Il n’y a pas que les ménagères adeptes de la coach TV qui tentent de changer d’image. Chaque année, des marques en perte de vitesse passent par ce processus identitaire complexe et risqué. Début 2010, la marque de costumes De Fursac toque à la porte du spécialiste de l’image Franck Durand. De Fursac est en […]
Il n’y a pas que les ménagères adeptes de la coach TV qui tentent de changer d’image. Chaque année, des marques en perte de vitesse passent par ce processus identitaire complexe et risqué.
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Début 2010, la marque de costumes De Fursac toque à la porte du spécialiste de l’image Franck Durand. De Fursac est en sérieuse perte de vitesse après des années de communication hasardeuses. Notamment une pub sur fond de techno et au slogan vieillot (“la griffe de l’homme”) qui tourne en télé et au ciné entre 2004 et 2007. Depuis 2004 justement, le chiffre d’affaires a été divisé d’un bon tiers.
“Leur image abîmait l’appréciation des produits, donc sans rien dénigrer ni casser, on a apporté du chic, installé des codes et joué subtilement avec l’histoire”, raconte Franck Durand. Résultat : des campagnes sobres mais avec une patte visuelle affirmée, limpide et intemporelle, un grand écart d’autant plus fascinant que les produits ont très peu changé. Les chiffres sont eux repartis sur les chapeaux de roue : près de 50 % en plus en quatre ans.
Spectaculaire, l’exemple de De Fursac n’est pas un cas isolé. Dans la mode, les exemples de virages à 180 degrés sont légion. Dans le luxe, Carven, Kenzo, Saint Laurent ou plus récemment Loewe, mais aussi des marques plus grand public, comme Aigle ou Camper, ont par exemple toutes connu un repositionnement ferme ces dernières années. trilogie magique Tout part d’une prise de conscience, par un nouveau dirigeant ou un nouveau directeur artistique, que l’image rendue est en décalage avec les attentes de la marque. Aujourd’hui, les labels gardent un œil – quasiment en temps réel avec les réseaux sociaux – sur la perception de leur image par les consommateurs. Ils recourent régulièrement à la méthode du Focus Group : un échantillon d’une dizaine de personnes triées sur le volet par un cabinet de conseil passe quelques heures à discuter en profondeur de la marque. En ressort un document qui synthétise sa perception.
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De Fursac
2004 : reflets métallisés, mèches impeccables et trio de beaux gosses… Les grosses ficelles de la virilité millésime 00 sont de sortie. En 2011, en faisant appel à des photographes comme Karim Sadli ou Jamie Hawkesworth, le directeur artistique Franck Durand apporte une touche arty, mode et élégante. Le casting envoie un message fort : monosilhouette et « gueules » françaises actuelles (Clément Chabernaud, Adrien Sahores) toisant l’objectif, mixant sobriété à la française et dandysme anglo-saxon. Le cadre blanc est devenu l’une des signatures de De Fursac. Quant au logo, il a été remanié : plus simple, plus intemporel.
Selon les moyens engagés, il ne peut y avoir qu’un ou deux de ces groupes de discussion (plusieurs milliers d’euros chacun) par an, là où les poids lourds peuvent en commander des dizaines chaque année. Manager du studio prêt-à-porter homme de l’agence de conseil NellyRodi, Jérôme Bloch suit l’évolution des marques à la loupe et parfois même se retrouve mandaté pour conduire l’opération de réinvention. “Il y a une trilogie magique dans la refonte d’une marque : une prise de conscience en interne, un retour de ce que pense le consommateur, et un œil neuf”, résume-t-il. Les deux premiers permettent d’identifier le problème, le dernier d’y remédier. Cet oeil neuf chargé de mener la “révolution” peut être recruté pour bosser en interne ou rester extérieur à la boîte. “Le défi dans tous les cas est de dégager dans l’ADN de la marque une aspérité que personne n’aurait vue, un détail, une couleur, une vieille pub sur laquelle on va pouvoir s’appuyer”, pose Jérôme Bloch.
Sang neuf
Le recrutement d’un nouveau directeur créatif est souvent l’option choisie car ce dernier va chapeauter la refonte de A à Z. Du style à l’image en passant par les collaborations. Hedi Slimane chez Saint Laurent ou Humberto Leon et Carol Lim chez Kenzo. La manière dont J. W. Anderson a dépoussiéré de fond en comble l’ultraclassique maison espagnole Loewe, du logo aux vêtements en passant par les campagnes de pub, illustre bien la liberté d’action que les maisons donnent aux directeurs créatifs. Le recrutement d’un oeil neuf n’est pas toujours une rupture, parfois il découle d’une continuité : le designer français Romain Kremer collaborait depuis plusieurs saisons avec le chausseur espagnol Camper, il s’est vu confier les clés du camion il y a trois mois par le nouveau pdg Miguel Fluxá.
On lui doit la nouvelle identité visuelle de la marque, plus dépouillée, plus arty. En plus de diriger tout le stylisme, il a pensé et shooté les images de la campagne, ensuite retravaillées en collages par l’artiste Nicolás Santos. L’oeil neuf peut aussi rester extérieur, sur une tâche souvent plus ciblée : consulting, direction artistique, photographie, événement ponctuel. Souvent, une phase d’immersion dans ce nouvel univers, avec son ADN et ses propres codes, s’impose. Franck Durand assimile cette étape à “une discussion presque médicale, où l’on doit essayer de comprendre le patient, qui il est, ce qu’il veut”.
S’il arrive que seule l’image nécessite d’être retravaillée, comme chez De Fursac, où Franck Durand assure n’avoir pas touché au style “hormis quelques menus détails”, ce travail de simplification peut aussi s’appliquer aux collections. Depuis son arrivée à la tête de la direction créative d’Aigle en 2006, Gideon Day s’est efforcé de rendre plus lisible le style Aigle et il a notamment fallu “faire le ménage”. La ligne nautique a par exemple été coupée.
“Aigle a grandi pendant cent soixante ans sans faire de plans, comme un arbre qui pousse sans être taillé (…) Une fois que certaines branches sont taillées, il est encore plus beau”, sourit le designer. Avant de se relancer il y a quelques années, Carven ou Kenzo ont racheté les pourtant lucratives licences qui éparpillaient leur image aux quatre coins de la planète mode. Mieux maîtriser le message est un atout crucial sur le chemin du renouveau.
Aigle
La marque inaugure en 2013 son nouveau concept de boutique, les Maisons de famille. L’aigle vert pomme a disparu, le logo s’est épuré, les meubles chinés et le bois ont remplacé l’ambiance randonnée de l’ancien concept. Ici, l’entrée du magasin de la place des Ternes, à Paris, rénové à l’été 2014.
Cohérence et douceur
Si les campagnes et les fringues donnent le ton mais que le magasin ne suit pas, la marque met en péril la dernière étape du travail, la plus importante : la vente. Gideon Day est à l’origine du nouveau concept de magasins lancé par Aigle, les Maisons de famille. Ces boutiques sur deux étages sont aménagées comme des maisons de campagne, avec boiseries et mobilier chiné. Mais la refonte de son parc de magasins implique des moyens considérables, et une prise de risque importante. Les choses peuvent donc se faire plus en douceur. Comme chez Camper, qui commence par renouveler huit boutiques pilotes à travers le monde, les Camper Labs, qui accueilleront une sélection exclusive et réduite, dans un écrin fidèle à la nouvelle identité visuelle du chausseur majorquin. De plus en plus, les marques se rabattent sur des tests du marché grandeur nature, avec des magasins éphémères ou des collaborations capsules.
“Kenzo ou Lacoste Live ont par exemple testé leur offre dans le Marais, rue Debelleyme, avant de lancer leurs lignes, raconte Jérôme Bloch. Le feedback est immédiat !” Aigle s’apprête ainsi à ouvrir l’Atelier Aigle, à deux pas du canal Saint-Martin, où sera vendue une offre exclusive et haut de gamme. “Les collaborations sont aussi un bon moyen de se repositionner de manière assez douce, sans remettre en question les fondamentaux de la marque”, continue Jérôme Bloch. Elles permettent d’envoyer des messages et de toucher un public bien précis.
Camper multiplie par exemple les collaborations avec des créateurs pointus comme Bernhard Willhelm ou très récemment le chouchou russe Gosha Rubchinskiy. Cela permet aussi des ajustements en termes de prix, dans un sens ou dans l’autre. Quand Kenzo collabore avec Vans et New Era, les produits sortent à des prix plus accessibles et la griffe attire un nouveau public, plus jeune, plus street. A l’inverse, sur sa collaboration avec le spécialiste de l’outerwear increvable Nigel Cabourn, Aigle flirte avec des tarifs inhabituels pour la marque mais s’adresse à un public d’avertis, qui savent qu’ils tiennent là un produit taillé pour durer une vie. nouvelle donne Le repositionnement d’une marque comporte pourtant sa dose de risques. Au-delà de l’uniformisation provoquée par la simplification du message et les tendances graphiques du moment – qui voient parfois deux marques produire des campagnes ressemblantes –, la frilosité et l’impatience sont les deux écueils qui le plus souvent viennent gripper la machine.
Jérôme Bloch faisait partie il y a quelques années d’un commando de choc (composé autour du consultant Jean-Jacques Picart), chargé de remettre le poussiéreux New Man sur pied, et d’en faire le “Ralph Lauren français”. “Avec le verrouillage de l’ADN, en tout cas pour l’image et le logo intouchables, le travail de style s’est essoufflé et le projet n’a rien donné”, conclut-il. L’autre écueil possible s’explique par une mutation industrielle. “Avant, les fondateurs et les patrons de la marque étaient les créateurs, aujourd’hui la plupart sont morts et ce sont des financiers qui pilotent ces groupes”, explique Franck Durand.
Ce changement de donne influe directement sur la patience, qui n’est pas vraiment la meilleure amie du business. “Ça va de plus en plus vite avec les réseaux sociaux, mais avant qu’un changement d’image ne descende dans les magasins, on parle généralement de deux ou trois saisons”, glisse Jérôme Bloch. Quelques saisons où il faut tenir la barre et accepter le risque. “A la longue, de grandes annonces suivies de sauts de puce bousillent la marque, prévient Franck Durand. Il vaut mieux parfois laisser mourir et recommencer une nouvelle aventure.”
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Camper
En 2013, les pubs Camper, chamarrées et créatives, mettent en scène les modèles (ici une chaussure) dans des saynètes un peu absurdes. En 2014, exit la couleur, bonjour le noir et blanc et les images dépouillées, shootées par le nouveau DA Romain Kremer, puis maltraitées par les collages et découpages de l’artiste Nicolás Santos. Plus arty, la campagne donne le ton de la nouvelle direction créative sans montrer aucune pompe.
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