La semaine dernière, Björk ressemblait à une rascasse et accouchait de nouvelles chansons ; sinon, en 1972, on a assisté à une épiphanie : la naissance de Ziggy Stardust.
Mon cher Inrocks, nous n’en gardons aucun souvenir et tant mieux : naître est une torture. Forceps, par la tête, par les pieds, par le siège, à tous les coups on morfle. Hurlements, crâne déformé, visage violacé, douche froide immédiate, examens médicaux, pesée, piqûres, t’es pas au monde depuis une heure que tu n’as qu’une seule envie : dormir. D’où vient alors l’idée qu’une renaissance soit si positivement connotée ? Naître une fois, c’est bien assez, non ? Regardons ta couve : “Björk renaissance”. Et l’image qui va avec, celle d’une Björk décrite comme une “créature multiple remontée des abysses, qui évoque une anguille, un vagin ou une plaie ouverte, une rascasse et un pissenlit”. Miam. Amour mis à part, c’est peut-être à cela que ressemblaient mes enfants à la naissance, arrachés des “abysses” de leur mère, “fruits de ses entrailles” comme disait l’autre. Image divine peut-être, mais bien dans la matière quand on y pense, qui évoque “un vagin, une plaie ouverte”, voire “une rascasse”. Je m’arrête là. Pour renaître, il faut mourir ou presque, descendre et se lover dans des abysses, puis s’arracher à ce confort paradoxal pour revenir au monde. Je divorce demain.
“Il aura donc fallu sa rupture amoureuse pour qu’on renoue vraiment” avec Björk, dis-tu. “La séparation a été très douloureuse”, explique-t-elle, et son album Vulnicura, “néologisme formé à partir de vulnérable et cure”, selon toi, raconte la fin de sa relation avec Matthew Barney. Renaître ce serait donc donner vie à la souffrance en soi, faire advenir au monde sa souffrance, lui donner forme, pour s’en libérer et enfin revenir au monde. “Il fallait que ces chansons sortent, pour laisser la place à d’autres plus heureuses.”
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Tout est à réinventer
Et justement, ce qui est beau, c’est que la renaissance ouvre sur “les chansons plus heureuses” à venir. Une renaissance n’est ni un simple réveil qui ne nous aurait rien appris, ni un back to the top qui serait à lui même sa propre fin. La renaissance c’est le début de quelque chose, une nouvelle enfance de l’art ou de la vie. Björk dit : “Je me sens proche de la Björk que j’étais il y a vingt-cinq ans, je l’aime. Je n’ai pas vraiment traversé de midlife crisis. J’aurai 50 ans en novembre, et j’ai hâte.” La midlife crisis est peut-être à venir : une fois l’acte de renaissance posé, tout est à réinventer. En ce sens, une renaissance agit aussi brutalement que l’apparition, un 6 juillet 1972 à 19 h 25 sur une télévision anglaise de Ziggy Stardust : une “épiphanie” qui fait tout basculer et ouvre “aux joies de la sédition, de l’adieu au réel, de la réinvention de soi”.
Renaître pour rendre possible une réinvention de soi. Cela vaut peut-être le coup de morfler un peu et d’avoir quelque temps la gueule d’“une anguille, un vagin ou une plaie ouverte, une rascasse et un pissenlit”. Au plumard, ma rascasse. Les contractions seront bientôt derrière. Demain est un grand jour.
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