Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques, analyse la descente aux enfers du Parti socialiste, alors que le désastre annoncé de la primaire augure une probable recomposition de la gauche.
Le Parti socialiste va-t-il survivre à la prochaine élection présidentielle ? Alors qu’il détenait la totalité des pouvoirs en 2012 (le Sénat y compris), la question n’est pas incongrue : son existence même est désormais menacée.
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Le parti d’Epinay se situe à un point de rupture. Depuis la défaite historique de Lionel Jospin en 2002, les socialistes nous ont certes habitués à un état de “crise” permanent (21 avril 2002, référendum européen de 2005, conflits autour de la candidature de Ségolène Royal, défaite de 2007, congrès de Reims, frondeurs…).
Un quinquennat autodestructeur
A de multiples reprises, des commentateurs souvent pressés ont annoncé l’explosion imminente du PS ou la décomposition inéluctable d’un “cadavre à la renverse” (on se souvient de l’expression de BHL en 2009). Mais le parti, plus que centenaire, s’est toujours relevé, démontrant une exceptionnelle résilience. Vaincu aux élections présidentielles en 2002 et en 2007, le PS a prospéré au niveau local dans ses notabilités territoriales. L’antisarkozysme l’a aidé à reprendre le pouvoir en 2012.
S’il a toujours su rebondir, c’est surtout que le PS a profité jusque-là d’une rente de position dominante, liée à son hégémonie à gauche, qui en faisait le parti incontournable seul capable de capter le “vote utile”.
Un quinquennat qui s’est apparenté à une autodestruction systématique
Aujourd’hui, c’est son “utilité” même et son leadership à gauche qui sont remis en cause. Le pronostic vital est cette fois sérieusement engagé. Le PS sort dévasté d’un quinquennat qui s’est apparenté à une autodestruction systématique. Le président de la République n’a-t-il pas confié aux journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme qu’il souhaitait pour le PS “un acte de liquidation” ? (“Un président ne devrait pas dire ça…”, éditions Stock >> Lire un extrait)
Discrédité dans l’électorat de gauche, le parti a perdu près de deux tiers de ses militants et la moitié de ses positions locales. La primaire que le PS a décidé de convoquer in extremis ne passionne guère et prend l’allure d’un précongrès de défaite. Effectivement, l’exercice que Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron toisent avec dédain apparaît un peu vain.
Des débats qui donnent le change sans changer la donne
En 2011, la primaire avait contribué de manière déterminante à l’élection de François Hollande. Cinq ans plus tard, elle a contribué à son éviction. Le Président sortant a été piégé par une procédure qu’il s’était résigné à accepter en juin 2016 pour se relégitimer. Il a dû renoncer parce qu’il risquait de s’y abîmer et d’être humilié.
“A quoi bon un candidat du PS ?” jean-Luc Mélenchon
Mais le PS est à son tour piégé par une primaire dont le calendrier a été fixé pour le Président en exercice. Les socialistes sont contraints à un processus de désignation tardif et donc expédié en quelques semaines alors que Jean-Luc Mélenchon à gauche et Emmanuel Macron au centre (gauche ?) ont installé et légitimé depuis plusieurs mois leur offre politique. La question de la pertinence d’une candidature socialiste est dès lors cruellement posée. “A quoi bon un candidat du PS ?”, s’interroge avec jubilation le candidat de la France insoumise. Jean-Luc Mélenchon est sur le point de “pasokiser” le PS.
L’enjeu est avant tout pour lui de marginaliser le parti dominant plus que de remporter l’élection présidentielle ou même de se qualifier pour le second tour (si tel était le cas, sa seule chance aurait été de prendre part à une primaire de toute la gauche). C’est bien la relégation du PS qui se dessine.
Les débats de la primaire tentent sans grand enthousiasme de donner le change sans vraiment changer la donne, même si le deuxième débat télévisé a été plus animé et riche que le premier. Manuel Valls n’a eu que quelques semaines pour faire oublier sa figure de Premier ministre martial et social-libéral.
https://youtu.be/91Iiof-qzsM
L’insincérité de sa mue opportuniste et le cynisme qui l’inspire ne trompent néanmoins personne et surtout pas l’électorat de gauche échaudé par les six 49-3, l’obsession identitaire, les reniements, la fragmentation délibérée de la gauche…
Le vrai clivage se situe avec la gauche du PS
Vincent Peillon, qui cherche à occuper l’espace central du parti et à incarner une forme de néojospinisme, n’a eu que quelques jours pour improviser un programme et une légitimité présidentielle, au final un peu artificielle. Le vrai clivage se situe avec la gauche du PS et les candidatures de Benoît Hamon et d’Arnaud Montebourg.
Le premier a réussi, malgré son manque de notoriété, à imprimer l’agenda avec des mesures audacieuses comme le revenu universel et cherche à réhabiliter la politique comme un combat culturel. Le second incarne, sur un mode plus productiviste, une offre plus classique entre patriotisme économique, réorientation de la politique européenne et néo-industrialisme qui paraît peut-être plus réaliste.
Des sensibilités irréconciliables
On ne se risquera pas au moindre pronostic tant l’issue de la primaire est particulièrement incertaine. Les électeurs de gauche se mobiliseront-ils pour une consultation qui ne semble pas pouvoir enrayer la prophétie d’un désastre annoncé ? Les taux d’Audimat des débats ne sont pas mauvais. Il n’est donc pas exclu que les sympathisants soient au rendez-vous en nombre pour blâmer Manuel Valls, à l’inverse le conforter dans un réflexe légitimiste ou pour orienter la campagne à venir.
On voit mal néanmoins comment le candidat désigné pourra fédérer la gauche et même les diverses sensibilités de la famille socialiste, désormais “irréconciliables”. Si la gauche du parti l’emporte (ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire du PS), il est probable qu’une bonne partie des cadres socialistes rejoigne Emmanuel Macron. Un large espace s’ouvrirait alors à l’ancien ministre de l’Economie qui pourrait canaliser le vote utile à gauche (pour éviter un duel Fillon-Le Pen) et fédérer à droite les électeurs modérés que le candidat LR repousse.
L’ironie de l’histoire pourrait être que le PS échappe à la gauche du parti au moment où elle s’en empare. Si Manuel Valls s’impose, Jean-Luc Mélenchon pourrait rassembler très au-delà de la gauche radicale et marginaliser le candidat socialiste. Ecartelé, le PS est en passe de perdre sa centralité. C’est peut-être le prix à payer pour que le paysage politique à gauche soit recomposé. Rémi Lefebvre
dernier ouvrage paru Les Primaires ouvertes en France, avec Eric Treille (Presses universitaires de Rennes)
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