En s’attaquant à Georges Frêche, Martine Aubry risque de perdre la région Languedoc-Roussillon. Mais elle adresse aussi un message d’autorité et de reprise en main.
C’est une tragicomédie socialiste. Théâtre : le Languedoc-Roussillon. Acteurs : Martine Aubry et Georges Frêche. Trame : Paris contre la province. A la suite de l’investiture d’une liste socialiste officielle menée par la maire de Montpellier Hélène Mandroux, le président de région sortant DVG (ex-PS) s’est lancé dans une guerre totale contre la direction nationale. Investi par le vote militant, Frêche se drape dans sa légitimité contre Hélène Mandroux, surnommée dans la presse locale “la Parisienne” ou “la pouliche de Martine”.
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Autoproclamé chef des Cathares, Frêche joue à l’irréductible Gaulois, se décrit comme “le Villepin d’Aubry” victime de la “première secrétaire de la fraude” – référence à son élection contestée par les royalistes lors du Congrès de Reims en 2008. Le baron languedocien joue d’une phraséologie populiste – le peuple contre les élites – et ça marche. La liste PS dévisse de 11 % à 6 % selon les derniers sondages. Frêche l’emporterait largement au second tour. Un coup porté à Martine Aubry. Mais la première secrétaire socialiste n’en a cure : affirmer son autorité rehausse sa posture de patronne, de future présidentiable.
En attendant, la stratégie nationale d’Aubry profite à Frêche, au détriment de l’opposition locale. “On ne comprend plus rien aux choix du PS. Aubry a pris sa décision super tard, quinze jours avant le dépôt des listes. Alors qu’elle avait eu dix fois l’occasion de le faire”, réagit, perplexe, Jean-Louis Roumégas, tête de liste Europe Ecologie, crédité de 12 % d’intentions de vote.
UN DÉRAPAGE DE TROP
Les dérapages du baron languedocien sont légion : les harkis traités de “sous-hommes” ; le nombre de “Blacks” dans l’équipe de France de football enfreignant “la normalité”, qui lui vaudront d’être exclu du PS en janvier 2007. On ne compte plus ses attaques contre la direction nationale : Les Eléphants se trompent énormément (Balland, 2003), Il faut saborder le PS (Seuil, 2007) et son dernier ouvrage, Trève de balivernes (Héloïse d’Ormesson, 2010). Autant de charges directes et médiatiques.
Pendant longtemps, le PS a tergiversé. Les leaders socialistes se disputaient même les faveurs du baron d’une région abritant de puissantes fédérations. Frêche apporta son soutien à Ségolène Royal contre Martine Aubry. Son dernier scandale, “la tronche pas catholique” de Laurent Fabius, fut celui de trop. Ses adversaires locaux regrettent que les accusations d’antisémitisme aient brouillé les véritables griefs à mettre au crédit de celui qu’ils décrivent comme un “despote” : “féodalité”, “clientélisme”, “opacité sur gestion”. “Lorsqu’il a voulu changer le nom de la région en Septimanie, il n’y a pas eu de vote de la majorité régionale. Il a décidé seul d’engager des millions d’euros. Heureusement, ça ne s’est pas fait”, raconte Roumégas.
Face à la dernière polémique, Martine Aubry, poussée par l’indignation, la pression médiatique et les fabiusiens, a annoncé le 2 février la constitution d’une liste socialiste opposée à Frêche. Les cinquante candidats socialistes inscrits sur les listes de Frêche ont été suspendus du parti pour deux ans. Pour Claude Bartolone, bras droit d’Aubry, “ils ont choisi de se mettre en dehors du parti”.
SACRIFIER LA RÉGION
En Languedoc-Roussillon, cette menace ne fait peur à personne. D’autant plus que ce point divise le parti. Pierre Moscovici s’est dit “hostile” à l’exclusion des partisans de Frêche. Le porteparole, Benoît Hamon, refuse “une surenchère disciplinaire”. La réplique des partisans de Frêche ne s’est pas fait attendre. L’ancien rugbyman Didier Codorniou a assigné au tribunal la direction du PS, accusée d’avoir bafoué le vote des militants en investissant Mandroux. L’audience se tiendra le 10 mars à Paris, quatre jours avant le premier tour.
“D’ici, on a l’impression que la décision d’Aubry est une opération de com pour relancer sa campagne. Que la situation du Languedoc-Roussillon n’est pas prise en compte. Bartolone l’a dit : ils sont près à sacrifier la région. Leur but n’est pas de rassembler la gauche et de créer l’alternative.” Ce ne sont pas les paroles d’un partisan de Georges Frêche mais celles d’un de ses plus farouches opposants, Jean-Louis Roumégas. L’investiture de la liste Mandroux, au lieu de concurrencer Frêche, le fait monter dans les sondages. Pour Roumégas, “il y a une réaction négative de l’opinion face à l’opération de règlement de comptes socialiste.” Selon lui, la direction nationale a lâché l’opposition socialiste locale. “Mandroux avait demandé à être accueillie sur la liste Europe Ecologie, Aubry a opposé son veto en lui disant que c’était à elle de mener une liste de rassemblement de toute la gauche.” Une version confirmée par Paul Alliès, opposant socialiste à Georges Frêche dans la région. Un réflexe “boutiquier et hégémonique” déplacé pour Roumégas, alors que les listes EE ou du Front de gauche-NPA étaient constituées depuis des mois. Résultat : échec de l’alliance à gauche au premier tour, sauvée par EE au second tour.
“La décision de monter une liste a été prise trop tard”, regrette Paul Alliès, ancien conseiller régional et président de la Convention pour la VIe République. “Le fait de prendre sa décision dans un mauvais timing laisse planer le doute d’une vraie manipulation des Parisiens contre la province”, critique un membre du PS. Un peu court à un mois des élections. Hélène Mandroux a été envoyée au casse-pipe. Mais pour Martine Aubry, l’important n’est plus le grand chelem mais le score national au soir du premier tour. Après le calamiteux 16 % socialiste des européennes, un bon score serait favorable à la première secrétaire.
PRÉPARER 2012
Autre dommage collatéral : la guerre Frêche- Aubry ressuscite les dissensions dans le camp socialiste. Certains cadors soutiennent publiquement le baron languedocien, dans une stratégie de résistance. La crise de leadership du Parti socialiste a favorisé dans les dernières années l’éclosion de baronnies régionales en tension avec la direction du PS. Avec sa décision contre Frêche, Martine Aubry insuffle de la centralité au PS et réaffirme l’autorité de la direction nationale : la sienne. Certains s’inquiètent que cette posture et le message de reprise en main adressé à travers Frêche à toutes les baronnies ne menace la fragile unité du parti.
François Rebsamen (sénateur maire de Dijon), Vincent Peillon (eurodéputé socialiste), Gérard Collomb (sénateur maire de Lyon) se sont engouffrés dans la brèche Frêche en le soutenant publiquement. Peillon revendique leur amitié, même s’il admet être agacé par ses débordements verbaux. Rebsamen et Collomb feront même le déplacement en Languedoc-Roussillon. Pour quel futur candidat à la présidentielle ? François Hollande déjà en campagne, ou Ségolène Royal en retrait dans sa région du Poitou-Charentes, mais toujours en embuscade ?
Pour l’élection au poste de premier secrétaire, le soutien des fédés importe encore. Mais l’adoption de la primaire a changé la donne pour l’élection présidentielle. Les promoteurs de cette nouvelle forme de désignation du candidat socialiste, tel Arnaud Montebourg, estiment qu’elle va mettre fin au pouvoir des baronnies et des grandes fédérations. L’ensemble des sympathisants de gauche pourront voter. L’affaire Frêche : premier acte de la bataille que vont se livrer les socialistes en vue de 2012. Celle de l’opinion.
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