Avec le jeu de rôle très vert « Trials of Mana », l’épopée sentimentalo-guerrière de « Sakura Wars » et le superbe « Streets of Rage 4 » qui a la particularité d’avoir été en grande partie développé en France, l’industrie vidéoludique nippone tente trois manières différentes de remettre son patrimoine au goût du jour. Et aussi : le trip psychédélique pensé comme une aide à la méditation de « SoundSelf : A Technodelic » et le séduisant voyage dans les collections du Centre Pompidou de « Prisme7 ».
Le jeu vidéo, en particulier japonais, est entré dans sa période remake, comme le montrent encore les succès tout frais des réinventions à gros budget de Final Fantasy VII ou de Resident Evil 3. Mais toutes les tentatives de replacer sur le devant de la scène un succès d’hier, de donner son heure de gloire tardive à un vieil inédit, voire de réveiller une belle (série) endormie, ne se valent pas et ne témoignent pas nécessairement des mêmes stratégies. Entre retour du remake, volonté forcenée de changer (au risque de se trahir un peu) et tentatives équilibristes de ménager la chèvre nostalgique et le chou technophile… En moins d’une semaine, trois nouvelles et jolies pièces sont venues s’ajouter au dossier.
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Entre-deux
Trials of Mana est l’autre remake de saison du grand éditeur japonais Square Enix, celui qui devrait avoir un peu de mal à attirer l’attention dans l’ombre majestueuse de celui de Final Fantasy VII. Son projet est pourtant plus clair, moins ambigu : simplement transposer en 3D sans rien changer (ou presque) de ce qui faisait sa saveur un jeu de rôle de 1995 qui, jusqu’à son arrivée l’an dernier dans la compilation Collection of Mana, n’avait jamais eu droit à une sortie officielle en dehors du Japon. Ce qui peut d’ailleurs surprendre étant donné le culte qui entoure le volet précédent de la saga, Secret of Mana, en Occident – où il n’est d’ailleurs pas interdit de penser qu’il a justement préparé le terrain au « premier » Final Fantasy VII.
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L’idée, ici, semble être de rattraper le temps perdu en rendant aussi proche que possible des standards technologiques actuels une œuvre conçue dans un contexte bien différent. En somme, de faire comme si c’était un titre d’aujourd’hui (là où Final Fantasy VII Remake s’adresse d’abord à ceux qui ont pratiqué l’original). Le résultat est un jeu assez étrange, comme pris dans un entre-deux temporel et qui ne semble appartenir ni à l’époque qui a vu naître sa version originale ni vraiment à la nôtre. Ne pas en déduire que l’expérience serait foncièrement désagréable. Bien au contraire : même repeint aux couleurs d’une 3D plutôt criarde, l’aventure ne manque pas de charme et ce Trials of Mana nouvelle formule se révèle un jeu de rôle aussi dynamique qu’entêtant.
Le problème – à supposer que cela en soit un – vient de l’écart qui existe entre sa structure quasi inchangée (son récit, ses missions), qui vaut d’abord comme appel à l’imagination, et son look revu et corrigé qui, loin de la 2D évocatrice du jeu de 1995, repose sur l’idée de (tout) montrer. Disons que, dans le Trials of Mana de 2020, les choses se passent un peu plus à l’écran et un peu moins dans nos têtes et qu’on n’y gagne pas forcément. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Trials of Mana semble davantage manquer de relief maintenant qu’il est en 3D que dans son ancien style plus primitif. Il faut dire qu’alors, la « profondeur » était d’abord celle que lui apportait le joueur. On se réjouira quand même que certaines de ses idées alors pionnières, dont les multiples variations de son récit en fonction des personnages que l’on choisit parmi les six proposés au début de l’aventure, gagnent dans l’opération une exposition aussi tardive qu’inespérée.
Robots et sentiments
Le cas de Sakura Wars est assez différent. Née à la même époque que Trials of Mana puisque son premier volet date de 1996, la saga était jusqu’ici restée très confidentielle en Europe où seul l’épisode Sakura Wars : So Long, My Love avait eu droit à une sortie officielle en 2010 sur la Wii. Il faut dire que son principe est assez particulier puisqu’elle repose depuis son origine sur l’alternance de deux styles de jeu : d’un côté, un visual novel mâtiné de dating sim (ou « simulation de drague ») confrontant généralement un personnage masculin à plusieurs jeunes femmes et de l’autre, des phases de combat contre des démons aux commandes de spectaculaires robots guerriers.
Au-delà de la mise en scène des séquences narratives où alternent quêtes légères et dialogues à choix multiples qui tend à les rapprocher d’un jeu d’aventure raisonnablement classique, c’est l’approche des affrontements qui distingue ce Sakura Wars 2020 des précédents puisque le tour par tour qui rapprochait la série d’un jeu de rôle tactique y cède la place à l’action brutale de masse dans un style plus proche de Dynasty Warriors et de ses multiples héritiers et spin-offs. A l’usage, cette idée ne se révèle pas la meilleure qu’aient pu avoir ses développeurs et, pris indépendamment du reste, les épisodes de combat peineraient à susciter l’intérêt sur la durée. Sauf qu’ils ne sont justement pas séparés de ce qui arrive aux personnages, des crises de doute de Clarissa ou des élans de Sakura (que dès le chapitre 2, oups, lors d’un face-à-face asphyxiant d’intensité, on faillit tenter d’embrasser), dont ils disent aussi quelque chose dans la grande tradition sentimentale des films et séries de mechas (Gundam, Neon Genesis Evangelion…) Dans Sakura Wars, si le choix des différents éléments peut surprendre, tout est toujours lié et la valeur de l’ensemble naît justement de son hétérogénéité, de son enthousiaste impureté.
Plutôt que de la suite ou du remake, ce Sakura Wars joue la carte du reboot, mais avec toujours à l’esprit l’origine de la série, à l’image de son héroïne Sakura Amamiya qui ne rêve que de ressembler à celle du jeu de 1996 qui avait pour nom Sakura Shinguji. Sur le champ de bataille, donc, mais surtout sur la scène du grand théâtre qui est le décor principal de Sakura Wars. « Les représentations dont aussi importantes que les combats », peut-on entendre assez tôt dans l’aventure. On ne saurait mieux dire, dans la vie comme sur scène et dans tous les sens du mot « représentation ».
Aller-retour
Streets of Rage 4 (re) vient de plus loin. Apparue au tout début des années 1990 dans le sillage de Double Dragon ou Final Fight dont elle reprenait le principe d’affrontements en pleine rue contre des vagues d’assaillants joyeusement caricaturaux, la série de Sega semblait s’être éteinte avec son épisode 3 paru en 1994, supplantée dans le cœur des joueurs par les jeux de combat en un contre un façon Street Fighter et ringardisée par l’émergence de la 3D. Un quart de siècle plus tard, elle signe pourtant son retour en beauté avec un nouveau jeu inespéré que l’on doit à un trio formé des sociétés parisiennes DotEmu et Lizardcube, qui avaient déjà réinventé ensemble avec talent Wonder Boy, et des Québecois de Guard Crush Games (Streets of Fury). Près de trois ans après Sonic Mania, qui avait, lui aussi, été développé en Occident, loin des bases de Sega, Streets of Rage 4 vient ainsi confirmer que confier la suite d’un classique du jeu vidéo à des développeurs indépendants qui l’ont connu et aimé en tant que joueurs sans avoir été le moins du monde associés à sa production n’est pas forcément la pire des idées.
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Par son esthétique trash et néon nourri de toute une culture de série B, notamment cinématographique, Streets of Rage ressemblait déjà dans les années 1990 au fruit d’une suite d’aller-retour entre l’Orient et l’Occident. Que son nouvel épisode en rajoute quelques-uns ne trahit donc pas son esprit, d’autant que le résultat se révèle particulièrement harmonieux, du design plus lisse de ses personnages qui renforce le côté comics de l’affaire à la superbe bande-son électro qui fait se croiser le grand Oliver Dérivière (déjà compositeur de celle, mémorable, d’A Plague Tale : Innocence) et les légendaires Yūzō Koshiro et Motohiro Kawashima.
Jouer à Streets of Rage 4 aujourd’hui, ce n’est pas seulement s’offrir un petit plaisir nostalgique en repartant, seul ou à plusieurs, à l’assaut de ruelles joyeusement mal famées dans lesquelles ni les flics ni les malfrats ne sont nos alliés et où l’essentiel sera de trouver sa gestuelle, son tempo en intégrant celui du jeu que l’on peut aussi voir comme un glorieux défilé de freaks bagarreurs qui nous accueillent dans leur grand cirque pop. C’est surtout reprendre le fil d’une histoire qui, pour des raisons qui paraissent infiniment plus datées que le jeu lui-même, s’était interrompue il y a bien longtemps. Et qui reprend aujourd’hui de la meilleure des façons.
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Trials of Mana (Square Enix), sur Switch, PS4 et Windows, environ 50€
Sakura Wars (Sega), sur PS4, environ 60€
Streets of Rage 4 (DotEmu / Lizardcube / Guard Crush Games / Sega), sur Switch, PS4, Xbox One et Windows, environ 25€
Et aussi :
« SoundSelf : A Technodelic »
Enfin disponible pas moins de sept ans après son passage réussi sur Kickstarter, SoundSelf n’est pas exactement un jeu vidéo mais, plutôt, une sorte d’outil psychédélique d’aide à la méditation à pratiquer, selon son auteur Robin Arnott, comme un « rituel », si possible dans le noir et avec les écouteurs sur les oreilles (ou, tant qu’à faire, le casque de réalité virtuelle sur la tête). Rappelant un peu les « synthétiseurs de lumière » de Jeff Minter, SoundSelf a pour particularité de réagir à notre voix, produisant à l’écran des variations kaléidoscopique en fonction des sons que nous émettons au cours de chaque séance – on n’ose pas vraiment parler de partie. L’expérience est étonnante et l’effet produit dépendra en grande partie de l’état (et de l’ouverture) d’esprit du joueur. Dans le contexte actuel, ça se tente.
Sur Mac et Windows, Andromeda Entertainment, environ 25€
https://youtu.be/vQW-ctfvLPE
« Prisme7 »
Le premier jeu vidéo produit par le Centre Pompidou ne pouvait pas mieux tomber qu’en cette période où, par la force des choses, le musée parisien est fermé pour une durée indéterminée. Tirant son inspiration de 40 œuvres (signées Martial Raysse, Andy Warhol, Niki de Saint Phalle, Dan Flavin…) tirées de ses collections, Prisme7 ne se contente pas d’une approche illustrative mais propose un voyage en sept étapes, entre jeu de plateforme et puzzle game, à travers les formes, les couleurs, les lumières et certains thèmes et idées clés de l’art contemporain. Après un démarrage prudent dans les premiers niveaux, il a aussi pour qualité de se montrer de plus en plus audacieux et inspiré.
Sur Mac, Windows, iOS et Android, Game in Society / Bright / Centre Pompidou, gratuit
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