parle d’une voix très basse, comme s’il était en permanence visé par des micros espions.
« Ces documents montrent comment la guerre peut déraper dans le crime. Nous espérons que leur publication rendra justice à la souffrance des Irakiens qui ont perdu des êtres chers. Peut-être même un jour à une indemnisation… »
WikiLeaks est en train de changer de dimension. Ce site internet, libertaire et marginal, maniant la transparence comme un contre-pouvoir absolu, a réussi à fédérer autour d’un scoop commun des journaux de toute la planète.
« Il paraît que les gens du Guardian ont un peu ramé pour vous convaincre de leur montrer les documents. Que vous étiez plutôt hostiles à l’idée de travailler avec la presse installée ?
– C’est faux, coupe Assange. Nous avons toujours collaboré avec les journaux mainstream, notamment le New York Times.
– Comment des hackers et des geeks en sont-ils venus au journalisme ?
– Nous ne sommes pas des hackers, nous sommes des journalistes d’investigation. Mais votre question est intéressante… Les forces qui s’opposent à nous aujourd’hui tentent de manipuler la perception du public de manière à nier notre statut de journalistes. Et il y a un enjeu derrière. Si nous ne sommes plus considérés comme journalistes, alors nous ne serons plus protégés par les lois des pays où nous sommes installés, les pays du nord de l’Europe. »
« Le moindre incident est rapporté »
Julian Assange est un peu parano. Mais il y a de quoi. Autour de nous, le cliquetis des claviers d’ordinateurs. La matière des révélations est scannée, triée, ordonnée… Aucun civil n’aurait dû y poser les yeux. Les « logs » de l’armée américaine sont majoritairement rébarbatifs. Des rapports d’incidents rédigés dans le jargon impénétrable des acronymes militaires. Sur un tableau blanc, plusieurs dizaines d’entre eux sont traduits pour aider à la compréhension des rapports. « OMF = Opposing Militant Force », un insurgé ; « PBIED = Pedestrian Borne Improvised Explosive Device », soit un piéton bardé d’explosifs ; « WIA = Wounded in Action », blessé au combat ; « Civcas = Civilian Casualty », un civil tué.
« Le moindre incident est rapporté, explique Assange. Il y a 104 000 morts. Mais ce n’est pas le total. Certains événements, classés top secret, n’ont pas été enregistrés dans cette base. Ça ne couvre ni les actions des Forces spéciales ni celles de l’armée irakienne… »
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