Alors que l’affaire d’espionnage chez Renault rebondit ces jours-ci avec la visite de Patrick Pelata à Matignon et le rétropédalage de l’entreprise, les Inrockuptibles révèlent que le mystérieux informateur travaillant pour la direction avait déjà résolu plusieurs affaires de salariés indélicats et que la deuxième société soupçonnée d’espionnage est le géant aéronautique chinois Avic.
La grande affaire d’espionnage franco-chinois de l’année, qui nous replonge un peu dans les émotions de la guerre froide, est-elle en train de se rétrécir en pauvre intrigue de bureau à la française ? Les Inrocks ont recueilli des éléments nouveaux sur ce méli-mélo d’espions, de comptes cachés en Suisse, et de secrets de Renault sur sa voiture électrique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
1. L’espion de Renault avait déjà résolu plusieurs affaires de salariés indélicats
L’affaire a commencé comme dans un bon film noir des années 1940 : par la vieille tradition de la lettre anonyme. Au mois d’août, un corbeau écrit à la direction de Renault qu’un important cadre de la maison, Michel Balthazard, pourrait bien monnayer à l’extérieur des informations sensibles. Le corbeau cite aussi « un petit jeune qui travaille avec Koskas (directeur du projet véhicule électrique – ndlr) et a très bien compris comment ça marche pour remplir son compte en banque ».
Pour identifier ce jeunot, les chefs de la sécurité de Renault, Rémi Pagnie, Dominique Gevrey et Marc Tixador, trois ex de la police et du renseignement, mènent leur enquête. Koskas fait travailler sept ou huit personnes, et parmi elles, un jeune nommé Matthieu Tenenbaum. Muni de ces deux noms, Renault confie la suite de son enquête à un professionnel extérieur à la boîte. Un homme qui a les moyens de vérifier si Balthazard et Tenenbaum dissimuleraient à tout hasard de l’argent noir à l’étranger.
Cet espion de Renault (nommons-le X, car le voici désormais au cœur de toute l’affaire) part enquêter du côté des banques étrangères et revient vers Renault avec une étonnante moisson d’informations. Selon ses découvertes, Balthazard aurait ouvert en janvier 2010 un compte à la LGT, la banque princière du Liechtenstein. Ce compte aurait reçu pendant un an la somme de 35 000 euros tous les deux mois.
Une partie de cet argent aurait ensuite transité tous les mois par une société suisse qui aurait pris 8 % au passage, pour reverser 5 001 euros sur le compte d’un deuxième salarié de Renault : Bertrand Rochette. Et lui aurait ouvert son compte en mars 2010 dans une banque de Lausanne, la banque Migros. X, enfin, informe Renault qu’un troisième de ses cadres, Matthieu Tenenbaum, aurait à sa disposition 140 000 euros sur un compte ouvert au mois de mars 2009 à la Banque cantonale de Zurich.
Que valent ces renseignements de X ? On ignore tout de cet espion. Mais notre enquête nous permet d’affirmer que, depuis trois ans, X effectue, avec succès, de nombreuses missions clandestines au service de Renault. Il enquête sur des cadres qui ont détourné de l’argent en utilisant des sociétés travaillant pour Renault hors de France. Il a le don de retrouver à l’étranger les banques où atterrissent les gros ou les petits euros détournés. A chaque fois, il apporte à Renault des accusations précises.
Mais, et le détail est important, jamais X ne fournit le moindre document bancaire qui pourrait appuyer l’accusation. Renault convoque alors l’employé soupçonné d’être indélicat ou corrompu et le travaille au bluff : « Voici le numéro du compte que vous avez ouvert à telle date dans telle banque à Genève, et sur lequel vous recevez tous les mois tel montant… »
Il y a un an, un cadre supérieur, impressionné par tant de précisions, s’est mis à bégayer, puis a avoué tous ses détournements. Les enquêtes de X ont ainsi débouché chez Renault, depuis trois ans, sur au moins une mise à la retraite anticipée, plusieurs sanctions professionnelles, trois interruptions de carrière (ce que la communication de Renault ne confirme ni ne dément). Voilà comment les dirigeants de Renault se sont forgés une confiance absolue en leur espion.
Premier à sortir du silence, Philippe Clogenson, l’un des cadres cuisinés par la direction puis licencié, a donné une interview au Parisien. Il raconte :
« Je me suis retrouvé totalement seul. J’ai réfléchi à ces accusations délirantes, sans comprendre. Je ne voyais pas l’issue.[…] J’ai aussi échafaudé des hypothèses sur l’origine des accusations. J’ai envisagé un acte de malveillance, une tentative de déstabilisation d’une société non retenue dans un appel d’offres et même une usurpation d’identité à mon préjudice. »
{"type":"Banniere-Basse"}